Bernard Hinault se fracture le nez en chutant dans le dernier kilomètre de la 14e étape du Tour de France 1985 (AFP)

Souvenirs du Tour (2) : la fine gueule et le nez cassé

Le Tour de France qui démarre le 29 juin en Corse fête, cette année, sa 100ème édition. Jean Montois, correspondant cycliste de l'AFP, a couvert les trente dernières, sans jamais rater une étape. Il a été le témoin privilégié des profondes transformations du cyclisme, depuis courses bon enfant des années 1980 jusqu'aux grands scandales de dopage des décennies suivantes, et de celles non moins profondes du journalisme sportif pendant la même période.

Pendant une dizaine de jours, il raconte quotidiennement pour le blog AFP Making-of une anecdote marquante de sa longue expérience sur la Grande boucle.

PARIS, 21 juin 2013 – Nous sommes en 1985. A l’époque, le responsable de l’équipe AFP sur le Tour de France est Jean-Michel Forest, un remarquable connaisseur du cyclisme mais aussi, et surtout, un passionné de gastronomie. A côté de son travail à l’agence il écrit des chroniques gastronomiques, et il adore cuisiner. D’ailleurs, il finira par quitter l’AFP et par reprendre un hôtel-restaurant.

Traditionnellement, pendant le Tour, on essayait de faire un très bon repas. Dans le Tour 1985, une étape se termine à Saint-Etienne. Forest saisit l’occasion pour proposer à toute l’équipe d’aller dîner au célèbre restaurant Troisgros, à Roanne. Bien sûr, nous sommes tous d’accord.

Ce jour-là, tout se présente bien. C’est une étape de transition typique, au cours de laquelle il ne devrait pas se passer grand-chose. A l’époque, les étapes se terminent tôt, vers 16 heures (aujourd’hui c’est plutôt 17h30 voire 18 heures en cas de mauvais temps). Tout le monde est ravi d’aller passer la soirée chez Troisgros. Le restaurant nous a avertis qu’il ne faut pas arriver après 21 heures, mais c’est parfaitement jouable: Roanne est à un peu plus d’une heure de route de Saint-Etienne.

AFP

Tout se passe bien pendant l’étape. Mais à un kilomètre de l’arrivée, patatras ! Bernard Hinault, qui porte le maillot jaune, chute et se fracture le nez. Il finit la ligne le visage ensanglanté et on l’embarque aussitôt pour l’hôpital…

Dans un premier temps je me dis que c’est rapé pour Troisgros. Sauf que Jean-Michel Forest y tient, à son gueuleton. Pas question pour lui de bouleverser nos plans pour la soirée.

Sous son impulsion, tout le monde est sur le pont. L’un d’entre nous part à l’hôpital avec Hinault. Les portables n’existent pas à l’époque. Sur place, un chauffeur squatte un téléphone pour transmettre les informations à la salle de presse, où nous disposons de deux téléphones (un pour recevoir les nouvelles et l’autre pour les transmettre). Il faut attendre que l’hôpital fasse les radios, qu’ils publient le diagnostic; il faut ensuite écrire les papiers… Mais l’appel de l’estomac est tel que miraculeusement, à 20 heures, tout est bouclé. Nous partons in extremis pour Roanne et, sur le coup de 21 heures, nous franchissons la porte du restaurant. Je dois avouer que nous n’avons pas beaucoup respecté les limitations de vitesse ce soir-là, mais nous avons sauvé notre dîner, qui fut mémorable.

Jean MONTOIS

Le chef étoilé Pierre Troisgros, photographié ici en 2005 (AFP / Pierre Andrieu)