Back in the USSR.... une fois de plus
Moscou – A chaque fois que je quitte la Russie je me dis que c’est bon, c’est définitif. Et puis j’y retourne. C’est ma troisième installation.
Ayant passé ma jeunesse en Bulgarie, j’ai toujours eu des sentiments mitigés envers l’ancien « grand-frère » du camp soviétique. Comme tous mes camarades de classe j’ai dû apprendre le russe à l’école et écouter les discours lénifiants à la gloire de l’URSS. Je ne peux pas dire que nous en soyons sortis convaincus de leur véracité.
Mais être russophone s’est révélé très utile pour couvrir le putsch de 1991 qui a marqué le début de la fin de l’Union soviétique. J’étais photographe dans les Balkans pour l’agence EPA quand on m’a envoyé à Moscou. J’y ai passé 20 jours avant d’y retourner quelques semaines plus tard, pour trois ans cette fois.
C’était un boulot fantastique. Personne n’aurait pu imaginer, même quelques mois avant, que nous serions amenés à couvrir l’effondrement de l’Union soviétique et tous les bouleversements qu’il devait entrainer.
J’ai quitté la Russie en 1994 pour couvrir l’actualité dans les Balkans et la région. J’y suis retourné en 2003, pour l’AFP cette fois comme chef photo pour l’est de l’Europe basé à Moscou. Le travail était trop intéressant pour décliner cette offre. J’en suis reparti en 2006, en me promettant que cette fois c’était pour de bon. Je me disais que finalement je n’étais pas fait pour ce pays. Une question de karma sans doute.
J’ai passé cinq ans comme rédacteur en chef photo à Paris, avant de m’installer à Washington comme chef photo pour l’Amérique du nord. Et puis… on m’a fait une nouvelle proposition, que je n’ai pas pu refuser que les précédentes: revenir en Russie comme correspondant spécial chargé de préparer la couverture de la Coupe du monde de football 2018.
Et donc me revoici à pied d’œuvre. Je dois avouer que même si à chaque fois je me dis « Plus de Russie, merci », je ne regrette pas de m’y retrouver.
L’endroit n’a plus grand-chose à voir avec celui que j’ai quitté il y a dix ans, et encore moins avec celui où je me trouvais, « pour la dernière fois », en 1994.
Le changement le plus frappant concerne les jeunes. C’est vraiment une nouvelle génération. Il y a dix ans, typiquement, il s’agissait d’adolescents ivres avec une bière à la main dans un parc. Aujourd’hui, même en les cherchant, on ne les trouverait pas. Ceux que je vois dansent, font du skate, du roller. Ils ont un visage et une apparence différents, très ouverts, modernes. Bien entendu il ne s’agit que de Moscou, et pas de la Russie. Mais le changement n’en reste pas moins frappant.
Avant, les parcs étaient plein de personnes âgées. Les jeunes ont pris leur place. On pourrait se trouver dans n’importe quelle capitale occidentale. A cette différence près qu’ils ont l’air encore plus rebelle, avec des chevelures teintes en rose, jaune et vert. Et des filles avec des talons hauts et du maquillage. Aux Etats-Unis elles sont en claquettes et sans fard. En revanche, les mini-jupes ont cédé le terrain aux jeans skinny.
Pour un photographe, c’est le rêve. Avant, il y avait toujours quelqu’un dans la rue pour protester si je le photographiais ou me tourner le dos. Maintenant, on m’ignore. Les gens s’en fichent. C’est l’idéal, cela permet de se fondre dans le décor pour travailler.
On peut prendre des photos dans des endroits où c’était auparavant impossible, comme le métro de Moscou, ou le grand magasin Goum sur la place Rouge. Même sur cette dernière, qui jouxte le palais du Kremlin, l’atmosphère est détendue. Avant, en collant l’œil au viseur de mon appareil je m’attendais toujours à sentir sur mon épaule la main d’un policier me demandant d’arrêter. Aujourd’hui, je suis comme invisible, et même les touristes prennent des libertés, en faisant des selfies allongés sur les pavés.
Autre changement notable, les expressions de patriotisme et de nationalisme. L’amour de la « Mère Russie » est partout. En toute occasion on célèbre sa soi-disant supériorité. Le drapeau national est omniprésent. Sur les T-shirts, les souvenirs, de petits objets. Un des T-shirt les plus populaires porte le slogan : « Nous les vaincrons ». On ne sait pas trop de quel adversaire il s’agit.
A la télévision, le ton des actualités a aussi changé. La plupart des journaux télévisés ne semblent s’intéresser qu’aux activités de Vladimir Poutine, et aux méfaits supposés de l’Ukraine. Le tout est suivi de quelques nouvelles locales et de maigres informations sur l’étranger. L’attention est concentrée sur la Russie, alors qu’avant elle portait aussi sur le monde entier.
Il y a des centaines de café avec terrasses, qui drainent les gens dans la rue. Et le secteur des services n’est pas en reste. Ikea est ouvert jusqu’à deux heures du matin. J’ai acheté mon canapé à une heure, il a été livré le lendemain matin.
J’ai pris une voiture en leasing avec deux coups de téléphone, trois mails et un déplacement pour aller la chercher. Sur place j’ai donné ma carte de crédit, montré mon passeport et signé deux documents pour arriver à mes fins, là où aux Etats-Unis il me fallait signer une dizaine de papiers.
New York a la réputation d’une ville qui ne dort jamais. Moscou est visiblement en concurrence pour décrocher le titre. On trouve de tout jusqu’au milieu de la nuit, et comme beaucoup d’habitants achètent leurs produits en ligne les services de livraison sont très efficaces.
Tout cela n’empêche pas de retrouver parfois un parfum soviétique attaché à telle ou telle chose. Les étrangers s’installant en Russie disposaient auparavant d’une semaine pour s’enregistrer auprès des autorités. Aujourd’hui ils ont 24 heures. Les règles douanières ont changé elles aussi. Si vous venez avec des meubles, ils seront taxés au poids. Autant tout acheter sur place.
En tout cas, je profite pleinement de mon séjour. Après dix ans dans un bureau à essentiellement gérer des équipes de photographes, je retrouve le terrain et ce que je préfère par-dessus tout, faire des photos.
J’ai aussi une mission passionnante. Préparer la couverture d’un évènement planétaire avec la Coupe du monde de football. Ce sera une grosse affaire logistique. Je vais visiter toutes les villes hôtes et leurs hôtels et étudier leurs systèmes de transports pour préparer notre couverture de l’évènement. Je prendrai aussi des photos, pour constituer une base d’archives.
D’ici là, je profite de la capitale. Et au fond, je suis content d’être là au bon moment. Une fois mon travail terminé, j’en aurai fini avec la Russie. Je me le suis promis, une fois de plus.
Ce billet de blog a été écrit avec Yana Dlugy à Paris.