Ouvrir un bureau à Pyongyang

PYONGYANG - Qu’est-ce qu’une agence mondiale d’information va faire dans l’un des pays les plus hermétiques au monde ? La réponse est dans la question. C’est justement parce que les images de Corée du Nord sont rarissimes, que l’information distillée y est entièrement et minutieusement contrôlée par le régime, qu’elles sont précieuses.

Le PDG de l'AFP Emmanuel Hoog inaugure le bureau de l'agence à Pyongyang, le 6 septembre 2016 (AFP / Kim Won-Jin)

En accompagnant le PDG de l’AFP Emmanuel Hoog, qui a officiellement inauguré le bureau de Pyongyang début septembre avec Philippe Massonnet, directeur Asie, la nécessité de couvrir ce pays de l’intérieur m’est apparue, encore plus, comme une évidence.

Pour nous qui savons peu de la République populaire démocratique de Corée (RPDC), hormis qu’elle est la seule dynastie communiste du monde, tout est information : les chants patriotiques diffusés sur les écrans des avions d’Air Koryo qui nous mènent de Pékin à Pyongyang, les grandes avenues immaculées et fleuries, les jeunes agentes de police, casquette et socquettes blanches au garde à vous, réglant une circulation pourtant minimale.

Et bien sûr, les portraits omniprésents à l’effigie de Kim Il-sung et son fils Kim Jong-il, père de l’actuel dirigeant suprême Kim Jong-Un, les chauffeurs qui ralentissent devant les statues géantes des deux leaders historiques, les affiches exaltant la doctrine officielle du Juche (prononcez Tsutsè, qui prône l’autosuffisance et une voie autonome vers le socialisme).

Une agente de police à Pyongyang, en avril 2012 (AFP / Pedro Ugarte)

Il faut voir et montrer cette propagande de tous les instants. Les groupes de femmes « volontaires » , postés à différents carrefours de la capitale, qui dansent en brandissant des drapeaux rouges ou entonnent des hymnes glorifiant le père de la Nation,  les adultes –hommes ou femmes- qui portent tous sans exception un pins à l’effigie de Kim Il-sung, la seule variante apparemment acceptée étant le pins rectangulaire figurant à la fois Kim Il-sung et Kim Jong-il, la télévision qui passe et repasse les documentaires sur la guerre de Corée, dans l’un des pays les plus militarisés au monde.

(AFP / Ed Jones)

Il faut montrer aussi, tout ce qui nous sera donné de voir, sur le quotidien dans ce pays, et pas seulement dans la capitale. Capter tout ce qui peut nous aider à comprendre une nation qui se résume souvent dans notre esprit à quelques clichés. Observer les mutations en cours.

Grâce à un accord conclu dès janvier 2016 avec l’agence nord-coréenne KCNA (Korean Central News Agency), un photographe et un vidéaste nord-coréens, formés par l’AFP, produisent désormais des images sous la supervision de la direction régionale de l’AFP en Asie, basée à Hong Kong.

(AFP / Ed Jones)

Lorsque la Corée du Nord a effectué le 9 septembre un cinquième essai nucléaire, condamné à la fois par Washington, Moscou, Pékin ou Paris, ces deux correspondants nous ont fourni rapidement des photos et vidéos de la place de la gare, où un écran géant montrait la présentatrice vedette de la télévision nord-coréenne, vêtue de sa robe traditionnelle  rose et noire, annoncer la nouvelle, sourire aux lèvres.

Sur un écran géant devant la gare de Pyongyang, la présentatrice de télévision Ri Chun-Hee annonce le succès d'un essai nucléaire nord-coréen le 9 septembre 2016 (AFP / Kim Won-Jin)

Pour le texte, l’AFP reçoit déjà les informations de l’agence KCNA – que nous traitons en faisant nos propres choix journalistiques – et cet accord va nous permettre d’envoyer plus souvent et plus régulièrement des équipes venues de la région. Hormis ces reportages, ainsi que les factuels transmis par l’agence officielle, les papiers continueront d’être écrits et édités hors du pays.

(AFP / Ed Jones)

L’AFP n’est pas la première agence mondiale à s’installer à Pyongyang. Elle démarre avec un simple bureau d’une pièce, dans les locaux de KCNA. Cette dernière accueille également les bureaux de Kyodo et Associated Press (AP), agences venues de deux pays –le Japon et les Etats-Unis- qui, comme la France, n’ont pas  reconnu la République populaire démocratique de Corée.

Nous savons bien l’intérêt que Pyongyang peut tirer de l’ouverture de ces bureaux dans un pays paria, frappé par de sévères sanctions internationales.

Devant le monument à la fondation du Parti du travail de Corée, en juillet 2016 (AFP / Ed Jones)

La « délégation » de l’AFP a d’ailleurs eu par deux fois les honneurs du quotidien Rodong Sinmun. Nul lecteur de l'organe central du Parti des Travailleurs ne peut ignorer que nous avons visité la maison natale de Kim Il-sung à Mangyondae, près de Pyongyang, où nous avons « écouté avec attention les explications sur l’histoire révolutionnaire glorieuse du président et sur les vies patriotiques de membres de sa famille ».

Des lecteurs du journal Rodong Sinmun sur une place de Pyongyang, en juillet 2016 (AFP / Ed Jones)

Le lecteur ne saura pas en revanche que le livre de Philippe Pons  sur la Corée du Nord  que je transportais dans ma valise a été confisqué à mon arrivée. Explication du douanier : « aucun ouvrage ayant trait à la RPDC ne peut pénétrer dans le pays ».

Gageons qu’à l’inverse, l’ouverture d’un bureau de l’AFP à Pyongyang, permettra, modestement, à l’information sur ce pays de traverser les frontières dans l’autre sens.

Une troupe de danse s'apprête à se produire sur une place de Pyongyang dans le cadre d'une campagne de 200 jours pour le lancement d'un nouveau plan économique, en juillet 2016 (AFP / Ed Jones)

 

Michèle Léridon