Catastrophe silencieuse
Salamine (Grèce) -- A 16 ans, j'y avais passé l'été à me baigner. La mer y était claire. Maintenant tout a changé. La « petite » marée noire qui a frappé l'île de Salamine et la riviera athénienne après le naufrage, le 10 septembre, d'un tanker au large de la capitale grecque n'a pas fait la une ailleurs dans le monde. Les autorités l’ont jugée gérable. Mais elle mérite que l'on s'y arrête, pour illustrer au plus près la fragilité de notre environnement.
En 2001, j'avais passé l’été avec un ami à Salamine. L'île est toute proche d'Athènes, il est facile et pas cher d'y aller pour passer la journée. Je me souviens encore de ses eaux claires.
Je n'y étais pas retourné, jusqu'au naufrage du tanker Agia Zoni II. Il contenait 2.200 tonnes de pétrole, à comparer au désastre de l'Amoco Cadiz (220.000 tonnes).
Les deux premiers jours, personne n'a réalisé l'ampleur de la pollution, et quand j'ai pris le bateau le 12 septembre pour l'île, je ne savais pas ce qui m'attendait. Je suis d'abord allé sur la plage Selinia. Et c'est là que j'ai vu la mer noire, senti la forte odeur du pétrole.
J’ai ressenti une immense tristesse, j'étais désorienté. Cette mer bleu azur qui est en quelque sorte le signe distinctif de la Grèce, que j'ai si souvent photographiée dans toutes ses nuances, m'est apparue comme malade, changée. En même temps, elle conservait une beauté, mais paradoxale, inquiétante.
Je suis ensuite revenu sur l'île plusieurs jours d'affilée, pour illustrer cette catastrophe silencieuse que le mazout provoque sur les rivages, quand il s’y fond.
J’y y allé à l’aube, pour saisir cette lumière-là.
Pour rendre au mieux la transformation du paysage, j'ai utilisé des temps d’exposition longs, 30 secondes ou une minute, pour montrer à la fois le mazout qui avait été absorbé et celui qui recouvrait encore l’environnement naturel.
Pour Salamine et ses habitants, le coup est dur, y compris au niveau économique. C'est une île populaire, surtout fréquentée par les habitants de la zone portuaire et industrielle qui s'étend autour du Pirée, face à ses côtes.
Maintenant elle est empuantie par l'odeur du mazout, dont les masses noires empoisonnent les fonds marins. Les pêcheurs de la zone sont provisoirement au chômage. Les autorités se veulent rassurantes, annonçant que la côte sera nettoyée d'ici quelques semaines, et sur toutes les plages, des équipes de nettoyeurs s'activent. Mais je crains que les conséquences en soient durables.