L'Arc de Triomphe et Paris, le 14 juillet 2017, pendant le défilé. (AFP / Jean-sebastien Evrard)

"Le ciel de Paris est à nous"

Paris -- Aujourd’hui encore, j’ai un  peu de mal à redescendre sur terre. Plus de deux heures à survoler Paris dans un hélicoptère militaire pour la fête du 14 juillet, c’est une expérience exceptionnelle pour un photographe.

Et rien ne m’y préparait. Je suis basé à Nantes, pigiste photo pour l’AFP depuis une dizaine d’années. J’ai été appelé en renfort pour couvrir les cérémonies du 14 juillet.

On m’a prévenu à l’avance, mais je n’ai appris que ce serait pour y participer depuis un hélicoptère que sept jours avant. J’ai déjà fait de la photo dans ces conditions, mais sur des compétitions de voile, ou au-dessus du Mont Saint Michel, jamais sur zone urbaine.

Vue de Paris vers l'est, dans l'axe du défilé aérien, avec l'Arc de Triomphe au premier plan et la place de la Concorde en haut, le 14 juillet 2017. (AFP / Jean-sebastien Evrard)

 

Il est neuf heures du matin, et le motard de l’AFP vient de me déposer sur la base aérienne 107 de Villacoublay, au sud—ouest de la capitale. C’est l’effervescence, tous les hélicoptères appelés à défiler au-dessus des Champs-Elysées sont là.  

J’apprends que je volerai sur un Fennec, arrivé de la Base aérienne 115 d’Orange, et en compagnie d’un seul photographe du Sirpa Air, le luxe total. C’est ce type d’appareil qui est en alerte permanente sur la base pour intercepter un avion de tourisme qui s’aventurerait au-dessus de la capitale.

L'île Saint-Louis au premier plan, et derrière elle l'île de la Cité avec Notre-Dame. (AFP / Jean-sebastien Evrard)

 

La sécurité n’est pas un sujet anodin, mais notre seule contrainte sera de rester à plus d’un kilomètre de la tribune où se trouvent les deux chefs d’Etat, Emmanuel Macron et Donald Trump. En cas de pépin avec l’appareil, on doit dégager sur l’aéroport du Bourget, et s’il est sérieux, nous essaierons de le poser sur un stade.

Le briefing est assez pointu pour ce qui nous concerne. Il faut nous assurer que rien de ce que nous emportons ne puisse tomber de l’appareil, et sur la tête de quelqu’un, pendant le vol… J’ai deux appareils, avec une optique que je n’aurai pas à changer, pour éviter ce genre d’incident. Un grand angle de 24-120 mm et une longue focale de 200-500 mm pour saisir les avions du défilé aérien.

Paris, vue ici depuis l'est, avec les îles Saint-Louis et de la Cité au centre, et en haut de gauche à droite, les tours Montparnasse puis Eiffel et le quartier de La Défense, le 14 juillet 2017. (AFP / Jean-sebastien Evrard)

 

Sur la base l’ambiance est assez extraordinaire, genre « Top Gun » mais en mode détendu. Nous prenons un café en regardant les préparatifs depuis une sorte de cafétéria. Les pilotes sont en combinaison, avec Ray Ban puisqu’il fait beau. Tout le monde a le sourire, même les mécaniciens.

Ce sont eux qui s’assurent que nous soyons bien attachés au harnais fixés dans l’appareil. Nous allons travailler avec mon collègue côte à côte, l’un sur le bord du siège, l’autre sur le plancher, et tous deux avec les pieds posés à l’extérieur sur le patin du Fennec.

Le défilé du 14 juillet 2017 sur les Champs-Elysées. (AFP / Jean-sebastien Evrard)
La Garde Républicaine défile. 14 juillet 2017. (AFP / Jean-sebastien Evrard)

 

 

Quand nous décollons, c’est bien avant tout le monde, puisque nous devons couvrir tout le défilé, et pas seulement aérien. Il est 10h15. En quelques minutes nous rejoignons le ciel de Paris. C’est parti pour un  vol exceptionnel.

Un avion radar Awacs E-3F pendant le défilé aérien. (AFP / Jean-sebastien Evrard)

 

Nous évoluons d’abord au nord du Sacré-Cœur, pour avoir l’Arc de Triomphe et la Tour Eiffel dans le cadre quand arriveront les avions.

La tour Eiffel, devant les jardins du Trocadéro et le palais de Chaillot. 14 juillet 2017. (AFP / Jean-sebastien Evrard)

Ce sont les pilotes qui nous préviennent de leur arrivée quand ils les ont en visuel.

On a beau avoir le déroulé du défilé aérien en tête, l’affaire se joue en quelques secondes, pour la Patrouille de France d’abord, puis les F-16 et F-22 américains de l’US Air Force.

Rebelote avec le passage des voilures tournantes.

Nous ne pouvons pas nous approcher trop près, mais une fois passés, le ciel de la capitale est à nous.

Je demande au pilote si on peut aller à tel ou tel endroit, il transmet à la tour de contrôle, et on reçoit le feu vert presque immédiatement.

Et ainsi de suite, sans exception.

Je vois bien à ses yeux que ça l’amuse autant que moi.

Son co-pilote connaît bien la capitale, mais lui ne l’a jamais survolée.  

Comme nous nous entendons bien, et que tout parait possible, le photographe du Sirpa et moi-même demandons toujours plus de choses. Aussitôt accordées.

C’est royal, on peut tout faire, les monuments, les vues d’ensemble, et le défilé bien entendu.

 

 

Le vol est un vrai régal, que les pilotes apprécient visiblement autant que nous. La ville apparait de façon extraordinaire, avec une densité insoupçonnée. La veille au soir j’avais bien réfléchi à cette journée je voulais des monuments bien sûr, mais aussi travailler le graphisme, obtenir quelque chose d’esthétique, à condition d’avoir la lumière qui aille bien.

"Une densité insoupçonnée". (AFP / Jean-sebastien Evrard)
Une ville dense, 14 juillet 2017. (AFP / Jean-sebastien Evrard)

 

 

J’obtiens l’Arc de Triomphe, bien seul, en plan large, avec un coup de soleil pile dessus. Il faut dire que les pilotes m’aident bien, avec plusieurs passages. Ce sont des très bons, très précis et en même temps détendus. Ils sont loin des conflits, c’est un vol-plaisir.

14 juillet 2017. (AFP / Jean-sebastien Evrard)

 

Je crois qu’aucun de nous n’a vu le temps passer. Après deux heures et quart en l’air, on réalise qu’il est temps de rentrer.

Sur toute cette journée, une de mes photos préférées est au sol. On y voit les pilotes inspecter leur appareil avant le sol. Parce qu’aussi beau soit-il, c’est l’homme qui le fait voler. C’est ce que j’aime bien dans ce moment, dans l’échange que nous avons eu pendant le briefing, dans l’appareil quand il m’appelait « Jean-Seb » et puis au retour sur la base, où nous avons sympathisés un peu.

Un pilote vérifie son hélicoptère Fennec sur la base aérienne de Villacoublay, avant le défilé aérien du 14 juillet 2017. (AFP / Jean-sebastien Evrard)

A vrai dire j’y suis encore dans cet hélicoptère, j’ai du mal à en redescendre.

Ce billet de blog a été écrit avec Pierre Célérier à Paris.