Six minutes de soleil

Moscou -- C’est devenu insupportable à la fin décembre. J’ai traversé bon nombre d’hivers russes dans mon existence, mais là j’ai touché le fond. Il n’y avait plus de soleil. Un ciel gris peut plomber la capitale en hiver, mais il y a au moins une journée ensoleillée par semaine ou deux. Et là, j’ai compté : six minutes en un mois. Six minutes.

Et en plus il n’y avait pas de neige. Si j’ai retenu une chose de mes deux précédents séjours c’est que la couverture blanche des flocons adoucit la dureté apparente de la capitale russe.

Dans un parc du centre de Moscou. 18 janvier 2018. (AFP / Mladen Antonov)
Statue de Vladimir Lénine, à Kostroma, 24 janvier 2018. (AFP / Mladen Antonov)

 

Mais elle n’est pas à l’abri du changement climatique. Depuis quelques décennies les hivers sont moins rudes. Ils duraient généralement de novembre à mars. Ce mois de décembre la température est repassée au-dessus de zéro Celsius et la neige était largement absente.

Décorations de Noël dans une rue du centre de la capitale russe, le 18 décembre 2017. (AFP / Mladen Antonov)
Selfie sur la place du Manège, près du Kremlin à Moscou, 18 décembre 2017. (AFP / Mladen Antonov)

 

Pour être franc je déteste l’hiver russe. En deux mots il est froid et sale. Parce que quand le froid s’installe, la moyenne est à -15. Et sale, parce que la ville ne reste jamais blanche après une chute de neige. Maintenant, si je mets mes impressions personnelles de côté, photographier des scènes d’hiver reste un vrai plaisir.

Sur la Place Rouge, devant la cathédrale Saint Basile, le 31 janvier 2018. (AFP / Mladen Antonov)
Sur la Volga, gelée, à Kostroma, le 24 janvier 2018. La pêche sur glace est un passe-temps traditionnel en Russie l'hiver. (AFP / Mladen Antonov)
Le kremlin de Souzdal, 23 janvier 2018. (AFP / Mladen Antonov)

Pour moi qui ai habité à Washington avant de venir ici le véritable changement est qu’à Moscou rien ne s’arrête. Dans la capitale américaine une grosse chute de neige paralyse toute activité. Les écoles ferment. Les gens ne vont pas travailler. Les administrations s’arrêtent. Et les gens sortent pour profiter de la neige.   

Ici, à l’inverse, tout continue à l’ordinaire.

Les personnes âgées sont dehors.

Des "babouchkas" dans une rue de Souzdal, le 23 janvier 2018. (AFP / Mladen Antonov)

Les jeunes aussi.

A Nijni-Novgorod, à l'est de Moscou, le 21 janvier 2018. (AFP / Mladen Antonov)

Et la vie se poursuit, avec ou sans plaque de glace.

Un bateau mouche sur la Moskova, devant le Kremlin à Moscou, le 27 janvier 2018. (AFP / Mladen Antonov)

Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faille pas s’adapter. Si je sais que je passerai plus d’une heure dehors j’enfile une paire de caleçon long sous mon jean. Si c’est pour couvrir un match de foot je passe aux pantalons coupe-vent. 

Un joueur de football amateur avec sa paire de "valenki", des bottes traditionnelles en feutre très utilisées par grand froid. Celles ci portent le logo de la Coupe du monde de football 2018 qui se tiendra en Russie. (AFP / Mladen Antonov)

Et je n’oublie jamais un couvre-chef. Surtout un chauve comme moi. Et si je ne le porte pas il y a toujours quelqu’un, généralement une vieille dame pour me prévenir : « jeune homme vous devriez porter un chapeau ». Ici, on est un jeune homme jusqu’à environ 60 ans.

Dans le métro moscovite, 1er février 2018. (AFP / Mladen Antonov)

Il y a les règles, et puis il y a des moscovites qui déploient leur caractère jusqu’en plein hiver. J’étais sur la Place Rouge l’autre jour, en faisant bien attention à ne pas déraper sur les gros pavés enneigés. Et cette femme est passée tranquillement perchée sur ses talons aiguilles, comme si elle défilait.

Un croyant orthodoxe se plonge dans l'eau glacée à l'occasion de la fête de l'Epiphanie, à Ismaïlovo, à Moscou, le 19 janvier 2018. (AFP / Mladen Antonov)

Une des choses qu’on trouve partout en hiver à Moscou ce sont des patinoires et des allées gelées. On dirait que tout le monde est adepte de patinage.

Patinage dans les allées gelées d'un parc moscovite, 1er mars 2018. (AFP / Mladen Antonov)
Moscou, 1er mars 2018. (AFP / Mladen Antonov)

 

L’atmosphère y est très festive, avec des lumières et de la musique. De la pop russe et occidentale des années 80 et 90.

Moscou, 8 janvier 2018. (AFP / Mladen Antonov)

C’est pour les enfants que l’hiver est spécial. J’ai des amis moscovites qui adorent l’hiver parce qu’ils en conservent les souvenirs d’enfance. En s’accumulant, les chutes de neige produisaient de véritables monticules, particulièrement dans les quartiers-dortoirs un peu excentrés.  

Chaque groupe d’immeubles, avec sa cour centrale, concentrait une bande d’enfants jouant dans la neige. On trouvait aussi une petite patinoire et une piste de luge improvisée sur un tas de neige.

Les étangs du Patriarche, au centre de Moscou, le 4 mars 2018. (AFP / Mladen Antonov)

Avant je pouvais faire de très jolies photos des vitres givrées. Généralement celles des transports en commun. Maintenant il faut que je me trouve en province pour les faire. Parce que les bus et trolleys moscovites sont bien chauffés.

Une femme derrière la vitre d'un bus, à Iaroslav, le 25 janvier 2018. (AFP / Mladen Antonov)
La cathédrale du monastère Nikitsky, à Pereslavl-Zalessky, au nord-est de Moscou, le 25 janvier 2018. (AFP / Mladen Antonov)

 

Faire de la photo dans ces conditions n’est pas toujours simple. Il faut accepter qu’au bout d’un moment on aura les doigts gelés. Il faut aussi des batteries de rechange, conservées bien au chaud contre soi, et les sortir juste quand on en a besoin. Sinon, elles cessent de fonctionner au bout d’un quart d’heure.

Mais le résultat vaut bien ces quelques efforts.

Au fond, même si je n’aime pas l’hiver russe, je continue de prendre plaisir à y travailler. C’est le premier que je traverse depuis dix ans. Je pensais qu’il serait beaucoup plus désagréable. Mais cette fois j’ai un appartement avec de grandes fenêtres, qui apportent beaucoup de lumière naturelle. Même quand le soleil se fait rare. Et quand ce dernier apparaît, alors là, c’est le paradis. Un peu comme des vacances.

Dans un parc moscovite, le 8 mars 2018. (AFP / Mladen Antonov)
Au parc Gorky, Moscou, le 8 mars 2018. (AFP / Mladen Antonov)

 

Ce billet a été écrit avec Yana Dlugy à Paris.

Taxi moscovite, 4 mars 2018. (AFP / Mladen Antonov)

 

Mladen Antonov