Une sirène sous la glace

Somero, Finlande -- La première fois que je l’ai vue sous la glace, je me suis dit: “c’est la première sirène que je rencontre”. Elle en avait tous les attributs, grâce incluse. Elle n’a pas semblée me remarquer. D’un coup de nageoire, elle a poursuivi son chemin, entre la glace et le noir des profondeurs. Dans son monde.

(AFP / Olivier Morin)

C’est un peu la caractéristique des plongeurs en apnée. Ils ne réagissent pas comme vous et moi. Ils sont beaucoup plus calmes. Ils ne répondent pas immédiatement quand on s’adresse à eux. Il y a toujours un petit délai. Comme si rien ne pouvait les atteindre directement. Ils prennent le temps de réfléchir un peu, avant de vous répondre.

Cette attitude un peu « zen » est essentielle à leur activité. Quand vous pratiquez la plongée en apnée, le calme est une nécessité absolue. Et céder à la panique un interdit. Parce que sinon, on risque gros. Donc, quand ils sont dans l’eau, les apnéistes sont dans un état de concentration absolue. Leur esprit est tourné exclusivement vers l’objectif qu’ils se sont fixés. Et j’imagine que cette façon d’être se traduit aussi en dehors de l’eau.

Avec Johanna Nordblad, le défi est double, parce qu’elle pratique l’apnée sous la glace, dans une eau à peine au-dessus de zéro degré Celsius. 

(AFP / Olivier Morin)
(AFP / Olivier Morin)

 

Dessinatrice d’animation, cette Finlandaise de 42 ans est un personnage singulier. Elle occupe son temps libre aussi bien avec du motocross que du snowboard ou du VTT. Et avant tout avec la plongée en apnée. A 29 ans, elle a établi un record féminin de profondeur, avec palmes, à 158 mètres. Avec une capacité à retenir sa respiration pendant six minutes.

C’est à la suite d’un grave accident à vélo, qui a brisé en morceaux les os d’une jambe, qu’elle a découvert les vertus de l’eau glacée. Elle l’a utilisée pour soulager les douleurs de la rééducation. Et Joanna a mis à profit l’expérience pour se remettre à l’apnée, en eau froide cette fois.  

(AFP / Olivier Morin)

Elle a même établi un record, très personnel, et mondial par la même occasion. En 2015, elle parvient à nager 50 mètres sous la glace. Elle s’entraîne maintenant pour aller au-delà, avec pour 2018 et en ligne de mire, le record d’un homme, le danois Stig Avall Severinsen, avec 76,2 mètres sous la glace.

Johanna et sa soeur Elina pratiquent une ouverture dans la glace du lac. (AFP / Olivier Morin)

Pour la séance photo, nous sommes arrivés au lac tôt le matin.

Il a d’abord fallu découper  deux ouvertures dans la glace épaisse. Un triangle, pour commencer, d’un mètre de côté. Pourquoi un triangle ? Parce que c’est le plus simple à scier. Après nous avons ouvert un rectangle, pour passer avec tout mon équipement de plongée.

Pour arriver à nos fins nous avons percé des trous, puis utilisé une scie, à main d’abord, puis électrique. En tout, six heures de labeur.

Et puis on s’est mis au travail.

Johanna a une routine bien à elle. Vingt minutes dans l’eau, suivies par un temps équivalent dans le sauna, pour se réchauffer. Puis une nouvelle session, et ainsi de suite. Elle commence toujours avec une combinaison de plongée, et termine avec un simple maillot de bain. Vêtue de ce dernier, elle tient quand même six à sept minutes dans l’eau.

Comme Johanna se trouvait sans plongeur de sécurité pour l’accompagner nous avons creusé des trous distants de seulement dix mètres.

Une chose surprenante quand on plonge pour la première fois dans un lac gelé est à quel point il y fait sombre. Il y a une épaisse couche de glace, de plusieurs dizaines de centimètres, couverte d’un manteau de neige. Le tout diffuse une lumière pâle, qui cède très vite la place au noir complet. Ca efface tout moyen de se repérer sur le fond.

Dans l'obscurité, sous la glace. (AFP / Olivier Morin)

Le vrai danger est qu’en levant la tête, on ne distingue pas les trous d’air des bulles prisonnières de la glace. La seule façon d’identifier la sortie est de descendre avant de regarder vers la surface. La tâche de lumière indique la sortie.  

Il est très facile de se perdre. Ça m’est arrivé. Ce qui n’était pas vraiment un problème pour moi. J’avais des bouteilles d’oxygène avec une grande réserve. J’ai plongé plus profond, regardé vers le haut, et repéré le trou d’air. Un apnéiste n’a pas ce luxe, juste son souffle. Johanna peut retenir le sien pendant trois minutes dans l’eau glacée.

C’est long, et en même temps ça ne laisse aucune marge pour paniquer par exemple. Ni pour avoir peur. Il n’y a pas de peur chez elle. Il n’y a qu’une détermination froide.

Johanna Nordblad. (AFP / Olivier Morin)
Johanna Nordblad. (AFP / Olivier Morin)

 

 

Sa transformation commence avant même qu’elle ne se glisse dans l’eau. Elle est déjà dans un monde à elle. Cela ressemble à une transe. Quand elle s’assoit sur la glace, puis se glisse dans l’eau, elle ne marque même pas de pause, comme si elle était insensible au choc du froid. 

 

Et quand elle plonge, on voit tout de suite qu’elle appartient à l’élément liquide. Elle s’y glisse sans effort, avec le naturel d’une otarie. Un peu comme un mammifère marin. Et j’utilise ce terme sans aucune ironie ou idée de moquerie.

(AFP / Olivier Morin)

L’image de la sirène vient elle aussi naturellement, en la regardant évoluer sous l’eau. Johanna préfère utiliser une monopalme. Une seule impulsion lui fait franchir sept à huit mètres.

Une impulsion si gracieuse qu’il est aisé de la confondre avec la légendaire créature marine, glissant dans l’eau à 1 degré, sous la glace. 

Ce blog a été écrit avec Yana Dlugy à Paris.

Olivier Morin