(AFP / Jewel Samad)

La bataille pour capturer l'Histoire

Washington, DC -- L’organisation de la couverture de l’investiture présidentielle américaine est toujours un défi, surtout avec une nouvelle administration. Mais celle-ci s’est avérée particulièrement difficile.

En tant que coordinatrice photo pour l’Amérique du Nord, je suis le point de contact de l’agence avec les organisateurs de la cérémonie de ce vendredi 20. A moi d’obtenir les emplacements et les accréditations pour la petite armée de reporters texte, photo, vidéo et de techniciens déployée pour l’occasion. Ils sont 38 pour le grand jour, et les évènements qui l’encadrent.

C’est la troisième fois que je me plie à l’exercice. Après en avoir appris les ficelles, avec mon chef de l’époque, pour celle de George W. Bush, j’ai assuré les deux investitures d’Obama.

C’est un job plutôt stressant, jusqu’à la dernière minute, parce que la cérémonie est une grosse mécanique, compliquée.

(AFP/ Sabrina Blanchard, Jonathan Jacobsen)

D’abord le président-élu se rend à la Maison blanche, pour y rencontrer le président sortant. 

Barack Obama prend le relais de George W. Bush, en 2009. (AFP / Emmanuel Dunand)
George W. Bush succède à Bill Clinton, en 2001. (AFP / Stephen Jaffe)

 

De là, les deux se rendent ensemble au Capitole, où Donald Trump va prêter serment, dans une cérémonie pleine de pompe, empreinte de tradition et d’Histoire. 

Barack Obama prête serment, le 20 janvier 2009, sur la bible utilisée pour l'investiture du président Abraham Lincoln. (AFP / Tim Sloan)

Le nouveau président est ensuite conduit le long de Pennsylvania Avenue pour assister à un grand défilé.

Son convoi va passer devant le Trump international Hotel, récemment inauguré.

Et comme à chaque fois, nous attendrons le moment où le président devrait descendre de sa limousine blindée, et faire quelques pas sur l’avenue avec son épouse pour saluer la foule. A quel endroit ? Mystère, comme à chaque fois. Et comme à chaque fois, il faudra que nous soyons prêts à saisir cet instant fugitif. Sans oublier la foule, et l’atmosphère générale.

Le cortège présidentiel sur Pennsylvania, le 20 janvier 2009. (AFP / Ryan Anson)
Sur Pennsylvania Avenue, 20 janvier 2009. (AFP / Jim Watson)

 

Ensuite, quelques 8.000 personnes, dont les représentants des différents corps militaires,  vont défiler, deux heures durant, devant le président, près de la Maison Blanche.

Finalement, ce seront les trois bals officiels auxquels le président se doit de participer, particulièrement celui des Forces armées. C’est le préféré des photographes et de la presse, avec ce moment emblématique du couple présidentiel dansant sur le sceau du président des Etats-Unis.

Janvier 2013. (AFP / Brendan Smialowski)

Il n’y en aura pas que pour le nouveau président, mais aussi pour l’ancien, Barack Obama, qui juste après la prestation de serment de Donal Trump, quittera la cérémonie en s’envolant à bord de l’hélicoptère présidentiel Marine One. 

Barack Obama raccompagne George W. Bush, le 20 janvier 2009. (AFP / Jim Watson)

Autre sujet d’attention, les manifestations d’opposants au nouveau président, qui sont attendues avant et en marge du défilé.

  Je dois organiser le déplacement des reporters, parce que la journée est longue, les lieux à couvrir nombreux, et les contraintes de sécurité draconiennes. C’est un moment historique. Nous ne pouvons pas nous permettre d’en rater un seul aspect.

Pour la cérémonie au Capitole, par exemple, nous avons prévu au moins huit photographes, deux journalistes vidéo, deux techniciens et la production photo d’un pool de douze médias. Avec une innovation majeure poussée par mon chef, Eric Baradat , qui va être l'utilisation de la technologie photo à 360 degrés aux endroits-clés du parcours. Ce genre de grand évènement est l’occasion de tester de nouvelles techniques.

Les photos seront transmises aux éditeurs du desk de Washington directement depuis les appareils. Pour cela il a fallu s’assurer de disposer des câbles de communication et matériels ad hoc, et installer parfois l’équipement bien en avance, par exemple sur la plate-forme face à laquelle le président-élu va prêter serment. 

Le photographe de l'AFP Mandel Ngan hisse de l'équipement sur la plate-forme centrale face au Capitole. (AFP / Eva Hambach)

Les photographes doivent être à pied d’œuvre dès 05H00 du matin, pour passer la sécurité, et vérifier une dernière fois leur matériel, afin d’être prêt pour la mi-journée…

Je dois m’assurer qu’une fois passée la prestation de serment, ils pourront atteindre d’autres positions, comme la plate-forme du van qui précède le convoi présidentiel le long de Pennsylvania Avenue. Sans parler des bals présidentiels.

L’affaire est compliquée par la coordination avec différents interlocuteurs.

Pour ce qui concerne le Capitole, c’est simple. Tous les évènements y sont sous la responsabilité du JCCIC, une commission du Congrès en charge de l’évènement, qui décide toutes les positions, règles et exigences applicables aux journalistes. C’est carré, efficace et bien rodé.

Le Capitole. (AFP / Saul Loeb)

Mais une fois franchies les limites du Capitole, c’est une autre paire de manches. Tout est aux mains du PIC, la commission présidentielle d’investiture. Ses membres, qui appartiennent à la nouvelle administration, n’ont pas forcément d’expérience en la matière. Ils décident pourtant de l’accès des médias à tous les évènements.

A leur décharge, ils doivent se coordonner avec le JCCIC, le Secret Service, en charge de la sécurité, la Maison Blanche, et l’équipe du nouveau président. Cela fait beaucoup de rouages…

Comme je l’ai dit, travailler avec une nouvelle administration est toujours un peu stressant, parce qu’elle ne connait pas bien les ficelles de notre métier. Mais ça l’a été plus encore avec celle-ci.

Je crois qu’il y a plusieurs raisons. L’inexpérience de toute nouvelle équipe. La méfiance que celle de Trump semble avoir envers les médias. Son ignorance de la façon dont ces derniers fonctionnent, particulièrement s’agissant des photographes. Sans parler du fait qu’apparemment, les instructions transmises au PIC par sa direction changent sans cesse.

Les principaux médias traditionnels paraissent sujets à des restrictions toujours plus grandes. Ce qui semblait acquis par le passé, ou il y a seulement quelques jours, ne l’est soudainement plus.

Vue depuis le Capitole. (AFP / Eva Hambach)

Cette année, nous avons dû négocier des accès ou des positions avec le PIC, dans des termes très généraux. Il a été très difficile de connaître à l’avance les déplacements du président-élu. Rien n’a été très clair : est-ce qu’il viendrait le jour même, à quelle heure, où ? Ça a grandement compliqué l’organisation de cette couverture.

Et même quand on nous a promis un accès à quelque chose, on ne nous a pas dit ce que nous pourrions y faire.

Par exemple, deux jours avant l’investiture, je ne savais toujours pas si nous obtiendrions une deuxième position de face, une autre de côté, une vers l’arrière, et des positions pour les appareils télécommandés pour les évènements au Lincoln Memorial et au Bal des forces armées.

L'évênement au Lincoln Memorial, le 18 janvier 2009, vu sous un certain angle... . (AFP / Robyn Beck)
....et sous un autre. (AFP / Robyn Beck)

 

Pour être franche, c’est un peu stressant de ne pas savoir où seront positionnés les photographes. Je n’ai jamais participé à autant de téléconférences organisées au pied levé entre les médias et le PIC.

Ce qui a un peu tendu l’atmosphère avec certains photographes, furieux de ne pas savoir où ils se trouveraient pour travailler. Normalement, je pouvais leur répondre au moins une semaine avant. Pas cette fois, et ils m’ont appelé : « Qu’est-ce que je fais vendredi ?  Comment ça tu ne sais pas ? ».

Autre exemple, normalement les photographes de pool pour l’investiture au Capitole sont transportés avec des cars spéciaux aux différentes étapes du parcours qui suit. Mais cette année il n’y aura qu’un car, qui amènera les heures élus directement au bout de la parade. Je vais devoir pré-positionner des photographes sur le chemin. Et ceux qui ne seront pas du voyage se trimballeront avec leur matériel à pied jusqu’à leur prochaine position.

Je plains nos interlocuteurs du PIC, d’une certaine façon, parce que les ordres qu’ils reçoivent d’en haut n’arrêtent pas de changer. 

Donald Trump pendant la campagne électorale, en novembre 2016. (AFP / Mandel Ngan)

Lors d’une téléconférence lundi, par exemple, ils se sont excusés platement, en nous assurant qu’ils faisaient tout leur possible pour nous fournir les informations attendues. Je ne crois pas qu’ils essayaient de nous faire un mauvais coup. Mais ces discussions, franches tout en restant courtoises, se sont révélées frustrantes.

Je n’ai pu m’empêcher de penser que la nouvelle équipe essayait de restreindre l’accès de la presse à l'investiture.

Le président-élu, Donald Trump, dans l'ascenseur de la Trump Tower, à New York, quatre avant jours avant son investiture. (AFP / Dominick Reuter)

Le bon côté de la situation est d’avoir rapproché les principaux organes de presse, pour parler d’une seule voix et demander un meilleur accès.

Nous n’avons pas essayé d’en obtenir plus qu’aux précédentes cérémonies, mais pas moins. Nous avons tenté de faire comprendre à nos interlocuteurs l’ampleur de l’évènement, son caractère historique. Qui fait que vous ne pouvez pas avoir juste un photographe. Que vous avez besoin d’un grand nombre de professionnels, sur de nombreuses positions, pour capturer toutes les facettes de cet évènement. Nous leur avons dit : si vous ne fournissez pas un accès suffisant, vous ne rendrez pas justice à l’importance de cette investiture.

Ce n’est pas une question de Républicains ou de Démocrates, de gauche ou de droite. Il s’agit de l’Histoire, dont nous sommes les témoins. C’est tout.

Ce blog a été écrit à Paris avec Yana Dlugy.

Eva Hambach