A fond dans les dunes
Weston-super-Mare -- Il m’aura fallu trois jours pour enlever tout le sable infiltré dans mes appareils photos et leurs objectifs après un nouveau tour pour l’une de mes missions favorites, la course de Weston Beach.
C’est une épreuve d’endurance pour les fans de moto-cross, et un calvaire pour les motos d’enduro genre Paris-Dakar, les quads et les side-cars qui s’y frottent.
Il faut dix jours à des bulldozers et pelles mécaniques pour dresser la piste sur la plage. Elle consiste en une longue ligne droite arasée par la marée haute de la nuit précédente, et suivie par une série de bosses, de tremplins et de dunes de la taille d’une maison. Une fois qu’ils ont lâché leurs chevaux sur la ligne droite, les coureurs tournent le dos au canal de Bristol pour attaquer les dunes dressées par l’homme. Il y en a précisément trente-sept à franchir avant de compléter un tour. Le vainqueur est celui qui en compte le plus au bout de trois heures.
Avant la course cette année, j’ai vérifié les prévisions météo à plusieurs reprises. Je l’ai couverte trois fois déjà, dont une au soleil et deux sous la pluie. C’est vraiment un grand plaisir avec un peu de belle lumière. Et cette fois, le soleil devait être au rendez-vous…
Pour travailler pendant la course, j’enveloppe mes appareils dans une protection aussi efficace que possible contre le sable. Travailler avec un tel matériel est beaucoup plus difficile. On a du mal à ajuster la durée d’exposition, à revoir l’image juste prise et il est quasiment impossible de changer d’objectif. En gardant tout ça à l’esprit, je suis parti avec trois boitiers Canon EOS 1 D-X, avec des focales d’objectif différentes pour chacun. A savoir, un grand-angle 16-35 mm, un zoom de 70-200 mm et un téléobjectif de 300 mm.
Tout ça doit rester pendu en permanence autour de mon cou ou à mon épaule. Si vous posez n’importe quoi par terre pendant la course, c’est à vos risques et péril. Tout ce qui tombe est englouti par le sable. C’est exactement ce qui est arrivé à un ami dans le chaos du départ de la course. Son boîtier MiFi est tombé de sa poche pendant que nous trainions autour d’une des grandes dunes. Il sera peut-être découvert par hasard dans quelques années, ou quelques siècles.
Je suis arrivé un jour avant, pour avoir le temps nécessaire au retrait de mon accréditation, mémoriser où tout se trouvait et reconnaitre le parcours. Cette fois les premières dunes étaient plus petites que les années précédentes, à peine 3 mètres de haut. En revanche elles étaient ensuite de plus en plus élevées. Ce n’était pas idéal pour faire une belle photo, mais clairement dans l’intérêt des coureurs, en permettant aux plus rapides et aux plus habiles de filer plutôt que de se retrouver coincés dans un embouteillage géant au pied d’une grande dune.
J’étais décidé à me concentrer sur les coureurs qui « déchirent » la plage au départ de la course. Certains sont perchés sur le garde-boue arrière de leur moto pour que leur roue avant survole les bosses, d’autres saluent, ou essaient de faire des roues arrière pour le bénéfice des milliers de spectateurs.
La course de Weston-on-Mare commence avec le rassemblement de centaines de coureurs derrière des barrières. De là, ils essaient de repérer où se trouve leur machine, parmi la marée d’engins garés guidon contre guidon dans un grand enclos.
Les grilles sont ouvertes et les coureurs se ruent vers leurs motos ou autres. Dans une joyeuse pagaille, les plus rapides se fraient un chemin jusque derrière un commissaire de course, juché sur son quad, que tout le monde suit jusqu’à la ligne de départ.
Quelques minutes plus tard, un grondement infernal s’élève avant que les coureurs ne se lancent le long de la plage. Dans une véritable cacophonie, roue arrière patinant dans le sable, des motards essaient de prendre la tête de la course. C’est assez incroyable.
Cette année j’avais bien réfléchi à ma position pour shooter « au près », autant que possible, le flot de motos filant devant moi, avec la jetée et la ville en toile de fond.
Une fois passé le gros de la troupe, j’ai franchi une ou deux barrières pour grimper en haut d’une grande dune. C’était épuisant. Je suis arrivé en haut, avec deux commissaires de course, juste à temps avant l’arrivée des premières motos.
Vers l’arrière, on voyait des coureurs coincés en haut des dunes, on en devinait d’autres cachés dans les creux, projetant des jets de sable dans l’air. Moins d’une ou deux minutes plus tard, les motards de tête passaient devant moi.
Alors que le peloton approchait, un coureur s’enlisa, ses roues enfoncées dans le sable mou. Un autre tomba, et un autre fit une culbute avant. Avec des moteurs en surrégime, l’air avait pris une teinte bleue et une odeur d’huile, et le sable m’arrivait dans la figure à grande vitesse. L’endroit n’était pas des plus sûrs, mais comme le grand photographe de guerre robert Capa l’a dit : « Si ta photo n’est pas assez bonne, c’est que tu n’étais pas assez prêt ».
C’est la quatrième fois que je couvrais la course, mais cette fois j’y avais apporté du nouveau. Mon fils, Finn, 11 ans. Bien sûr, j’ai beaucoup de chance d’avoir un travail qui m’emmène dans tant d’endroits et d’évènements différents. Mais c’est une existence assez solitaire. Quand vous vous retrouvez au pub avec des amis et que vous leur expliquez à quel point vous vous êtes amusés : « c’était vraiment un truc génial, et bla-bla-bla… », vous remarquez vite que leur regard finit par fuir.
Ça fait pourtant du bien de partager une expérience.
Cette fois, ce sera au tour de Finn de saouler son professeur ou ses copains avec le récit de cette course incroyable, de l’hôtel trois étoiles et de toutes les bombes d’huile lubrifiante WD-40 qu’il a récolté à chaque fois qu’il croisait les jeunes filles chargées d’en ravitailler les coureurs aux stands. En plus j’y ai gagné des points au rayon « père trop cool ». Mieux vaut les engranger tant qu’il en est encore temps.
L’autre nouveauté a été de m’essayer au tournage d’un clip vidéo pour l’AFP. Ceux qui me connaissent savent que normalement ce n’est pas ma tasse de thé. Mais je dois avouer que j’ai commencé à y prendre goût. Et comme les besoins de notre métier changent, pourquoi ne pas les accompagner.
Filmer des vidéos avec une longue focale mais sans trépied est un peu compliqué. Je me suis débrouillé en coinçant le boitier dans les mailles des grillages longeant le parcours et en utilisant le stabilisateur de l’objectif. Là où ça se complique c’est quand on essaye de garder la mise au point sur les motos qui foncent vers vous !
J’avoue que j’étais quand même un peu anxieux de ce que ça pourrait donner et je me suis borné à essayer la chose sur la seule course des quads. Parce qu’utiliser en même temps la photo et la vidéo semble un peu compliqué.
Après la course, je suis rentré rapidement à l’hôtel pour une grosse séance d’édition. Une heure et demie plus tard, j’avais transmis les images des courses de juniors du matin au desk photo et un montage sommaire de la vidéo à un éditeur à Londres.
Une fois le portable fermé, Finn et moi sommes sortis pour un dîner bien mérité, un « seau » de cuisses de poulet frites, en l’absence de sa mère qui aurait sans doute suggéré quelque chose de plus sain. Mais il fallait se nourrir puis se coucher rapidement, pour un démarrage aux aurores afin de couvrir la course principale de dimanche.