Montrer la scène

Millas, Pyrénées-Orientales -- Je n'ai pensé qu'à une seule chose, pouvoir montrer la scène du drame de Millas, en esquivant les barrages. Bien sûr, ça te torture d'imaginer que ces gamins puissent être emportés comme ça. C'est important de voir comment.  

Je me trouvais chez moi, dans la banlieue de Perpignan, quand le bureau de Toulouse m’a prévenu qu’un train avait percuté un car scolaire à un passage à niveau à Millas. Il était environ 18h00.

Il m’a fallu trente ou quarante minutes pour arriver sur place. Tout le périmètre était déjà bouclé par les gendarmes. J’ai bien tenté des chemins parallèles, sans succès. C’est un endroit très rural, avec des vergers à fruits, et quantité de petits chemins, mais dans la nuit noire…

Pompiers et policiers sont à l'oeuvre là où le train, qui n'est pas visible ici, a percuté le bus scolaire, qu'on distingue à gauche des rails, le 14 décembre 2017, à Millas. (AFP / Raymond Roig)

 

Dans ces moments, je fonctionne « à l’ancienne », sans carte. J’ai consulté les gens du coin. Dans un petit village d’à-côté,  l’un d’eux m’a conseillé de faire ce que j’envisageais déjà : emprunter la voie ferrée.

J’ai garé ma voiture et je suis parti à pied. Quand j’ai aperçu la scène et les uniformes, je me suis tapi dans l’ombre. Ils ne m’ont pas vu.

J’ai travaillé au téléobjectif. Je ne pouvais pas m’approcher plus près. D’un côté de la voie il y avait des fourrés infranchissables, et de l’autre le village avec les gendarmes.

Au passage à niveau de Millas, le 14 décembre 2017. Quatre jours plus tard le bilan est de cinq morts et 18 blessés, dont six encore entre la vie et la mort. (AFP / Raymond Roig)

 

A ce moment, je ne pensais qu’à une chose, avoir une photo. Je ne suis pas resté longtemps. Parce que comme on dit, «il y avait le feu » : Paris m’appelait pour savoir si j’avais quelque chose, le Premier ministre était attendu sur place…

Au bout d’un quart d’heure, je suis reparti et j’ai transmis mes images depuis la voiture.

Je suis revenu le lendemain matin. Je voulais une vue plus générale de la scène, en arrivant de l’autre côté.

Avec la vidéaste de l’agence, Amélia Pujol, nous avons quitté Millas et emprunté une petite départementale bordée de champs. Je savais que dès que possible il faudrait prendre le premier chemin sur la droite, vers la voie ferrée. On s’est retrouvé sur une piste de terre un peu compliquée, bonne pour les 4x4.

Puis nous sommes tombés sur une petite route goudronnée, que je savais bloquée par les gendarmes aux deux bouts. Nous l’avons franchie discrètement avant de laisser la voiture derrière un bosquet de cyprès.

Un employé de la SNCF devant le TER qui a percuté le bus scolaire au passage à niveau de Millas, au lendemain de l'accident, le 15 décembre 2017. (AFP / Raymond Roig)

 

Nous avons continué à pied, en longeant la voie ferrée et sommes tombés rapidement sur l’avant du train. Nous avions à peine commencé à travailler que deux types en gilets orange, armés, ont surgi. J’ai bien essayé de parlementer mais ils nous ont ordonné de partir.

Nous sommes repassés dans un autre champ, où nous nous sommes planqués dans les herbes. A à peine plus de 50 mètres du bus. Je l’avais plein champ. J’ai fait ma série de photos et la JRI sa vidéo.

Au lendemain de la collision, le 15 décembre au matin, près de la voie ferrée. (AFP / Raymond Roig)

 

En repartant il a fallu jouer au chat et à la souris pour ne pas se faire prendre par les gendarmes. Ils étaient sur les traces d’un autre journaliste qui a eu la même idée que nous.

 

Je n’ai pensé qu’au travail. Mais la pensée des enfants ne m’a jamais quitté.    

Devant la mairie de Saint-Féliu-D'avall, le 7 décembre 2017, lors de la cérémonie à la mémoire des écoliers tués dans la colision de leur bus scolaire avec un train. (AFP / Pascal Pavani)
Un dessin à la mémoire de jeunes victimes de la collision, lors d'une cérémonie du souvenir, à Saint-Féliu-D'Avall, le 17 décembre 2017. (AFP / Pascal Pavani)

 

 

Raymond Roig