Penser aux faibles
Pékin -- Un des thèmes les plus importants du photojournalisme est celui des droits de l’Homme. C’est aussi l’un des plus motivants pour moi. Il explique sans doute pourquoi j’essaie depuis des mois de raconter l’histoire des villages de migrants qui entourent la capitale chinoise.
Ils ont poussé dans les faubourgs pour abriter les provinciaux qui effectuent les taches les plus modestes dans la métropole tentaculaire. Ils sont cuisiniers, femmes et hommes de ménage, déménageurs. Ce sont généralement les plus pauvres de la ville et d’après mon expérience, les plus aimables. Ils sont depuis peu la cible du gouvernement, qui cherche à les renvoyer chez eux en les expulsant.
Je suis tombé sur leur histoire il y a moins d’un an, lors d’un reportage sur le Village du pont noir, Heiqiaocun. Il est tout près de la ville et entièrement cerné de voies ferrées destinées aux tests de trains à grande vitesse. C’est une sorte d’îlot. J’y suis resté un peu parce qu’il était chaleureux et amical, - une vraie bouffée d’air frais pour qui habite Pékin-, mais aussi magnifique, plein de vie et d’énergie.
Ensuite, j’ai photographié d’autres villages de migrants. Houchang était plus petit que la moyenne et plus éloigné de la ville. J’y suis passé plusieurs fois au cours de l’été. Dès que je pouvais me libérer de la couverture de l’actualité, je venais y chercher des images. Après quelques temps, la rumeur s’est répandue que l’endroit pourrait être détruit. Alors, avec la reporter texte, Joanna Chiu, nous avons attendu. Et attendu.
Nous espérions pouvoir capturer le moment où les gens seraient expulsés. Mais vous ne savez jamais quand ça peut arriver. Les autorités ne préviennent pas, elles viennent quand elles veulent.
Nous sommes repassés un jour. Il ne restait presque plus personne. L’endroit que j’avais le plus photographié était quasiment scellé, ses entrées cimentées et surmontées de barbelés. Une porte était ouverte. Nous sommes entrés. C’était une partie du village que j’avais beaucoup photographiée parce qu’elle était pleine de vie. Elle était transformée en ville fantôme. En commençant à travailler j’ai reconnu des endroits que j’avais photographiés avant.
Je me suis dit que ça pourrait donner quelque chose de juxtaposer les deux. Il y avait tant de maisons dont les portes étaient fermées par des bandes de papier avec le sceau des autorités, là où se trouvaient jadis tant d’êtres humains. Je suis rentré au bureau pour y imprimer les photos d’avant. Parce que si je travaillais de mémoire je ne retrouverais pas le même angle de prise de vue. Là j’aurais l’image en main.
Nous avons eu la chance que cette partie du village n’ait pas encore été démolie. Je ne voulais pas simplement documenter une destruction. A Houchang, les gens sont partis, et en juxtaposant les photos d’avant et d’après on voit mieux la vie et la mort d’un village.
A un endroit se trouvaient cinq ruelles de vingt chambres sur chaque côté. Auparavant elles abritaient plus d’une centaine de foyers. Il n’y restait qu’une poignée d’habitants, attendant leur paie avant de quitter définitivement l’endroit. Comme Lin Huiqing, un déménageur, abrité chez un cousin dans une maison de l’autre côté de la rue, dans le même village.
Il existe quantité de communes similaires tout autour de Pékin. Leurs habitants sont plutôt pauvres, mais ce qu’ils gagnent en travaillant dans la capitale dépasse de loin ce qu’ils pourraient espérer toucher dans leur province.
Les gens auxquels nous avons parlé paraissaient plutôt résignés à leur sort. J’imagine que de toute façon, ils n’avaient pas d’autre choix. C’est exactement ce que nous a dit une femme : « Que puis-je faire ? »
C’est aussi pour cette raison que j’aime couvrir ces histoires. Ces gens sont complètement impuissants. S’ils sont contraints de bouger, ils bougeront. Ils ne peuvent pas y faire grand-chose, et s’ils tentent de s’y opposer ils auront encore plus de problèmes.
Nous allons continuer à couvrir l’histoire de ces villages, parce qu’elle est loin d’être terminée.
Ce billet a été écrit avec Yana Dlugy à Paris.