Célébrations du 100ème anniversaire du fondateur de la Corée du Nord Kim Il-Sung à Pyongyang, le 16 avril 2012 (AFP / Ed Jones)

La Corée du Sud, dans l'ombre du Nord

SEOUL, 3 septembre 2012 – Un vent glacé balaie la place Kim Il-Sung de Pyongyang, mais les milliers de danseurs ne se laissent pas démonter et continuent de tournoyer au son de la musique pleine d’entrain que crache les hauts parleurs.

De quoi parlent donc ces chansons ? D’amour ? De mariage ? De cœurs brisés ?

« Celle-ci parle de vinalon », me répond mon ange gardien officiel.

Pour ceux qui ne connaissent pas ce pays, un des plus bizarres du monde, le vinalon, c’est une fibre textile synthétique présentée comme un des produits-phares de la Corée du Nord, le seul pays à la fabriquer à l’échelle industrielle.

Naturellement, la plupart des chansons parlent de la dynastie des Kim, dont les trois générations ont gouverné le pays d’une main de fer depuis sa création en 1948. « Hourrah pour le généralissime Kim Il-Sung » et « Donnons nos vies pour protéger le commandant suprême Kim Jong-Un » figurent parmi les titres les plus accrocheurs. Malgré tout, les danseurs, avec l’immense appétit pour la vie qui caractérise les Coréens, semblent sincèrement s’amuser.

Défilé militaire à Pyongyang pour le 100ème anniversaire de la naissance du fondateur de la Corée du Nord Kim Il-Sung, le 15 avril 2012 (Photo: AFP / Pedro Ugarte)

La Corée du Nord a dominé mes six ans à Séoul, et mon voyage de cinq jours à Pyongyang, en avril de cette année, a constitué le point d’orgue de mon séjour.

Pourtant, comme la plupart des autres correspondants à Séoul, j’aurais aimé passer plus de temps à écrire sur la « gentille » Corée plutôt que sur la « méchante », pour reprendre la façon dont un journal australien a un jour baptisé les deux moitiés de la péninsule tragiquement divisée.

C’est le Nord, son programme nucléaire, ses missiles et ses menaces militaires qui font régulièrement la une des médias dans le monde.

Et pourtant, j’ai souvent eu l’impression que la vraie histoire, c’est la Corée du Sud.

Publicité pour Samsung devant un magasin d'électronique à Séoul, le 27 août 2012 (AFP / Jung Yeon-Je)

Un pays plongé dans la pauvreté la plus abjecte à la fin de la guerre de Corée en 1953 qui s’est transformé en puissance économique mondiale et, encore plus impressionnant, qui a réussi à se débarrasser de décennies de dictature pour construire une solide démocratie. A l’inverse de son miséreux voisin du Nord, toujours sous le joug d’un totalitarisme qui a engendré une génération entière d’affamés, le Sud est une nation qui change et se réinvente constamment.

Un pays autrefois jugé peu accueillant pour les étrangers et qui compte maintenant 1,1 million de résidents étrangers sur son sol. En 2009, un mariage sur dix était une union internationale.

Un pays longtemps accroché au traditionalisme concernant la division des rôles entre hommes et femmes et qui va peut-être élire, en décembre, sa première présidente de la République.La Corée du Sud est le plus grand constructeur mondial de navires. Hyundai/KIA est le cinquième groupe automobile mondial. La K-pop et les séries télévisées sud-coréennes déferlent sur l’Asie. Le secrétaire général des Nations Unies est un Sud-Coréen. Aux Jeux Olympiques de Londres, la Corée du Sud a été la cinquième nation la plus médaillée.

Le groupe de K-pop MBLAQ en concert à Hong Kong le 23 juin 2012 (Photo: AFP / Aaron Tam)

Le cas de Samsung est exemplaire. L’entreprise a vu le jour en 1938, sous la forme d’une maison de commerce avec quarante employés. Elle est aujourd’hui la plus grosse firme de technologie du monde et emploie 200.000 personnes. Pendant ce temps, en Occident, beaucoup continuent à la prendre pour une société japonaise…

Non sans raisons, la Corée du Sud se plaint de ne pas recevoir toute l’attention internationale qu’elle mérite. Le Conseil présidentiel de la marque nationale, un organisme dont l’intitulé est probablement unique au monde, travaille à développer l’influence du pays à travers le « soft power ».

Mais les marchés financiers sud-coréens, à l’image de l’ensemble du pays, doivent composer avec ce que l’on surnomme le « Korea discount » : la « sous-évaluation coréenne » liée à la perception d’un risque, venant principalement du Nord.

23 novembre 2010: la Corée du Nord bombarde l'île sud-coréenne de Yeonpyeong (Photo: AFP)

Cette situation a été mise en évidence de façon particulièrement criante le 23 novembre 2010, quand le Nord a fait pleuvoir les obus sur une île frontalière de Corée du Sud, tuant deux militaires et deux civils, une attaque sans précédent depuis la fin de la guerre. Dans les rues de Séoul, le choc et la colère étaient palpables. La tension reste forte malgré la mort de Kim Jong-Il et l’arrivée au pouvoir de son fils, un dirigeant d’apparence plus ouverte et affable.

Décrypter les véritables intentions du Nord à travers l’agence officielle KCNA et ses dépêches de 2.000 mots sans sauts de paragraphes fait partie des joies quotidiennes du correspondant de l’AFP à Séoul.Ont-ils VRAIMENT l’intention d’exterminer le « groupe de pantins sud-coréens aux faces de rats » ? Devrais-je envoyer une alerte sur le fil AFP toutes affaires cessantes ? Voilà le genre de citation qui rend tout de suite une histoire plus croustillante... Mais dans le fond, comme la plupart des journalistes qui ont passé un certain temps en Corée du Sud, je serais heureux de voir enfin arriver la paix que le peuple Coréen mérite.

Des rubans pour la réunification sont accrochés sur une clôture barbelée à Paju, à la ligne de démarcation intercoréenne, le 27 juillet 2012 (Photo: AFP / Jung Yeon-Je)