Retour à Unstad
Unstad, Novège -- C’est mon troisième séjour à Unstad, parce que quand on aime le surf, on ne se lasse pas de flotter dans l’eau, même à 5 degrés. Surtout pour y photographier les évolutions d’une légende, l’Australien Tom Carroll.
J’ai découvert l’endroit grâce à un autre grand nom du surf, l’Américain Tom Curren. Mais au fond, quand on se retrouve sur ce bout de la Norvège, avec une poignée de fanas, c’est avant tout pour l’amour des vagues.
L’endroit est minuscule, une baie paumée, dans l’archipel des Lofoten, face à la houle d’ouest de la mer de Norvège, au dessus de l'Atlantique-Nord.
Unstad, c’est une poignée de maisons, surplombées par un cirque de montagnes, auxquelles on accède par un tunnel.
Y arriver est à chaque fois un périple intéressant. Il ne faut pas moins de trois vols, de Paris à Oslo, puis à Bodo, et enfin jusqu’à Leknes, dans un petit bimoteur assez exotique.
J’ai découvert l’endroit il y a trois ans déjà.
La qualité des vagues est de classe internationale, jusqu’à 4 mètres, qui creusent et qui tubent. Des surfeurs américains s’y rendent depuis une dizaine d’années. Evidemment quand ils sont arrivés, l’histoire « officielle » voulait qu’ils aient un peu amené le surf avec eux. En fait ça remonte au début des années 60 avec un Norvégien que j’ai rencontré, Thor Frantzen. Il avait fabriqué son surf sur le modèle d’une planche de la pochette d’un album des Beach Boys.
C’est quand même grâce à un Américain, Tom Curren, qui faisait une tournée sur place, que j’ai appris l’existence d’Unstad. A l’époque je suis resté quatre jours, et l’an dernier, deux semaines.
Toujours au même moment. La « fenêtre » météo est courte. Il faut encore de la neige, avant que les pluies ne la fassent disparaître, mais comme on est bien au-delà du cercle polaire, il faut aussi de la lumière. En plein hiver, on vit au rythme de la « journée bleue » comme ils l’appellent, sans que le soleil apparaisse dans la baie avant le début mars.
Ici, pas de « localisme », le spot est à tout le monde. Comme l’accès n’est pas très aisé, et que les conditions climatiques sont assez sévères, l’atmosphère est très détendue.
On pourrait dire qu’on surfe entre gentleman, avec tous les âges et tous les niveaux. Quelqu’un m’a dit que les gens d’ici sont des « âmes ouvertes ».
C’est l’endroit de rencontres improbables. Comme ces deux étudiantes alsaciennes, qui prenaient le lendemain leur premier cours de surf. Ou une prof, française, de l'école de surf, Myrtille, passée par la nouvelle Zélande.
Pour un photographe, Tom Carroll c’est le rêve.
A 55 ans, il est retraité de la compétition depuis 1993, avec deux titres mondiaux, entre autres.
Mais quand il est sur l’eau, il a toujours des trajectoires parfaites, et une aisance hors catégorie. Il est « actif ». C’est-à-dire que quand il m’aperçoit, il se débrouille pour que je puisse faire mes photos.
Ça me facilite grandement le travail. Parce que je ne suis pas vraiment mobile. J’ai une combinaison intégrale, avec gants et chaussons, en néoprène végétal. Une paire de palmes pour me déplacer. Et mon appareil photo, avec un objectif de 50mm, dans un caisson étanche, fait pour la photo de surf, avec une prise pistolet pour tenir le tout et déclencher, d’une main.
Il faut arriver à ne pas trop bouger, rester en surface avec les palmes, et calculer la trajectoire du surfeur. C’est pour ça qu’avec un type comme Tom Carroll, c’est plus simple.
C’est un exercice assez physique, à cause du courant, des vagues à passer. Je dois préserver mon énergie.
Quand je sors de l’eau, après plus de deux heures en général, c’est à cause des crampes, pas du froid.
Les températures sont acceptables, grâce à l’influence du Gulf Stream, avec de l’eau à 5 degrés et de l’air entre -3 et +2 degrés.
En sortant, on apprécie quand même vraiment le sauna et le bain chaud, installés sur la grève.
L’autre intérêt avec Tom Carroll, c’est qu’il est capable de choses réservées aux meilleurs. Comme surfer la nuit. Il n’y en a pas beaucoup capables de faire ça.
Et notamment à Unstad, où il faut bien calculer sa trajectoire, pour ne pas finir sur les cailloux. Je l’ai accompagné trois fois. Dont une où j’ai perdu une palme après avoir passé la barre. Il m’a bien fallu un quart d’heure pour faire 40 mètres et rejoindre le bord.
Pour se loger, c’est un camping en dur, avec des bungalows en bois, ou bien en solo avec une tente lapone, la Kota, équipée d’un poêle. Les nuits sont fraiches.
Le camping est une affaire de famille. La cuisine, excellente, est faite par Marion, l’épouse du patron de l’école de surf, Tom Olsen. Au menu, du cabillaud sous toutes ses formes, frais, fumé, grillé. J’oubliais la langue de cabillaud, qui a un goût de coquille Saint-Jacques. Et de la baleine grillée.
Marion est parfois aidée par un cuistot de plateforme pétrolière, qui occupe épisodiquement ses périodes de repose entre deux séjours à la mer.
Une fois rassasiés, ou à peine sortis de l’eau, on se retrouve sur la plage. Ca papote, comme à Biarritz, mais avec la chance, unique, d’admirer une aurore boréale.
Ce billet a été écrit avec Pierre Célérier à Paris.