A la poursuite de Mr. Trump
New York -- Quatre états en 24 heures. Six en 48 heures. Qui imaginerait que voyager dans un avion d'affaires soit aussi intense?
C'est le lot du journaliste suivant un homme de 70 ans dans sa quête pour devenir le dirigeant le plus puissant du monde occidental. L'homme en question est Donald Trump et cette quête est l'élection présidentielle américaine.
Quant à le suivre en tant que journaliste, c'est à prendre littéralement: on le suit.
Normalement, les journalistes voyagent avec les candidats à la présidentielle pour obtenir plus d'informations de leur part, et ça a toujours fonctionné plutôt bien.
Mais avec Donald Trump, ça n'a pas marché comme ça. Mes collègues de l'AFP et moi-même avons à peine aperçu le milliardaire new-yorkais, et encore moins parlé avec lui.
J’ai voyagé deux jours avec lui à la fin septembre, de Manhattan à la Floride, puis Chicago, le Nebraska, l’Iowa et le Wisconsin. C’était juste après son premier débat avec Hillary Clinton. Débat réputé perdu pour Trump, ce qui expliquait peut-être qu’il ne soit pas très loquace.
Le point d’orgue de ces 48 heures a été la question criée par une journaliste lors de la visite d’une boulangerie, à laquelle il a répondu par un seul mot.
Quelques semaines plus tard ça a été pire pour mon collègue Michael Mathes. Il était de « pool texte » pendant les trois journées se terminant par le dernier débat présidentiel le 19 octobre à Las Vegas.
Le travail en « pool » permet d’accommoder les besoins des médias quand ils sont trop nombreux pour couvrir un évènement. Les journalistes y participant rapportent aux autres tout ce qu’ils voient et entendent. Certains médias ont des journalistes de « pool » attitrés, d’autres, comme à l’AFP, servent à tour de rôle.
Pour Michael, après trois jours passés dans cinq Etats, le bilan s'accordait avec le discours anti-médias de Trump : aucun contact avec le candidat.
C’est la deuxième campagne présidentielle que Michael couvre, et celle du républicain est marquée selon lui par un grand amateurisme.
«Quand est-ce que Trump fera sa répétition pour le troisième débat?» a demandé un journaliste de pool, quelques heures avant ce qui représentait sa dernière chance de redresser la barre d’une campagne à la dérive.
La répétition est un exercice au cours duquel le candidat emprunte le trajet vers la scène, repère l’endroit où il serrera la main de son adversaire, mémorise l’emplacement des caméras, et ainsi de suite.
« Il n’a pas fait de répétition », a répondu un assistant du milliardaire.
Un autre collègue de l’agence, le photographe Jewel Samad, constate la différence avec les campagnes présidentielles de 2008 et 2012, où il a suivi Barack Obama et le candidat républicain Mitt Romney.
Tous deux acceptaient la règle, dite du « pool de sécurité » de la Maison Blanche, qui garantit que où que se trouve un candidat, la presse s’y trouve aussi, au cas où.
Au besoin elle reste à l’écart, dans le cas de rencontres privées ou de levée de fonds avec de riches donateurs.
Rien de tel avec Trump.
Un des journalistes qui le suit à plein temps m’a dit que la dernière fois qu’il a accordé un briefing à la presse remonte au début septembre. Elle a eu droit à 20 minutes d’échanges avec le candidat, lors d’un vol de trois quart d’heure.
Difficile de croire aujourd’hui qu’il s’agit du même homme qui a passé une bonne partie de l’année à reprocher à Hillary Clinton de ne pas accorder de conférences de presse. La roue a tourné.
La candidate démocrate, qui est dans l‘actualité depuis quelques dizaines d’années et a la réputation de se méfier des médias, ne leur a pas accordé de faveurs. Mais alors qu’elle traverse le pays en tous sens dans le même avion que les journalistes qui la suivent, Donald Trump s’en est bien gardé.
Il tient à bonne distance ceux dont le seul objectif est de rapporter ses faits et gestes.
Alors qu’il voyage dans le cocon luxueux de son Boeing 757 TRUMP, les journalistes le suivent à distance ou le précèdent à chaque étape dans un petit appareil, baptisé « Trump Pence Make America Great Again ». Mike Pence est le colistier du candidat républicain.
Ce n’est pas une épreuve pour autant. Il y a le Wi-Fi à bord, pas d’attente épuisante dans un hall d’aéroport, pas de trajet interminable pour récupérer ses bagages et pas de correspondance manquée.
Vous êtes conduits jusque sur la piste. L’avion décolle après quelques minutes et on n’est pas obligé de ranger son ordinateur à ce moment-là.
Le seul contretemps intervient quand, avant de participer à un meeting du candidat, les gardes du corps appartenant au « Secret service » s’assurent que vous n’avez rien de dangereux sur vous.
Dans l’avion, on se restaure avec des dîners chauds et des déjeuners de salades, présentés bizarrement dans une boîte avec un joli nœud doré.
Les serviettes en papier portent les noms Trump-Pence, tout comme les tasses en carton pour le thé.
La présidentielle américaine est le plus grand cirque et le théâtre politique le plus démesuré de la planète.
En tant que journaliste britannique, passée par le reportage au Proche–Orient, l’Afrique et l’Asie du sud pendant dix ans, c’est parfois un spectacle un peu irréel.
« 07:30 dans le hall de l’hôtel Essex House ». Je reçois le mail d’une ligne de la part d’un assistant de Trump, à une heure-quinze du matin, alors que je rentre du premier débat présidentiel.
Six heures plus tard, encore engourdie de sommeil, je suis accueillie à l’entrée de l’hôtel, -un des plus chics de New-York-, par l’assistant, impeccablement habillé.
Une bande de reporters politiques et d’accrédités à la Maison blanche est déjà dans le hall à taper chacun furieusement sur son ordinateur portable.
A peine le temps d’attraper un café et nous voilà convoyés jusqu’à l’aéroport de La Guardia, le plus vétuste du coin.
Nous embarquons tous dans un Boeing 737, direction Miami. L’avion de Trump, un 757 beaucoup plus imposant, est à côté, portes ouvertes. Mais le candidat est invisible.
Nous le retrouverons cinq heures plus tard, dans la salle d’un collège du quartier de « Little Havana », devant un auditoire américano-cubain tout acquis à sa cause.
Cela ressemble à tout sauf à l’assemblée publique, le « town hall meeting », qu’on nous a annoncé. Personne ne pose une seule question. Cinq personnes se relaient pour adresser des louanges à « monsieur le président-élu », et même « monsieur le président », tout court.
Avec leurs remerciements pour les « sacrifices » qu’il consent en participant à l’élection.
Aussitôt terminé, nous courons sous la pluie, nous engouffrons dans un car et rejoignons le convoi du candidat, direction une boulangerie, en passant devant une poignée de manifestants trempés par l’orage.
Nos échanges avec Mr. Trump sont si réduits que la grande affaire du jour est sa prise de commande de café et pâtisseries, payés semble-t-il avec un billet de cent dollars et une clientèle essayant d’apercevoir un homme qu’elle pensait être initialement Barack Obama.
Trump peut se moquer des règles, ne pas voler ou parler avec la presse, mais là où il est très fort c’est dans sa capacité à utiliser les médias pour projeter son image dans les foyers de millions d’Américains ordinaires.
Mais toujours à ses conditions.
Il appelle pendant les émissions de télévision, envoie des tweets provocants en pleine nuit ou arrange des meetings le présentant en milliardaire puissant et populiste.
Comme quand il est arrivé à Melbourne, en Floride, pour son premier rassemblement populaire après un débat télévisé.
Ça commence par le grondement lointain de son jet privé. Des milliers de personnes entassées dans un hangar de l’aéroport se tordent alors le cou pour l’apercevoir. La musique du thriller Air Force One se déchaîne.
Le jet TRUMP s’avance jusqu’à la foule, et s’arrête juste avant que, par hasard, un éclair ne zèbre le ciel.
Quand les portes s’ouvrent et que Trump paraît, l’acclamation de la foule devient assourdissante. L’atmosphère est électrique. Ses supporters, grand-mères comprises, tendent les bras en l’air pour immortaliser l’instant avec leur téléphone mobile.
Au-dessus, des caméras vidéo survolent la foule pour réaliser, nous dit-on, une publicité électorale.
Et par quoi croyez-vous que Trump commence son discours ?
Une attaque en règle contre les «médias corrompus» et servant le système. Et comme à chacun de ses rassemblements, la foule se tourne docilement dans notre direction pour nous huer.
« Dites la vérité », nous lance une femme à un autre rassemblement, dans le Wisconsin, alors que l’on nous escorte vers la sortie, soi-disant pour ne pas retarder le candidat en rejoignant son convoi.
Quelques semaines plus tard, alors que Michael accompagne le candidat à Green Bay, la foule est de plus méchante humeur. Peu avant, la presse a fait ses choux gras d’un enregistrement dans lequel Donald Trump tient des propos orduriers sur les femmes, avant d’accuser les médias de travailler au service d’Hillary Clinton.
« CNN pue! CNN pue!» entonne la foule, alors même que la chaîne d’information en continu diffuse la scène en direct.
A Melbourne, en Floride, une dizaine d’ardents supporters se tiennent dans le vent, écoutant le discours de leur champion via un haut-parleur, pendant que la presse enregistre ses dernières paroles avec des magnétophones tenus à bout de bras.
Et une fois terminé, nous partons, en route dans le convoi, en route vers l’aéroport, en route vers New-York et sans apercevoir une seule fois monsieur Trump.