Une odeur mortelle

Khan Cheikhoun, Syrie - Mohamed Bakour Khan était chez lui,  à 15 kilomètres. Omar Haj Kadour, un peu plus loin, quand une attaque "chimique aérienne" a frappé la petite ville syrienne de Khan Cheikhoun, mardi 4 avril. Les deux photographes pigistes se sont mis en route pendant que les premières images d’enfants morts, yeux grand ouverts commençaient à circuler sur les réseaux sociaux. Voici leur récit.

 

L'alerte

Mohamed al-Bakour - J’étais chez moi quand j’ai été alerté par réseau sans-fil d’une attaque aérienne avec des gaz contre Khan Cheikhoun, qui n’est pas très loin de ma ville, Maaret al-Numan. J’ai entendu qu’on venait d’y transporter des blessés graves en provenance de l’endroit où avait eu lieu l’attaque.

Omar Haj Kadour - Je me trouvais dans la ville de Binnish. Quand j’ai entendu la nouvelle que ça pouvait être une attaque à l’arme chimique mon premier réflexe a été de me rendre à Khan Cheikhoun. C’est à environ 75 km de chez moi, plus au sud, dans la province d’Idlib.

Un enfant syrien, inconscient, à l'hôpital de Khan Cheikhoun, après une attaque "chimique aérienne", selon un responsable de l'ONU, le 4 avril 2017. (AFP / Omar Haj Kadour)
Hôpital de Khan Cheikhoun, le 4 avril 2017, après l'attaque aérienne. (AFP / Omar Haj Kadour)

 

 

L'odeur

Mohamed - Quand je suis arrivé à l’hôpital de Maaret al-Numan, il y avait cette odeur mauvaise qui planait sur tout l’endroit. J’ai vu des enfants couchés sur des lits, entourés de médecins et d’infirmiers qui tentaient de les sauver avec des masques à oxygène. J’ai décidé de me concentrer sur les enfants, sur les victimes de ce crime horrible.  

Omar - En arrivant à l’hôpital de Khan Cheikhoun, j’ai remarqué cette odeur bizarre. Et puis j’ai vu cet homme, avec sa fille. C’est ma première photo sur place. Ils ont essayé de soigner l’enfant mais ils ne sont arrivés à rien, parce qu’elle était morte. Sur le moment j’étais concentré sur elle. Après j’ai été submergé de tristesse, et son père plus encore, il pleurait.

Une petite fille, inconsciente, est examinée par un infirmier, sous les yeux de son père, à l'hôpital de Khan Cheikhoun, le 4 avril 2017, après une attaque qualifiée de "chimique aérienne" par un responsable de l'ONU. (AFP / Omar Haj Kadour)
La petite fille est décédée. 4 avril 2017. (AFP / Omar Haj Kadour)

 

 

Ce qu'on ne peut pas oublier

Mohamed - Ce qu’on ne peut pas oublier ? L’image des enfants en train de mourir, de leurs corps qui tremblent, à cause de la peur et du manque d’oxygène, de leur vulnérabilité. L’image d’enfants allongés à mes pieds, et pour lesquels je ne peux rien faire.

J’ai un frère plus âgé qui a un garçon de deux ans. Bien sûr, j’ai peur pour lui. Mais j’essaie de ne pas y penser, je dois continuer à travailler pour rapporter ces crimes.

Omar - Ce que je n’oublie pas c’est cette petite fille, et la femme dont j’ai  photographié le corps dehors. J’ai regardé son visage. Pour moi, il était clair qu’elle portait tous les signes d’une attaque chimique. J’ai vu la même chose sur des images après celle survenue près de Damas. Une autre chose que je n’oublierai pas c’est qu’alors que nous nous trouvions dans l’hôpital de Khan Cheikhoun, il a été bombardé. J’ai pu m’extirper des gravats, Dieu merci.

Je pense beaucoup aux enfants, surtout à mes nièces. Ce sont les seuls enfants de la famille qui soient restés à Binnish. J’ai peur pour elles, comme ma sœur à peur pour elles. Elle a peur aussi pour sa nouveau-née, et pour ce que l’avenir lui réserve. Je pense beaucoup à elles toutes, surtout pendant que je prends des photos, et je me dis « et si c’était elles », en priant Dieu que ça n’arrive jamais. 

Ce billet a été écrit avec Amir Makar à Nicosie et  Pierre Célérier à Paris. 

 

Omar Haj-Kadour
Mohamed Al-Bakour