Le Dakar entre terre et ciel
Chilecito (Argentine) -- Au Dakar, si les autos et les motos sont les plus suivies, j'ai appris que ce sont deux autres types d'engins motorisés qui rythment en fait la vie des journalistes: l'hélicoptère pour les photographes, et le bus pour ceux comme moi qui restent au sol.
Que leurs extérieurs soit décorés d'une photo kitsch de bébés souriants ou d'un taureau, ces bus-couchettes sont notre dortoir la nuit, voire notre salle de presse le jour - c'est arrivé une fois, à Tupiza en Bolivie, car l'organisation craignait que l'habituelle tente dévolue aux accrédités ne s'enfonce dans la boue.
Pour s'orienter entre les hélicos, c'est un patois incontournable de tous les Dakariens qu'il faut maîtriser: Delta, Lima, Mike 1, Mike 2, HTV 1, etc. Pour Franck Fife, qui vit sa sixième édition du rallye-raid pour l'AFP, c'est "Québec". Mais puisque le petit giravion ne peut contenir ses affaires en vol, Franck les a déposées avant de décoller dans un bus spécial, "Whiskie 1", dont l'horaire de départ est aussi attendu que celui de Sébastien Loeb.
Le Dakar est une grande histoire de logistique aux noms saugrenus, indispensable pour faire avancer une caravane de 3.000 personnes bon an mal an à travers le désert, au rythme de liaisons nocturnes de dix heures.
Dès l'aube, l'ordre de départ de l'étape est presque immuable: les motos, les autos puis les camions. Les photographes sont en première ligne pour suivre la journée en voiture, ou en hélico.
Pour eux c'est par la voie des airs que la course prend toute sa dimension, tant pour la beauté des paysages que pour la rapidité d'intervention. Franck était ainsi dans Québec quand il a vu Loeb s'ensabler dans les dunes du Pérou, dans l'un des moments clés de la course. Atterrissage, clic, clac, la photo du désarroi du pilote alsacien, assis sur son casque, va le lendemain être dans les journaux.
A ce moment-là, je venais à peine d'entrer dans Arequipa, à l'arrivée de cette étape. Comme la moitié du temps, nous sommes installés dans une caserne militaire - car faire le Dakar c'est aussi voir l'Amérique du sud à travers ses garnisons, dans une manière encore plus décalée que les derniers guides à la mode. Il faut imaginer les soldats boliviens s'entraîner à la dure à côté des Dakariens fumant leur cigarette à quelques mètres.
Ca passe ou ça casse
Pour un journaliste texte le Dakar a ceci de particulier qu'il est impossible de voir la course en temps réel. Dans un stade, on assiste à la compétition en direct. Sur le rallye-raid, il faut attendre les réactions des pilotes pour connaître les détails de ce qui s'est passé - je peux ainsi patienter une heure ou plus avant leur arrivée au bivouac, alors que la fin de la spéciale du jour s’est dénouée à plus d'une centaine de km de là.
Mais l'attente peut valoir le coup. Le visage sale, les traits tirés, les pilotes laissent parfois exprimer leurs sentiments après des heures à naviguer dans les dunes ou les rios. Je me souviens des déclarations pleines de tristesse de Stéphane Peterhansel après avoir perdu 1h45, voire le Dakar, sur l’étape allant à Uyuni (Bolivie), ou la joie d'Adrien Van Beveren après sa première victoire à San Juan de Marcona.
Du sable, encore du sable, toujours du sable
Le Dakar, c'est aussi une histoire de sentiments et de nerfs. D’autant plus qu’ils peuvent être mis à rude épreuve en raison des conditions difficiles et des nuits courtes: la fraîcheur en Bolivie a succédé à la chaleur extrême en Argentine, au Pérou les rafales recouvraient de sable les écrans d'ordinateur. Et c’est là qu’on se dit avoir peut-être rencontré "l'esprit Dakar".