Souvenirs du Tour (3) : cinéma en haute montagne

Le Tour de France qui démarre le 29 juin en Corse fête, cette année, sa 100ème édition. Jean Montois, correspondant cycliste de l'AFP, a couvert les trente dernières, sans jamais rater une étape. Il a été le témoin privilégié des profondes transformations du cyclisme, depuis courses bon enfant des années 1980 jusqu'aux grands scandales de dopage des décennies suivantes, et de celles non moins profondes du journalisme sportif pendant la même période.

Pendant une dizaine de jours, il raconte quotidiennement pour le blog AFP Making-of une anecdote marquante de sa longue expérience sur la Grande boucle.

PARIS, 22 juin 2013 - Vingtième étape du Tour de France 1987. A l’époque, je «faisais la ligne d’arrivée», comme on dit. Le but était d’avoir des interviews à chaud des coureurs.

Nous sommes à La Plagne, dans les Alpes, et nous venons d’assister à un match sans merci entre Pedro Delgado, qui porte le maillot jaune, et Stephen Roche, qui va par la suite gagner le Tour. Dans les derniers kilomètres, Roche fait un effort total. Il arrive et, la ligne d’arrivée à peine franchie, le voilà qui s’écroule à mes pieds! Les médecins se précipitent sur lui. On lui met un masque à oxygène…

Je connais bien Roche. Je viens de le suivre sur le Tour d’Italie, qu’il a gagné. J’ai le sentiment qu’il a tout donné dans cette étape, certes, mais qu’il en rajoute un peu… Il doit se dire que l’affaire est trop belle. J’en ai confirmation lorsqu’il se tourne vers moi pour, de derrière son masque, me gratifier d’un petit clin d’œil! Ce sont des moments qui ne trompent pas.

AFP

Je regrette un peu qu’aujourd’hui, de tels moments ne soient plus possibles. L’accès au maillot jaune est réservé dans un premier temps aux détenteurs de droits, aux télévisions… Je déteste les «zones mixtes», ces espaces réservés où les coureurs répondent aux journalistes. Elles sont peut-être obligatoires dans certaines compétitions comme les Jeux Olympiques, mais elles nous privent de ce qui fait finalement le sel du métier: l’imprévu, l’actualité brûlante…

Aujourd’hui, si le vainqueur de l’étape s’effondrait sur la ligne d’arrivée, j’imagine qu’on aurait droit à une avalanche de communiqués sur ce sujet même si finalement cela ne s’avère pas être grand-chose. Sur ce Tour de 1987, à aucun moment je n’ai l’impression que Roche était en danger! Son petit cinéma n’enlevait rien à la plénitude de son effort. Simplement, il avait pris conscience qu’il venait de gagner le Tour, qu’il avait atteint son objectif, et il s’était dit: «tiens, je vais en profiter!»

Jean MONTOIS

Stephen Roche, sur le podium à l'arrivée du Tour de France 1987 à Paris (AFP)