Des immeubles et des cheminées d'usine de Skopje, vus depuis les montagnes de Vodno, le 15 décembre 2017. La capitale de la Macédoine est une des villes plus polluées du monde. (AFP / Robert Atanasovski)

La ville en dessous

Skopje -- Maintenant qu'on construit des immeubles qui percent les nuages et la pollution, on sait qu'il y a une ville en dessous. Ma ville, où il fait souvent si mal de respirer.

Immeubles en construction de Skopje, vus depuis les montagnes de Vodno, qui ceinturent en partie la vielle. 15 décembre 2017. (AFP / Robert Atanasovski)

 

Quand je repense à mon enfance ou mon adolescence, je me souviens toujours du brouillard de l’hiver, un brouillard si épais que parfois on ne voyait plus rien devant soi.

Au point que si vous aviez la malchance de conduire une voiture, quelqu’un devait marcher devant pour vous guider.

Skopje est située dans ce qu’on appelle un « bassin structurel », autrement dit une cuvette, ceinturée de montagnes. Avec pour conséquence que le brouillard peut y stagner trois ou quatre jours de suite.

Sur un pont de Skopje, le 24 décembre 2017. (AFP / Robert Atanasovski)

 

Mais je n’ai pas souvenir qu’à l’époque quiconque ait parlé ou se soit inquiété d’une éventuelle pollution. Je crois que ça a changé il y a une dizaine d’années, quand nous avons réalisé que la ville se trouvait régulièrement au nombre des plus polluées dans le monde. La population a commencé alors à parler sérieusement de ce problème et de ses conséquences sur sa santé.

Depuis deux ou trois ans c’est devenu un des principaux sujets de conversation et la première cause de manifestations non politiques. Parce que c’est un problème qui touche tout le monde, sans exception.

Beaucoup d’organisations non-gouvernementales sont apparues pour essayer d’éduquer la population sur les conséquences de la pollution et les moyens de s’en protéger. Les partis politiques alors dans l’opposition se sont aussi emparés du sujet en accusant le gouvernement de droite au pouvoir depuis dix ans, au parlement comme à l’échelon local, d’avoir complètement négligé la question.

Un homme avec un masque à gaz lors d'une manifestation appelant les autorités à prendre des mesures contre la pollution, à Skopje, le 28 décembre 2016. (AFP / Robert Atanasovski)

 

Les partis ont inscrit la question comme une priorité de leur campagne électorale pour les dernières élections locales. La municipalité sortante à Skopje n’a pas amélioré les choses, au contraire, en autorisant l’abattage d’arbres au centre pour permettre la construction d’immeubles.

Depuis deux ou trois ans, difficile de rencontrer quelqu’un qui n’ait pas une application de téléphone mobile pour suivre le taux de pollution dans les villes de Macédoine. Il y en a même une développée dans le pays et dédiée à la qualité de l’air dans la capitale, « MojVozduh », qui a fait un tabac.

Dans une rue de Skopje, lors d'un pic de pollution, le 14 décembre 2017. (AFP / Robert Atanasovski)

 

Les ventes de masque pour se protéger de la pollution se portent très bien, particulièrement celles des plus chers qui permettent de filtrer les particules fines PM10.

Durant l’hiver quasiment tous les cyclistes portent un masque, comme les piétons quand il y a  des pics de pollution. Avec mes collègues nous blaguons sur le fait que la mode a changé à Skopje, en hiver en tout cas. Les masques ont remplacé les foulards comme accessoires.

Les jardins d’enfants et les écoles commencent à s’équiper de systèmes de filtration d‘air et des particuliers suivent le mouvement. Et visiblement, plus c'est cher, mieux c’est. Ils sont décidés à respirer un air propre, au moins quand ils se trouvent à la maison.

Cheminées d'usines à Skopje, 15 décembre 2017. (AFP / Robert Atanasovski)

 

La pollution ne se voit pas seulement. Elle se ressent aussi physiquement. Certains jours on a du mal à respirer, avec une sensation de brûlure dans la gorge. Avec pour autre conséquence qu’un rhume qui passait autrefois en trois ou quatre jours vous affecte pendant presque trois semaines.

Les maladies liées à cette plaie sont aussi plus fréquentes. C’est particulièrement dangereux pour les enfants et ceux qui souffrent des poumons.

La pollution démarre avec la saison d’hiver et le lancement des chauffages. Toutes les études indiquent que les foyers qui se chauffent de façon individuelle avec du bois, de l’alcool, du fioul ou du charbon y contribuent pour la moitié. La mauvaise isolation des habitations et le gaspillage de l’énergie font le reste. Un très petit nombre de logements bénéficient d’un chauffage central.

Skopje, depuis les montagnes de Vodno, 15 décembre 2017. (AFP / Robert Atanasovski)

 

Les nouveaux responsables de la ville ont introduit des mesures pour essayer de changer la situation. Elles se sont d’abord préoccupées d’éduquer la population avant de passer à des mesures plus concrètes, comme des restrictions à la circulation automobile.

Mais le véritable changement arrivera avec la transition à  des moyens de production d’énergie plus propres, comme le gaz. Ca arrivera mais ce n’est pas pour tout de suite. Il faut donc patienter encore cet hiver, pour que le chauffage des habitations cesse et la pollution avec lui.

Et en attendant quand j’ai besoin d’une bouffée d’air frais et l’envie de faire quelques photos je m’échappe sur une colline dominant Skopje. Particulièrement quand la pollution est telle qu’elle en devient gênante. D’habitude on ne distingue pas la ville à travers le brouillard. Ca fait des photos amusantes.

Heureusement maintenant nous avons trois buildings en construction qui percent le brouillard. On sait ainsi qu’il y a une ville dessous. 

Des immeubles de Skopje, vus depuis les montagnes de Vodno, 15 décembre 2017. (AFP / Robert Atanasovski)

 

Robert Atanasovski