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Souvenirs du Tour (4) : un ratage

Le Tour de France qui démarre le 29 juin en Corse fête, cette année, sa 100ème édition. Jean Montois, correspondant cycliste de l'AFP, a couvert les trente dernières, sans jamais rater une étape. Il a été le témoin privilégié des profondes transformations du cyclisme, depuis courses bon enfant des années 1980 jusqu'aux grands scandales de dopage des décennies suivantes, et de celles non moins profondes du journalisme sportif pendant la même période.

Pendant une dizaine de jours, il raconte quotidiennement pour le blog AFP Making-of une anecdote marquante de sa longue expérience sur la Grande boucle.

PARIS – Nous sommes en 1990. L’année précédente, Laurent Fignon a perdu le Tour de France à huit secondes près. Le Français est la grande star de la course mais au début de ce Tour, on sent qu’il n’est pas très bien. Ce jour-là, on part sur une très longue cinquième étape à travers la Normandie, entre Villers-Bocage et Rouen. Il pleut. Je connais bien Fignon. Il est grognon, ce n’est pas bon signe…

Ce jour-là, comme cela arrive extrêmement souvent sur le Tour, des manifestants qui protestent contre je ne sais plus quoi menacent de perturber l’épreuve. Je pars donc à l’avant pour voir ce qu’il en est. Je descends de voiture, je parle un peu avec les protestataires qui m’apprennent qu’ils n’ont, en fait, pas l’intention de bloquer la course. Problème réglé, mais tout cela m’a pris un certain temps. Je suis plus ou moins coupé de la course, il fait mauvais, le son de Radio Tour est perturbé car l’avion-relais a des problèmes.

Quand enfin le son revient, j’entends une phrase inquiétante: «… et après tous ces mouvements, le calme revient dans le peloton… »

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Aïe! Qu’a-t-il bien pu se passer sur la route pendant que j’étais occupé avec mes manifestants?  Quelques minutes plus tard, je comprends que Laurent Fignon a abandonné. Et cela s’est produit il y a peut-être trois quarts d’heure !

Mes premiers tours étaient épuisants physiquement. On suivait le peloton à 35 à l’heure sur des étapes qui faisaient parfois 300 kilomètres et à la fin, j’étais cassé. Pierre Chany, grande plume du journal L’Equipe, disait que la principale qualité d’un journaliste de vélo, c’est la santé. Il avait tout à fait raison. Sur le Tour, il est certes important de bien travailler mais ce qui est primordial, c’est de travailler tout court. Il faut pouvoir supporter cette vie de nomade. Sur les trente Tours de France que j’ai couverts, je ne sais pas si j’ai bien travaillé, mais en tout cas je n’ai pas raté une seule étape.

En 1990, on en était au tout début de l’information en continu avec la radio France Info, mais le risque de commettre un ratage mémorable comme celui sur l’abandon de Fignon était élevé. Ce risque est beaucoup moins grand aujourd’hui grâce à Twitter, aux retransmissions télévisées en direct… Mais paradoxalement la pression est beaucoup plus forte. Pour les journalistes, le Tour est devenu plus facile physiquement, mais aussi plus épuisant nerveusement.

Jean MONTOIS

(AFP / Franck Fife)