L'Italien Fabio Casartelli après sa chute mortelle dans la 15e étape du Tour de France 1995 (AFP / Pascal Pavani)

Souvenirs du Tour (6) : les heures dramatiques

Le Tour de France qui démarre le 29 juin en Corse fête, cette année, sa 100ème édition. Jean Montois, correspondant cycliste de l'AFP, a couvert les trente dernières, sans jamais rater une étape. Il a été le témoin privilégié des profondes transformations du cyclisme, depuis courses bon enfant des années 1980 jusqu'aux grands scandales de dopage des décennies suivantes, et de celles non moins profondes du journalisme sportif pendant la même période.

Pendant une dizaine de jours, il raconte quotidiennement pour le blog AFP Making-of une anecdote marquante de sa longue expérience sur la Grande boucle.

PARIS – Quand on compare le nombre de personnes qui se massent sur le parcours et le nombre d’accidents, on peut dire que la route du Tour est l’une des plus sûres de France. Bien sûr, chaque accident est un accident de trop et c’est particulièrement affreux quand la victime est un enfant. Un de ceux qui m’a le plus marqué a été, en 2002, ce petit garçon de sept ans fauché par une voiture de la caravane publicitaire en traversant brusquement la route pour rejoindre sa grand-mère…

En 1995, pour la première fois dans l’histoire contemporaine du Tour de France, c’est un cycliste qui trouve la mort sur la route. L’Italien Fabio Casartelli, qui a été sacré champion olympique à Barcelone trois ans plus tôt, tombe avec plusieurs autres coureurs dans la descente du col du Portet-d’Aspet, dans les Pyrénées. Sa tête heurte violemment un bloc de béton sur le bord de la route. Les médecins ne parviendront pas à le ramener à la vie.

Le peloton observe une minute de silence avant le départ de la 16e étape du Tour de France le 19 juillet 1995 à Tarbes, au lendemain de la mort de Fabio Casartelli. De gauche à droite: Richard Virenque, Laurent Jalabert, Miguel Indurain, Frankie Andreu et Lance Armstrong (photo: AFP / Patrick Kovarik)

Je n’ai pas été témoin de l’accident. Le cyclisme est un sport itinérant, une course peut s’étendre sur plus d’une dizaine de kilomètres et on ne peut pas être partout à la fois. Au moment de la chute de Casartelli, j’étais en train de doubler la caravane publicitaire dans un col. J’ai compris au ton de la voix du speaker de Radio Tour qu’il s’était produit quelque chose de très grave, mais je n’ai pas su tout de suite que le jeune italien était mort. J’étais en pleine montagne, il n’y avait pas de réseau mobile, aucune maison à proximité. Aucun moyen de téléphoner pour essayer d’en savoir plus.

Cela m’a fait prendre conscience de ma vulnérabilité, en tant que journaliste de terrain, face aux aléas. Jusque-là, nous, journalistes d’agence, avions vécu dans une sorte d’illusion : nous pensions être encore, toujours, la première source de l’information. Mais face à un événement comme l’accident de Casartelli on ne pouvait pas rivaliser avec les télévisions, leurs énormes moyens techniques, leurs hélicoptères du haut desquels on voyait tout, qui pouvaient se porter d’un endroit à l’autre de la course en quelques minutes…

A partir de là, nous avons changé notre façon de travailler. Maintenant, nous sommes toujours nombreux sur le terrain, bien sûr. C’est indispensable, et c’est au cœur même de la couverture du cyclisme. Mais nous avons pris le parti d’avoir aussi, toujours, un journaliste capable d’agir en cas de besoin à partir de ce qu’il voit à la télévision.

Jean MONTOIS

Mémorial érigé sur le lieu de la mort de Fabio Casartelli, dans les Pyrénées (AFP / Pascal Pavani)