Shopping à Pyongyang
Si vous ne parvenez pas à visionner correctement cette vidéo, cliquez ici.
PYONGYANG, 2 août 2013 - Filmer étals et clients dans un magasin est banal, voire ennuyeux, dans une majorité de pays. Mais en Corée du Nord, cela relève presque de l'exploit.
Invités dans le pays pour couvrir les célébrations marquant les 60 ans de l'armistice de la guerre de Corée, nous étions trois journalistes AFP - texte, photo et moi pour la vidéo - à passer cinq jours à Pyongyang. Tout comme une centaine d'autres confrères du monde entier.
En République populaire démocratique de Corée, nation qui s'ouvre doucement au tourisme, les voyageurs doivent à tout moment être accompagnés d’un guide nord-coréen, qui ne quitte pas ses protégés d'une semelle. Le seul endroit où chacun peut se déplacer sans supervision est l'hôtel où logent la grande majorité des étrangers, situé sur une île au milieu du fleuve qui traverse la ville.
Au menu de ce voyage, un programme strict, bien rempli et toujours dévoilé au dernier moment. Cérémonies en présence du dirigeant Kim Jong-Un, spectacle grandiose mobilisant des milliers de figurants, concert à la gloire du pays… Des événements officiels visant à impressionner les invités - médias, diplomates et autres.
Difficile pour nous d'obtenir un aperçu de la vie quotidienne des habitants de Pyongyang, mis à part par la fenêtre du bus nous trimbalant de droite à gauche. Alors quand une perspective d'évasion se présente à nous, nous sautons sur l'occasion.
Notre première - et unique - escapade en taxi, avec notre guide, se fait au lendemain de la parade militaire. Le but de la ballade : confirmer nos billets d'avion vers Pékin auprès de la compagnie aérienne nationale Air Koryo - une rare opportunité pour explorer la capitale en dehors du programme officiel.
A notre demande, le guide nous emmène dans supermarché. Mais celui-ci est luxueux, désert, et les employés nous interdisent immédiatement de filmer ou prendre des photos. Les prix sont prohibitifs pour la plupart des Nord-Coréens. Nous insistons pour aller dans un magasin plus populaire, où se trouvent les «vrais gens», plaisantons-nous avec notre chaperon. Il finit par céder.
C'est ainsi que nous arrivons au Kwang Bok, grand magasin très fréquenté en ce dimanche matin.
Intriguée par des passants qui regardent un film sur grand écran sous la pluie à l'entrée, je m'attarde dehors et commence à faire quelques images. Mais notre guide, déjà à l'intérieur, ressort me chercher et me demande d'arrêter de tourner. Le ton est donné: ce sera une visite express.
Nous ne sommes pas les bienvenus ici, comme nous le fait comprendre le gérant du magasin dès notre arrivée. Nous empruntons directement un escalateur pour nous rendre au premier étage et observons les clients qui s'affairent dans l'atrium pavoisé de drapeaux aux couleurs nationales.
Difficile pour trois journalistes européens de passer inaperçus, mais il faut se faire discret. Je garde mon trépied accroché en bandoulière, tout sera filmé à la volée, en marchant parmi les rayons, en s'attardant quelques minutes à peine devant chaque scène intéressante.
Les clients ne semblent pas dérangés par nos prises de vue. Les employés, eux, le sont davantage. Et notre guide, mal à l'aise, fait tout pour accélérer le pas. Sur mes rushes, on l'entend clairement qui m'interpelle, me dit que «ça suffit», qu'il faut continuer à avancer. Et ne pas trop se faire remarquer.
Au pas de course, nous traversons chaque étage, essayons d'immortaliser cette tranche de vie nord-coréenne dans nos esprits et nos appareils. Ici, la majorité des clients portent un badge à l'effigie de Kim Il-Sung ou Kim Jong-Il, preuve que nombre d'entre eux sont membres du parti.
Moins de vingt minutes plus tard, nous revoilà dehors, à la recherche d'un taxi. Là encore, je me fais gentiment gronder par notre guide dès que je continue à filmer la devanture du magasin, les voitures ou les passants dans la rue.
De cette visite inattendue résulte un montage de plus de trois minutes d'images précieuses et authentiques, car non orchestrées. Des images d'une rare banalité, mais qui restent représentatives d'une classe privilégiée. Car la Corée du Nord pauvre, celle qui a faim et manque d'électricité, celle-là nous ne la verrons pas.
Diane Desobeau est journaliste reporter d'images pour l'AFPTV à Hong Kong.