Au fond du puits

Washington -- A chaque fois que ça me tombe dessus, ça me fait des nœuds à l’estomac. C’est la partie la plus ingrate de mon métier: photographier une personne assise face à vous. Il n’y a pas d’action.  Vous êtes en permanence à l’affut du petit truc qui fera la différence. D’un autre côté, si vous le trouvez, c’est un sacré plaisir.

Le travail en question, ce sont les auditions au Congrès américain. Il s’agit d’évènements politiques parfois très importants. Avec de hauts responsables appelés à témoigner devant les commissions de parlementaires de la Chambre des représentants ou du Sénat. Des personnes du calibre d’Hillary Clinton ou de l’ex-chef du FBI James Comey. 

Décembre 2009. Hillary Clinton, alors secrétaire d’Etat, s’ennuie visiblement autant que moi. Elle attend d’être auditionnée sur la décision du président Barack Obama d’envoyer plus de troupes en Afghanistan, et semble déjà connaître les conclusions de cette épreuve. Comme si tout cela n’était qu’une grande perte de temps. (AFP / Jim Watson)


 

Tous nos clients attendent leurs photos. Mais en tant que photographe, c’est tout sauf excitant. A chaque fois que mon chef m’envoie là-bas, je me tasse dans mon fauteuil de bureau. Ca fait douze ans que je me prête à l’exercice, et j’ai toujours la même réaction.

La photo à ne pas rater. L'ancienne numéro 2 de la Justice Sally Yates et l'ex-directeur du renseignement James Clapper prêtent serment avant une audition de la commission de la justice du Sénat, le 8 mai 2017. (AFP / Jim Watson)

Le fait de travailler pour une agence de presse impose des contraintes particulières. Il est indispensable que nous soyons en position centrale, pour saisir la personne auditionnée à son arrivée, et quand elle prête serment.

Cela implique d'arriver au moins une heure à l'avance, pour être certain d'avoir la position idoine. Comme il y a de plus en plus de concurrence, il faut arriver de plus en plus tôt, j'ai l'impression. Au point que parfois, quand les portes sont encore fermées, il faille jouer des coudes pour être  bien placé.

Une fois dans la place, on s'installe, et on attend, en discutant avec les collègues. Ca ne fait qu'ajouter à une journée qui s'annonce bien longue.

Le travail consiste à prendre des photos depuis une position bien particulière, appelée “le puits”. C’est à dire depuis le sol, face à la table derrière laquelle se tient la personne auditionnée. On se tasse avec une dizaine de collègues, à même le sol, dans un espace si exigu que tous les angles de prise de vue possible ont déjà été expérimentés mille fois.

La commission sur le renseignement du Sénat siège à gauche, l'ex-directeur du FBI James Comey, auditionné le 8 juin 2017, est assis à droite, et les photographes sont assis au milieu, dans "le puits". (AFP / Mandel Ngan)
Vue de l'ex-directeur du FBI James Comey lors de son audition devant la commission du renseignement du Sénat, depuis la position des photographes dans "le puits", le 8 juin 2017. (AFP / Brendan Smialowski)

 

Cela vous oblige à penser différemment, et à guetter l’instant où le sujet va vous offrir une expression sortant de l’ordinaire.

Mais avant cela, il s’agit de fournir le minimum, la photo de base. Une fois prise, vous sortez, vous transmettez, et vous revenez, pour essayer de faire mieux. 

Juste avant le début de l'audition, les photographes sont autorisés à travailler debout. Une fois commencée, ils doivent s'asseoir au sol ou se mettre à genoux. Ici, le chef de la banque Goldman Sachs, Lloyd Blankfein, témoigne devant une commission du Sénat,le 27 avril 2010. (AFP / Jim Watson)

 

On se trouve dans une position un peu ridicule, parce qu’il est interdit de se tenir debout. Donc on se déplace à genoux, ou à quatre pattes, en poussant son matériel devant soi.  

A ce rythme, vous loupez toujours quelque chose. A moins que ce ne soit vos collègues… Comme quand James Comey est venu témoigner. Mes copains sont sortis transmettre leurs premières photos. Mais avec mon éditeur, nous avions décidé que je transmettrai directement depuis l’appareil-photo. C’est le moment qu’a choisi Comey pour devenir assez agité, en évoquant l’affaire des e-mails d’Hillary Clinton. Ca a donné d’excellentes images. 

L'ex-directeur du FBI James Comey lors de son audition devant la commission des affaires judiciaires du Sénat, le 3 mai 2017. (AFP / Jim Watson)

 

Le truc pénible est que l’audition peut durer des heures, sans une seule photo qui vaille le coup. Ca dépend aussi du personnage. Prenez Sally Yates, l’ancienne numéro 2 du ministère de la Justice. Elle est très difficile à photographier parce qu’elle reste parfaitement impassible, sans changer vraiment d’expression, même sous le feu des critiques de sénateurs.

C’est pendant son audition que j’ai obtenu un joli cliché, mais de l’ancien directeur du renseignement, James Clapper.

Il est visiblemen exaspéré par la répétition de questions auxquelles il a expliqué ne pouvoir répondre en public, à cause du secret entourant le sujet.

L'ancien directeur du renseignement James Clapper, le 8 mai 2017, devant la commission des affaires judiciaires du Sénat. (AFP / Jim Watson)

 

Après toutes ces années à couvrir des auditions, j'ai en tête une petite collection de moments particuliers:

Ici, l’ancien secrétaire d’Etat au Trésor Timothy Geithner est questionné par la commission du budget de la Chambre des représentants. Je me souviens m’être aplati dans le “puits”, en attendant qu’il relève la tête pour déclencher. Il défend le projet de budget devant la commission. En bref, il a besoin d’argent et a l’air furieux d’être en position de demandeur.

L'ex secrétaire au Trésor Timothy Geithner devant la commission du budget de la Chambre des représentants, le 16 février 2011. (AFP / Jim Watson)


 

L’ancien directeur du FBI, Robert Mueller a tout l’air d’en avoir assez de répondre à des questions. Ce n’est certainement pas ma meilleure photo, mais elle permet de pimenter le quotidien et fournit en même temps du contexte à la couverture politique du moment.

L'ex-direcetur du FBI Robert Mueller devant une commission du Congrès le 2 mai 2006. (AFP/ Jim Watson )


 

Pour avoir une vraie contre-plongée, j’ai posé mon appareil au sol et utilisé l’écran de l’arrière du boitier pour cadrer la photo. Le chef du FBI s’apprête à lever la main pour prêter serment. Il a cet air vraiment déterminé. Il a été viré par le président Trump quelques jours plus tard.

L'ex-directeur du FBI James Comey, se prépare à témoigner devant la commission des affaires judiciaires du Sénat, le 3 mai 2017. (AFP/ Jim Watson)

 

L’ex-secrétaire d’Etat Hillary Clinton est auditionnée par la commission des Affaires étrangères du Sénat sur la situation en Afghanistan et au Pakistan. Prise sous cet angle, elle paraît bien seule, comme si elle devait se défendre dans un procès dans lequel des hommes en colère, face à elle, disputeraient ses décisions. 

Hillary Clinton devant la commission des Affaires étrangères du Sénat, le 23 juin 2011. (AFP / Jim Watson)

 

L’ex-secrétaire à la Défense, Robert Gates porte un plâtre après s’être cassé la figure en glissant sur une plaque de verglas. Il ne peut enfiler qu’une manche. Le résultat est un peu bizarre, mais visiblement le protocole exige que le secrétaire à la Défense porte un costume, bras cassé ou pas.

L'ex-secrétaire à la Défense Robert Gates devant la commission des forces armées du Sénat, le 27 janvier 2009. (AFP / Jim Watson)

 

Cette photo du chef de la majorité au Sénat, Harry Reid, est une autre façon de raconter une histoire. Il y avait un énorme intérêt des médias pour un plan de sauvetage de Wall Street avec 700 milliards de dollars. Cet angle l’illustre bien mieux que l’énième portrait d’un responsable derrière son pupitre.

L'ex-chef de la majorité au Sénat Harry Reid, le 1er octobre 2008. (AFP / Jim Watson)

 

Je me retrouve dans une salle d’audition vide, avec juste un sténo, que personne n’a visiblement prévenu que la séance d’audition d’un candidat pour le poste de secrétaire au Trésor a été annulée. 

La salle des auditons de la commission des finances du Sénat, 31 janvier 2017. (AFP / Jim Watson)

 

Chaque année il y a une célébration de la fête de la nativité sur la colline du Capitole. Avec un groupe de croyants qui fait une sorte de procession. C’est assez répétitif. Mais pour l’occasion, j’ai repéré un chameau récalcitrant, qui n’avait visiblement aucune envie de participer.

Devant le Capitole, avant Noël, 3 décembre 2017. (AFP / Jim Watson)

Ce blog a été écrit avec Yana Dlugy à Paris.

Jim Watson