Un cavalier et son cheval sautent à travers un feu allumé dans le village de San Bartolome de Pinares, en Espagne, pour la fête traditionnelle des Luminarias, le 16 janvier 2018. (AFP / Gabriel Bouys)

Luminarias

 San Bartolome de Pinares (Espagne) -- La fête des Luminarias. Son origine est obscure, mais elle se tient depuis des centaines d’années dans les rues de San Bartolome Pinares.

Chaque 16 janvier,  les habitants du village allument des feux de joie. Après une marche près des brasiers, les cavaliers les plus téméraires s'élancent au galop et sautent par-dessus les flammes.

Le lendemain, les feux sont ranimés en l'honneur de Saint Antoine, le protecteur des animaux, très célébré en Espagne.

Un cheval et son cavalier passent près d'un des feux allumés dans le village pour les Luminarias. Certains des plus de 130 chevaux rassemblés pour l'occasion les traverseront ensuite.16 janvier 2018. (AFP / Gabriel Bouys)

 

Gabriel: En photographiant les Luminarias", je me suis souvenu de cette citation du célèbre reporter de guerre Robert Capa : « Si ta photographie n’est pas bonne, c’est que tu n’étais pas assez près ». Il est bien marrant Robert !

Marianne : Vous avez sans doute vu des images de la fête du lancer de tomates, la Tomatina, mais avez-vous-entendu parler de celle où les participants tirent la tête d’une oie morte et suspendue, de celle où ils sautent par-dessus des bébés ou encore de celle où ils franchissent un brasier à cheval ? C’est celle-ci que nous avons suivi avec Gabriel.

Le village de San Bartolome de Pinares avant la fête des Luminarias. (AFP / Gabriel Bouys)

 

Marianne :  C’est l’une des choses que j’adore en Espagne, le nombre incalculable de célébrations et de festivals, dont certains sont étourdissants et déconseillés aux cœurs fragiles. Tout le monde y participe, avec parfois des listes d’attente se comptant en année pour endosser un rôle en particulier.

Qu’on les aime ou les déteste, et certaines sont la cible régulière des défenseurs des animaux, ces traditions sont farouchement défendues, alors qu'elles disparaissent assez rapidement dans d'autres pays. 

Les cavaliers font des tresses aux crinières et enveloppent de tissu la queue de leurs montures pour les protéger des flammes. (AFP / Gabriel Bouys) (AFP/ Gabriel Bouys)

 

Gabriel: Nous avons notre premier rendez-vous au petit restaurant en face de la mairie pour retrouver notre contact local… et là je comprends que le danger ne vient pas uniquement des chevaux et du feu, les espagnols sont conviviaux et trinquer avec eux est obligatoire !

Vers 17 heures nous allons assister aux préparatifs des chevaux. C'est le paradoxe, ces gens aiment vraiment leurs bêtes même si cette tradition me semble brutale pour l'animal.

(AFP / Gabriel Bouys)
(AFP / Gabriel Bouys)

 

 

Marianne: J’aime les chevaux, et je dois avouer être un peu jaloux des cavaliers. Leurs montures sont magnifiques, très élégantes, avec une belle allure et visiblement  soignées avec amour. L’un des chevaux, Fiel (Loyal en espagnol), ne tient pas en place. Il recule de frayeur quand j’essaie de le caresser. Mais étrangement, il franchit le rideau de flammes sans hésiter… Comment pourrai-je être plus intimidante qu’un brasier ? 

"Personne, pas même les historiens locaux, ne sait d'où vient cette tradition unique en Espagne", écrit Marianne Barriaux. Certains la font remonter à 3.000 ans et à des rites purificateurs. Une théorie parmi d'autres. (AFP / Gabriel Bouys)

 

Gabriel : Vers 20 heures les choses sérieuses commencent : les hommes allument de grands brasiers avec des fagots de résineux, la fumée est censée purifier les chevaux, mais la tradition veut que les cavaliers traversent les flammes.

Il y a beaucoup de monde, des photographes plus au moins professionnels, des habitués plus ou moins sobres, avant que les chevaux arrivent il est de tradition de partager du vin à boire à la régalade. Il n’y a pas vraiment d’organisation, pas de règle de sécurité, la convivialité semble être la seule obligation.

"À neuf heures du soir, deux villageois ouvrent la marche en jouant du tambour et de la dulzaina, un hautbois traditionnel, suivis au trot par les cavaliers passant, un par un, tout près des brasiers". (AFP / Gabriel Bouys)

 

Gabriel: Le bois est humide car il a neigé la semaine dernière, la fumée est épaisse, je ne vois pas arriver le premier cheval et je me doute que la réciproque est vraie : en sortant du feu est-ce que le cheval et son cavalier vont me voir ?

Je choisis de commencer en haut du village par le « brasier AFP » surnommé ainsi par mes collègues, car il y a quelques années Pierre-Philippe Marcou, photographe à Madrid  a eu le pied cassé par un cheval à cet endroit.

Dans le blanc des yeux, ou pas loin. (AFP / Gabriel Bouys)

 

Marianne: L’avantage d’être une reporter texte est que je n’ai pas à suivre le conseil de Robert Capa. J’observe Gabriel à bonne distance, avant qu’il ne disparaisse dans la fumée et la foule. Le plus impressionnant est le bruit de la cavalcade qui approche, les cris de « Cuidado » (attention) lancés aux inconscients qui traversent la rue et la soudaine apparition des chevaux avec leurs cavaliers traversant le rideau de fumée. Un ou deux d’entre eux foncent dans un groupe de badauds, un homme part en boitillant, et je me demande comment il n'y a pas plus de casse.

"S'il veut passer, il passera. Et s'il ne veut pas ou prend peur, il ne passera pas", dit à Marianne un cavalier de 38 ans, Diego Martin, qui a grandi à Madrid mais dont les parents sont originaires de San Bartolomé. (AFP / Gabriel Bouys)

 

Gabriel :  Le premier cheval arrive, passe le feu, premières photos mais le passage des premiers chevaux détruit le brasier qui s’enfume, la visibilité est nulle, les silhouettes des chevaux sortent de la fumée épaisse.

La cinquantaine de chevaux passent plusieurs fois à travers les bûchers allumés dans un circuit dans les rues du petit village. Je me suis installé maintenant sur la place où le plus grand brasier est installé, la foule est dense et je me positionne à côté du villageois qui alimente le feu.

La fête se termine, je me sens en sécurité,  j’ai compris le circuit des chevaux et mon voisin a un peu abusé du vin rouge. C’est à ce moment-là que fonce sur nous un cheval qui n’est pas sur la bonne trajectoire. Le villageois va se relever sans mal, le vin doit être un bon anesthésiant et moi je me dis qu’il est temps de reculer un peu.

"En 2016, le Parti contre la maltraitance animale avait publié des vidéos montrant des cavaliers frappant leur monture et un des chevaux tombant par terre", écrit Marianne Barriaux. "Cette année, quelques participants étaient munis de cravaches, mais la plupart n'en avait pas. Beaucoup levaient les bras pendant le saut pour montrer que le cheval sautait sans y être forcé". (AFP / Gabriel Bouys)

 

Marianne: « Les défenseurs de la cause animale détestent cette fête. Ils pensent qu’elle terrorise les chevaux. Honnêtement, c’est difficile à dire. Je crois les habitants quand ils me disent que jamais ils ne mettraient leurs animaux chéris en danger. Ils s’en occupent si bien tout au long de l’année, alors pourquoi le feraient-ils ?

Je n’ai vu ni blessure ni brûlure. Ils franchissent le feu trop rapidement pour qu’il puisse y en avoir. Ce qui m’a fait peur ce ne sont pas les flammes mais le risque que l’un d’eux chute et se casse un membre sur les pavés des rues. Heureusement que ça n’est pas arrivé… »

"Une fois le défilé terminé, le vin coule à flots et la viande grille sur les braises encore chaudes, jusque tard dans la nuit", écrit Marianne Barriaux dans son reportage.. (AFP/ Gabriel Bouys)

 

Gabriel: Nous rentrons dans la nuit vers Madrid avec Marianne, la voiture sent le bois brulé, nos vêtements sont bons à jeter,  et je me dis qu’à deux heures de voiture de la capitale espagnole il y a des évènements sans service de presse, où il est encore possible de suivre le conseil de Capa, de s’approcher pour tenter de faire une bonne photo.

(AFP / Gabriel Bouys)

 

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