(AFP / Jekesai Njikizana)

Une pause interminable

Harare -- Une carte de presse zimbabwéenne est une chose précieuse. L’essentiel des médias locaux sont contrôlés par l’Etat et l’animosité du président Robert Mugabe envers les correspondants étrangers est légendaire.

C’est pourquoi, je n’ai pas hésité une seconde quand j’ai obtenu mon accréditation pour y couvrir un festival artistique.

Une carte de presse valable une semaine. Autant dire une rareté pour visiter un pays prêt à basculer dans le changement… Depuis vingt ans. 

Muni de mon laisser-passer en plastique, j’ai parlé avec tous ceux que j’ai pu rencontrer, des supporters de Mugabe, vétérans de guerre, chômeurs, femmes d’affaires, vendeurs de rue, chroniqueurs de mode, musiciens, politiciens, activistes, et tant d’autres.

L’objet de mon voyage était le Festival international des arts de Harare (HIFA), un évènement annuel promu par le gouvernement.

La chanteuse camerounaise Kareyce Fotso, avec son groupe, au Festival international des arts de Harare, le 4 mai 2017. (AFP / Jekesai Njikizana)

 

Créé en 1999, il a traversé des années de problèmes économiques et de troubles. Avant d’être annulé l’an dernier à cause de la crise financière aigüe du pays. Sa renaissance a donc été perçue comme un geste de défi.

L’évènement est l’une des rares occasions qu’a le jeune public d’écouter de la musique, s’amuser, boire et se mélanger jusque tard dans la nuit.

Mugabe dirige le Zimbabwe depuis l’obtention de son indépendance du colonisateur britannique, en 1980. L’optimisme des origines était nourri par l’espoir que le pays devienne un exemple du développement en Afrique, grâce à son fort secteur  agricole. Mais Mugabe, un des ex-dirigeants de la guérilla, a présidé une ère de corruption systématique, d’émigration de masse, d’élections truquées, d’exode financier et de répression brutale de toute dissidence.

De nos jours, l’essentiel du pays semble figé, comme par une touche « pause », avec un président toujours aux commandes à 93 ans.

Des écoliers composent une image du président Robert Mugabe, à l'occasion des célébrations pour le 37è Jour de l'Indépendance, dans le stade national à Harare, le 8 avril 2017. (AFP / Jekesai Njikizana)

 

Plusieurs participants au festival m’ont expliqué que plutôt que de parier sur une amélioration illusoire, ils préfèrent essayer de penser et vivre dans un monde parallèle à celui du régime.

« Nous sommes dirigés par un gouvernement qui veut tout contrôler. Mais nous devons mener notre propre vie, ouverte et libre, et autorisés à être ce que nous voulons être », m’a dit un graphiste dans un bar du festival proprement nommé « Etat paria ».

J’ai profité des journées pour explorer Harare, avec ses rues aux marchés animés, et les grands immeubles du centre, à l’abandon.

Une femme portant des provisions se met à l'abri pendant que des manifestants de l'opposition au pouvoir dressent une barricade contre la police, lors de manifestations pour une réforme électorale, à Harare, le 26 août 2016. (AFP / Zinyange Auntony)


Le vendredi, je me suis retrouvé dans le fond de la cathédrale du Sacré-Cœur, pendant la communion, admirant la puissante architecture Néo-gothique.

Le pasteur Evan Mawarire, qui a mené l'an dernier des manifestations contre le gouvernement de Robert Mugabe, est amené, menotté, au Tribunal d'instance de Harare, le 3 février 2017. (AFP / Jekesai Njikizana)

Mugabe y avait ses habitudes, mais le frêle personnage à la réputation féroce n’y a pas mis les pieds récemment.

Les fidèles sont des habitants du coin, dont beaucoup de sans-emploi. Le taux de chômage touche officiellement 90% de la population active.

L’affluence à l’office s’explique peut-être par le fait que la religion offre une forme d’espoir.

Un pasteur très populaire a pour habitude d’aller et venir dans les allées de son église, tout en prétendant parler avec Dieu dans son téléphone portable.

Les églises évangéliques se sont multipliées, comme celle dirigée par un activiste anti-Mugabe, Evan Mawarire. 

Dans le vieux Harare Club, datant de l’époque coloniale, je me suis promené dans le salon vide du bar, avec ses fauteuils de cuir rouge déchiré et ses croquis encadrés sous la poussière de politiciens blancs tombés dans l’oubli, portant habits et hauts de forme.    

Visitant à l’improviste le Tribunal d’instance, un mercredi matin, je suis tombé sur Promise Mkwananzi, un des principaux jeunes activistes anti-Mugabe, dans le box des accusés.

Il avait la tête nonchalamment appuyée contre l’un des panneaux de bois sombre tapissant la Chambre numéro 6, pendant que son avocat questionnait adroitement des policiers à la barre des témoins, sous l’œil d’un juge féminin.

L’affaire, fondée sur une plainte criminelle de trouble à l’ordre public lors d’une manifestation l’an dernier, a été ajournée, à la grande satisfaction de Mkwananzi. Il est parti déjeuner avec le sourire après s’être félicité des efforts méritoires de son avocat. J’ai appris, après avoir quitté le Zimbabwe, qu’il avait été acquitté.

En survolant les journaux du jour dans notre bureau de Harare, j’ai été surpris de voir à quel point une critique véhémente du pouvoir y était tolérée.

Un titre de Une m’est resté en mémoire : « Mugabe vit dans un nuage de dingos ». Ou encore : « La crise des liquidités expose la nullité du gouvernement ».

Mais une vague de contestation l’an dernier est depuis retombée, et Mugabe règne sans partage depuis le palais présidentiel, sa résidence officielle, lourdement gardée.

Manifestation du Mouvement pour le changement démocratique (MDC), à Harare le 4 avril 2016. Avec le slogan: "Le vieux Mugabe sans idée doit partir". (AFP / Jekesai Njikizana)
Un supporter du président, lors de sa dernière cérémonie d'investiture, le 22 août 2013 à Harare. (AFP / Alexander Joe)

 

 

Pendant le week-end, je me suis rendu aux courses hippiques de Borrowdale avec mes collègues zimbabwéens de l’AFP, pour une histoire consacrée aux conséquences de la crise économique sur ce sport auparavant en plein essor.

Comme beaucoup d’autres secteurs de la société, le monde des courses essaie de faire bonne figure. Il manque de moyens, a l’air un peu décati, mais s’accroche à l’espoir qu’un changement surviendra

Pendant une course, à l'hippodrome de Borrowdale, 6 mai 2017. (AFP / Jekesai Njikizana)

 

Soutenir un cheval jusqu’au poteau, pourquoi pas placer un pari et boire une bière, procurent de petites joies permettant d’échapper au sentiment écrasant de vivre dans un pays en suspens.

Le Zimbabwe changera, probablement bientôt et rapidement. Ce sera peut-être mieux, sans garantie que ça n’empire pas.

Des politiciens d’opposition ont parlé de leurs plans pour s’unir et chasser Mugabe du pouvoir lors des élections l’an prochain.

Leurs chances semblent infimes, mais ce pourrait être un moment décisif dans l’histoire de ce pays.

Et puis, même si cela semble parfois difficile à croire,  Mugabe n’est pas éternel. L’avenir, quel qu’il soit, réserve beaucoup de choses à rapporter. 

Un manifestant lance un panneau de rue portant le nom du président, lors d'affrontements avec la police durant une manifestation pour la réforme électorale, le 26 août 2016, à Harare. (AFP / Wilfred Kajese)


 

Ben Sheppard