La vie "micro"
Ho Chi Minh-Ville (Vietnam) -- J’aime faire des photos de gens ordinaires, de travailleurs et de leur existence, qu’ils soient citadins ou villageois. Je suis arrivé à Ho Chi Minh-Ville il y a plus d’un an et demi. Ses habitant l’appellent encore Saïgon, son nom de l’époque coloniale.
Il y a quelques semaines j’ai fait le tour des quartiers pauvres de la ville, les No 1 et 4. Avec un collègue j’y ai découvert les micro-maisons.
C’est un sujet très local, mais qui appartient au thème global du développement urbain. J’avais déjà rencontré des habitants des taudis de la ville en y arrivant. Ils m’avaient expliqué que ces endroits avaient beaucoup changé, qu’ils étaient bien pires avant, quand la ville prospérait autour de la Saïgon d’antan.
J’appartiens à une famille de quatre enfants, qui vit dans une zone pauvre mais très paisible, proche de Hanoï. Ma mère travaille aux champs et mon père aussi maintenant. Quand il était cyclo-pousse dans la capitale il ramenait assez d’argent pour nous faire vivre bien, et même permettre à certains d’entre nous de s’installer en ville.
Et puis la vie est devenue plus difficile. Les autorités d’Hanoï ont interdit les cyclo-pousses dans ses rues. Moi j’y habitais déjà, je travaillais comme stringer pour vivre et poursuivre mes études de journalisme à l’université, où j’ai obtenu mon diplôme.
J’aime toujours le village de mon enfance. Il a nourri mon inspiration. Beaucoup de gens disent que j’ai un contact facile avec les gens simples, ordinaires. J’arrive à faire leur connaissance et à les convaincre de me raconter leur histoire. J’aime beaucoup faire des portraits des gens. Au début je faisais surtout des personnalités.
J’ai appris la technique en étudiant entre autres les photos publiées par les grandes agences de presse. Des images qui ont un sens, politique ou autre, pas de simples clichés. Mais je préfère les portraits des gens de la rue. Pour moi ils sont plus proches de la vie.
A Ho Chi Minh-Ville il est difficile de prendre des photos des gens chez eux, car ils vivent généralement avec une famille nombreuse.
J’ai commencé en établissant un premier contact, en expliquant ce que je souhaitais faire. Et je suis reparti.
Au début ils me faisaient un peu confiance, mais ils n’étaient pas très détendus.
Je suis revenu les voir, avec des photos prises la première fois et que je leur ai données. C’était ma façon de capter leur attention et de gagner leur confiance. Ils ont paru les apprécier.
En tout j’ai dû leur rendre visite au moins trois fois, et beaucoup discuter avec eux, avant qu’ils ne m’accordent un accès à leur intérieur.
Petit problème technique, leur « maison » est si petite qu’il faut un objectif avec un grand-angle. J’ai emprunté un 16-35 mm à un ami. Je me suis d’abord imaginé que ce serait facile de prendre ces photos, simplement en vue plongeante. Mais en fait l’intérieur s’est révélé si petit qu’il était difficile de trouver une position favorable.
J’ai tout essayé. Vu du sol, depuis l’extérieur, depuis l’intérieur. J’ai aussi utilisé un tout petit appareil photo que je pouvais glisser entre les interstices des planches pour saisir une scène.
Pour les maisons de Cong et Truong je leur ai emprunté une échelle en bois depuis laquelle, juché à l’extérieur, j’ai pris des photos bras tendus avec mon appareil photo à l’intérieur.
J’ai dû passer 5 ou 6 jours sur place, espacés dans le temps. Ces gens travaillent et il fallait que je m’adapte à leur rythme de vie. Tout s’est enchaîné naturellement.
Je crois avoir compris comment ils arrivent à vivre dans un espace si petit. Ils m’ont expliqué que ce quartier était le leur. Ils y ont leur travail, leurs amis, leurs habitudes, et tout ce qui est nécessaire à l’existence. Ils ne supporteraient pas de se retrouver dans une maison plus grande mais plantée dans un champ ou au milieu de nulle part.
Leur situation m’a fait reconsidérer la mienne. Je suis moins tenté de m’apitoyer sur mon propre sort. En même temps il ne s’agit pas de les plaindre aveuglément. Les pauvres gens connaissent aussi des joies, et nous ne devrions pas présumer qu’ils sont destinés à souffrir.
Pendant mon travail, une question revenait sans cesse : est-ce que ces photos changeraient quoi que ce soit à leur situation ? Je leur avais bien expliqué que le rôle de la presse est avant tout d’informer mais qu’elle n‘avait pas le pouvoir de changer seule les choses. Ils voulaient un changement.
Je crois que tôt ou tard ce genre d’habitations sera détruit et qu’une partie de ces quartiers sera remplacée par des centres commerciaux. Cela prendra un peu de temps parce que les habitants ont vraiment besoin d’argent. Ils vont monnayer cher leur petite propriété, et ensuite ils iront habiter ailleurs.
Personnellement je ne serai pas triste que cet endroit disparaisse. Ses habitants actuels vivront dans des espaces plus spacieux et ils auront de l’argent pour vivre mieux. Qui voudrait qu’ils s’accrochent à un tel lieu, aussi pittoresque soit-il pour un photographe?
Ce blog a été écrit avec Pierre Célérier à Paris.