Attraper le doigt au vol
Sterling, Virginie (Etats-Unis) -- Faire un doigt d’honneur au passage du convoi du président américain n’est pas rare. Mais là où cette cycliste s’est distinguée c’est par sa ténacité. Après que le convoi l’ait doublée, elle s’est débrouillée pour le rattraper et réitérer son geste.
En tant que membres du pool de la Maison Blanche, les photographes de l’AFP suivent le président en permanence ou presque.
Comme nous accompagnons un des dirigeants les plus puissants du monde, une partie importante de notre travail consiste en ce que nous appelons une couverture de "sécurité".
Par exemple, avant de décoller dans l’avion Air Force One nous transmettons systématiquement une photo du président, au cas où il y ait un accident. Cette image serait la dernière disponible de lui.
Quand nous sommes dans le convoi nous gardons toujours un œil ouvert. Parce qu’on ne sait jamais ce qui peut arriver, notamment s'il y a de la circulation. C’est pourquoi dans ces moments je prends toujours des photos que, la plupart du temps, je ne transmets pas.
Donald Trump est le troisième président américain que je suis en tant que photographe. Ils sont tous destinataires de gestes sympathiques ou pas, doigt d’honneur ou pouce levé. Mais celui-ci fait l’objet d’une passion particulière, qu’elle vienne de ses supporters ou de ses détracteurs.
Ce jour là, quand nous avons quitté le club de golf de Trump en Virginie, nous nous trouvions dans ce que nous appelons un convoi « off the record ». C’est le plus discret. Il s’arrête aux feux rouges et respecte en général le code de la route. Il n’utilise les sirènes et lumières qu’en cas de besoin. L’objectif est de rester incognito, dans la mesure du possible.
Pour les conducteurs normaux dans la rue, ça donne l’impression d’être coincé derrière une file imposante de gros véhicules qui vous empêchent de passer.
Je me souviens une fois avec le président George W. Bush de cette femme qui s’évertuait, en vain, à doubler le convoi. Elle y est arrivée uniquement à la faveur d'un embranchement sur l’autoroute. Elle avait l’air furieuse. Elle criait et nous a fait un doigt d’honneur. Mais je pense qu’elle se moquait de la politique à ce moment-là, elle était juste en colère d’être retardée par le convoi.
Ce qui n’était pas le cas de la cycliste en Virginie. Elle semblait parfaitement savoir qui se trouvait derrière les vitres fumées du véhicule.
La photo que j’ai transmis a été prise au moment où le convoi la doublait. Ce dernier l’a ensuite empêché de passer, comme il est de rigueur. Alors elle montée sur le trottoir, nous a rattrapés, et quand le convoi s’est trouvé arrêté à un feu rouge, elle a pédalé jusqu’aux voitures de tête, en répétant son geste à leur intention une deuxième fois. J’ai continué à prendre des photos parce que je me demandais si la sécurité ne finirait pas par intervenir.
Photographier à travers une vitre de voiture peut se révéler difficile. Mais dans ce cas, elle n’a pas déformé l’image, et elle était propre…. Et comme nous étions dans une côte j’ai pu cadrer la photo facilement.
La cycliste qui a fait un doigt d'honneur à Trump assume, mais perd son travail https://t.co/Lyzyh6THqK #AFP pic.twitter.com/MRtv0YU6cA
— Agence France-Presse (@afpfr) November 7, 2017
Les photos à partir du convoi sont parfois les seules de toute la journée pendant lesquelles on va apercevoir le président.
Elles offrent aussi parfois l'unique expression de désaccord avec les positions du président quand il est en déplacement officiel.
Récemment par exemple j'ai pu photographier un vétéran agenouillé avec un drapeau américain plié. Un geste éminemment politique, en référence à celui des sportifs qui mettent un genou à terre pendant la diffusion de l'hymne américain pour protester contre plusieurs meurtres de Noirs par des policiers blancs.
En tout cas, durant toutes ces années et trois administrations successives, je n’ai jamais été embêté par la Maison Blanche pour avoir fait mon travail.
En fait, c’est intéressant de constater à quel point l’administration actuelle s’est révélée ouverte avec les photographes.
Le président Trump est réputé avoir une relation d'antagonisme avec la presse. Mais paradoxalement, l’accès que nous avons à sa personne est bien meilleur que celui dont nous disposions avec son prédécesseur, qui insistait pourtant sur la nécessité de la transparence en politique.
Pendant son premier mandat, l’administration Obama a rapidement bouclé l’accès aux moments officiels, ces quelques secondes dont les photographes disposent pour faire leur travail au début d’un entretien du président avec quelqu’un. Plusieurs réunions traditionnellement ouvertes à la presse ne l’ont plus été. On pouvait passer des journées entières à la Maison Blanche sans l’apercevoir. L’administration essayait de tout contrôler.
Elle ne voulait montrer qu’un côté d’Obama, celui pris par son photographe officiel.
Avec Trump c’est l’inverse. Malgré les attaques répétées du président contre les médias, son administration nous ouvre beaucoup plus de portes. Ce qui nous permet de mieux travailler.