Souvenirs du Tour (9) : actualité brûlante et dîner froid
Le Tour de France qui démarre le 29 juin en Corse fête, cette année, sa 100ème édition. Jean Montois, correspondant cycliste de l'AFP, a couvert les trente dernières, sans jamais rater une étape. Il a été le témoin privilégié des profondes transformations du cyclisme, depuis courses bon enfant des années 1980 jusqu'aux grands scandales de dopage des décennies suivantes, et de celles non moins profondes du journalisme sportif pendant la même période.
Pendant une dizaine de jours, il raconte quotidiennement pour le blog AFP Making-of une anecdote marquante de sa longue expérience sur la Grande boucle.
PARIS, 28 juin 2013 – Nous voici dans le Tour 2007. La course est très bien partie de Londres, où elle a rencontré un succès populaire mémorable. Mais les affaires de dopage ne tardent pas à surgir les unes après les autres et, rapidement, l’ambiance devient très lourde sur la Grande boucle.
Pendant la journée de repos, le Kazakh Alexandre Vinokourov est déclaré positif et quitte la course. Puis, c’est le maillot jaune Michael Rasmussen qui est limogé par son équipe au terme de la 16ème étape, qu’il a remportée sous les sifflets. Le Danois est accusé de s’être soustrait à des contrôles anti-dopage et d’avoir menti sur son emploi du temps. Par la suite, il sera suspendu pour dopage.
J’ai le souvenir très précis du moment où nous apprenons l’éviction de Rasmussen. Mais avant cela, il me faut ouvrir une parenthèse pour parler de l’hébergement des journalistes sur le Tour, question ô combien compliquée…
Les chambres d’hôtel sont réservées l’automne précédent, dès l’annonce du parcours de la course. La logistique est compliquée. Le parcours change chaque année mais certaines étapes sont des classiques qui reviennent systématiquement. Les places d’hébergement sont rares, et quand on trouve une bonne adresse, on la conserve jalousement. Certains journalistes ont leurs habitudes dans tel ou tel hôtel où la même chambre les attend chaque année. Ils transmettent ces chambres à leurs confrères, un peu comme on transmet des charges notariales, quand ils prennent leur retraite.
Le jour de l’expulsion de Rasmussen, nous nous trouvons dans une de ces adresses «héréditaires» dans le village de Gan, près de Pau. Il s’agit d’une auberge haut de gamme, très calme, dans les vignobles du Jurançon. Ma chambre m’a été « léguée » par le chef des sports du Progrès de Lyon lorsqu’il s’est retiré.
La journée a été rude. Une nouvelle affaire de dopage a éclaté, il y a eu des descentes de police… Un peu de repos à la campagne nous fait du bien. Il est près de 23 heures quand l’équipe AFP se retrouve enfin dans la salle de restaurant de l’auberge, qui est en plus une très bonne table. L’hôtelier arrive avec les plats fumants. Mais il n’a pas le temps de les poser que le téléphone sonne et que la nouvelle tombe : Rasmussen quitte le Tour.
Pour un changement d’ambiance, c’est un changement d’ambiance. Christophe Beaudufe, le chef des informations sportives à l’AFP qui nous accompagne cette année-là, se lève de table à toute vitesse sans toucher à son dîner et fonce avec le chauffeur jusqu’à l’hôtel de Rasmussen, vers lequel toute la presse converge en pleine nuit. Quant à moi, j’écarte mon assiette, je pose à la place un ordinateur portable et je me mets à travailler frénétiquement, sans même avoir trente secondes pour avaler une bouchée.
Tout cela devant l’hôtelier qui, médusé, nous voit laisser refroidir son délicieux magret de canard pour dévorer, à belles dents, l’actualité brûlante…
Jean MONTOIS