Sur la 7è étape de la 104è édition du Tour de France, entre Troyes et Nuits-Saint-Georges, le 7 juillet 2017. (AFP / Lionel Bonaventure)

Une immense fête populaire

Tour de France --  Une immense fête populaire, c’est ce qui m’a le plus marqué. C'était mon baptême du Tour, et à part ce que j'en avais toujours vu à la télé, je n'avais aucune idée de ce que pouvait être vivre cette course de l'intérieur.

L'expérience est assez unique. Peut-être l'un des reportages sportifs les plus ultimes.

Sur la 5è étape, entre Vittel et La Planche des Belles Filles, le 5 juillet 2017. (AFP / Lionel Bonaventure)

 

Appelé pour remplacer un collègue au pied levé, j'ai rejoint l'équipe AFP sur la troisième étape à Longwy. Et ai immédiatement été plongé au sens propre dans la ferveur de la Grande Boucle.

Toutes les routes étant bloquées, j'ai été contraint, une fois à la gare, d'emprunter à pied le parcours dans la Côte des Religieuses, noire de monde, pour rallier l'arrivée. Là même où la rock star du peloton Peter Sagan allait s'imposer quelques minutes plus tard, avant d'être exclu le lendemain pour un coup de coude sur Mark Cavendish.

Sur la 8è étape, entre Dole et Station des Rousses, le 8 juillet 2017. (AFP / Philippe Lopez)
Près de la ligne d'arrivée de la 3è étape, entre Verviers, en Belgique, et Longwyy, en France, le 3 juillet 2017. (AFP / Jeff Pachoud)

 

 

Durant ces trois semaines, combien de fois m'a-t-on demandé "C'est ton premier Tour?" avant d'affirmer de façon péremptoire "Le Tour, tant que l'on ne l'a pas vécu de l'intérieur, on ne peut pas imaginer ce que c'est".

Car au-delà du vélo et des exploits de Chris Froome ou de Romain Bardet, il y a cette célébration quotidienne du vélo, un brin franchouillarde, qu'est le Tour.

Un supporter britannique sur la 11è étape, entre Eymet et Pau, le 12 juillet 2017. (AFP / Jeff Pachoud)

 

Pour des millions de gens, la Grande Boucle c'est la possibilité d'un spectacle gratuit au  bord de la route, assis sur un pliant près du barbecue.  Ce que n'offre aucune autre compétition sportive.

En attendant les coureurs, près de la ligne d'arrivée de la 8è étape, entre Dole et Station des Rousses, le 8 juillet 2017. (AFP / Jeff Pachoud)

 

On va voir passer le Tour près de chez soi, même si l'on n'est pas un fan de cyclisme. Et même s’il a été assombri pendant des années par les affaires de dopage, on lui dit "Merci" d'avoir mis en lumière son village. On le célèbre avec des "Vive le Tour" écrits sur des pancartes, des bottes de paille ou les façades des maisons.

Sur la 11è étape du Tour, entre Eymet et Pau, le 12 juillet 2017. (AFP / Philippe Lopez)
Sur la 8è étape, entre Dole et Station des Rousses, le 8 juillet 2017. (AFP / Philippe Lopez)

 

 

Cette fête, je l'ai découverte pour de bon lors de ma première véritable étape au lendemain de mon arrivée, entre Mondorf-les-Bains au Luxembourg et Vittel à bord de la voiture de l’agence.

L'AFP en texte sur le Tour, ce sont six personnes: deux journalistes francophones, Jean Montois et moi-même, un anglophone, Barnaby Chesterman, un hispanophone, Pablo San Roman, et deux chauffeurs, Thibaut Choquet et René Pioso, sans qui rien ne serait possible.

Avec le drapeau français et le maillot jaune, sur la 7è étape du Tour entre Troyes et Nuits-Saint-Georges, le 7 juillet 2017. (AFP / Lionel Bonaventure)

 

La première voiture quitte la ville de départ pour rejoindre rapidement celle d'arrivée, en contournant le parcours de l'étape, et permettre aux journalistes de suivre la course depuis la salle de presse.

La deuxième, dans laquelle je prends place, emprunte elle chaque jour le parcours de l'étape avant le peloton. Plus de quatre heures de route en moyenne dans des paysages à couper le souffle, de la Casse déserte en passant par le Port de Balès ou le Galibier, à fendre parfois une foule impressionnante.

Sur la 15è étape entre Laissac-Sévérac l'Eglise et Le Puy-en-Velay, le 16 juillet 2017. (AFP / Lionel Bonaventure)

 

Quand on "fait" l'étape, on a l’étrange impression d'être membre d'une sorte de procession ouvrant la route aux coureurs et annonçant leur arrivée tant attendue. A chaque village, chaque rond-point, chaque virage, tous les spectateurs vous envoient des bonjours enthousiastes auxquels on ne peut s'empêcher de répondre d'un salut réflexe de la main, à la façon d'Elisabeth II.

Un salut aux reporters du Tour, sur la 5è étape entre Vittel et La Planche des Belles Filles, le 5 juillet 2017. (AFP / Lionel Bonaventure)

 

Dans les cols, que l'on gravit souvent au pas, le public se penche parfois carrément à notre fenêtre pour écouter Radio Tour et savoir qui est dans l'échappée ou pour prendre de nos nouvelles "Bonjour l'AFP, ça va ? Vous avez pas trop chaud ?", alors que ce sont eux qui sont plantés en plein soleil, des heures durant, dans l’attente des coureurs.

Sur la 9è étape, entre Nantua et Chambéry, le 9 juillet 2017. (AFP / Lionel Bonaventure)

 

Le jet d'un verre de bière sur la voiture, qui nous a obligés à fermer rapidement nos fenêtres dans les passages les plus « testostéronés », ou par exemple des rugbymen montrant leurs fesses à notre passage, a rappelé que la fête n'est pas toujours du meilleur goût.

En soutien à un champion français dont le nom se déchiffre sur les postérieurs, sur la 15è étape entre Laissac-Sévérac l'Eglise et le Le Puy-en-Velay, le 16 juillet 2017. (AFP / Jeff Pachoud)

 

Cet enthousiasme débordant est alimenté par la caravane, qui nous précède, et chauffe à blanc le public avec des hôtesses juchées sur des chars publicitaires, musique plein pot. Cette caravane, dont l’attrait est peut-être presque aussi grand que celui qu’exercent les coureurs, déclenche de véritables scènes d'hystérie collective avec des spectateurs prêts à passer sous les roues d'une voiture pour ramasser porte-clés, madeleines ou casquettes.

A Eymet, au départ de la 11è étape vers Pau, le 12 juillet 2017. (AFP / Philippe Lopez)
Près de Pau, sur la 11è étape, le 12 juillet 2017. (AFP / Philippe Lopez)

 

 

Le Tour, c'est aussi un incroyable carnaval où vous pouvez vous retrouver nez à nez dans un col avec Hulk, des prêtres en soutane vous bénissant, des superhéros, un guitariste jouant du hard-rock en pédalant sur un vélo statique ou des hommes en "mankinis" passablement éméchés. Des moments où l'on est content de ne pas être un coureur devant se frayer un chemin sur cette route étroite de montagne. 

Sur la 15è étape, entre Laissac-Severac l'Eglise et Le Puy-en-Velay, le Colombien Rigoberto Uran et le Français Romain Bardet, le 16 juillet 2017. (AFP / Jeff Pachoud)

 

Au fil des étapes, j'ai fini par retrouver les visages de ces autres légendes du Tour. Comme El Diablo avec son trident, qui n'a désormais plus les moyens et la santé de suivre toute la grande boucle. Mais aussi Jojo le clown, le Coq, la Vache, un homme avec des seringues plantées dans un casque de chantier pour dénoncer le dopage ou Ricardo l'Ange,  qui suivent inlassablement la plupart des étapes. Année après année.

Didi Senft, un supporter allemand, plus connu sous le nom d'El Diablo, sur la 7è étape du Tour, entre Troyes et Nuits-Saint-Georges, le 7 juillet 2017. (AFP / Philippe Lopez)

 

Je me suis demandé alors comment une manifestation sportive, si importante soit-elle, pouvait amener ces gens à se déguiser ainsi et à y consacrer tous leurs étés à la suivre. Je me suis arrêté sur un bord de route dans les Alpes pour en discuter avec Ricardo, attablé en "civil" avec des amis quelques minutes avant qu'il n'enfile ses ailes et son auréole pour saluer l'arrivée du peloton.

Déguisé en prêtre, sur la 14 étape du Tour, entre Blagnac et Rodez, le 15 juillet 2017. (AFP / Jeff Pachoud)
En costume traditionnel, sur la 6è étape entre Vesoul et Troyes, le 6 juillet 2017. (AFP / Lionel Bonaventure)

 

 

"Je suis né avec un vélo dans la tête", m'a-t-il dit avec le sourire. "J'ai fait mon premier Tour dans une poussette à 3 ans".

Sur la 11è étape, entre Eymet et Pau, le 12 juillet 2017. (AFP / Jeff Pachoud)

 

Aujourd'hui, Ricardo, qui a créé son personnage en 1998 après l'affaire Festina "pour amener un peu de douceur" et concurrencer El Diablo, devenu son ami, en est au total à 44 Tours et y consacre environ 3.000 euros chaque année.

"Je vis que pour ça, le Tour, c'est l'évasion totale", m'a-t-il affirmé. Quelque chose que j'aurais sans doute eu du mal à comprendre avant d'avoir vécu le Tour de l'intérieur.  

Le rêve de plus d'un gamin, une séance d'autographes pour le britannique Christopher Froome, avant une séance d'entrainement pendant un jour de repos, le 10 juillet 2017, à Trelissac, près de Périgueux. (AFP / Nicolas Tucat)

 

Mathieu Gorse