Trump, les manifestants et les médias : un mélange instable
YOUNGSTOWN (Etats-Unis), 22 mars 2016 (AFP) - Quelques secondes seulement après être monté sur scène à Cleveland, ancienne capitale industrielle de l'Ohio, Donald Trump a déjà incité la foule à siffler et huer à l'unisson. Pas la démocrate Hillary Clinton, ou même ses rivaux dans la course à l'investiture républicaine qu'il insulte pourtant copieusement. Non!
L'objet de ce bruyant mépris, c’est la presse américaine. « Des gens très malhonnêtes, je dois bien vous l'avouer », lance Trump à ses partisans.
Trois jours plus tard, cette fois à Miami en Floride, Trump se lâche contre « les reporters dégoûtants » qui couvrent sa campagne.
Et ils sont nombreux. Depuis l'automne, et encore plus depuis qu'il a commencé à aligner les victoires dans les primaires, couvrir les meetings de Trump est l'une des missions les plus intéressantes et les plus étonnantes que puisse vous assigner votre rédacteur en chef.
Le milliardaire sait comme personne occuper le terrain médiatique, que ce soit avec une déclaration à l'emporte-pièce, une attaque contre ses adversaires ou avec des insultes. Ses partisans semblent eux aussi laisser leurs inhibitions à la porte des arènes où Donald Trump rassemble des milliers de personnes à chaque fois.
Etre journaliste dans un meeting du milliardaire comporte aussi son lot d'incertitudes. Il n'hésite pas à dire tout haut tout le mal qu'il pense d'un journaliste dans la salle et encourage ses collaborateurs, et bien sûr ses partisans, à faire de même. La colère, la violence des invectives et celle des gestes atteignent des niveaux alarmants.
Le samedi 12 mars, je suis à Youngstown, dans l'Ohio, quand Trump s'en prend une nouvelle fois aux journalistes qui, même s’ils lui assurent une couverture permanente depuis des mois, sont les « gens les plus malhonnêtes de la Terre ».
Montrant du doigt les caméras de télévision dans la tribune de presse, il continue sur sa lancée: « Les pires. C'est vrai. Si, c'est vrai ».
Insultes sexistes
C'est le signal qu’attend la foule, en grande majorité composée d’hommes blancs. Ils se tournent vers l'endroit où je me trouve avec le reste de mes collègues (une sorte d'enclos entouré de barrières de sécurité) et commencent qui à nous railler, qui à nous montrer le poing et, pour les plus excités, à brandir vers les caméras des pancartes avec des insultes sexistes anti-Hillary.
Je jette un œil en direction de mes collègues autour de moi. Certains secouent la tête en guise de désapprobation. D'autres murmurent ce qu'ils pensent de tout ça. Mais la plupart continuent leur travail, stoïques, en apparence du moins, face à la foule.
Le milliardaire, dont la candidature avait été prise pour une blague en juin 2015 quand il avait annoncé qu'il briguait l'investiture du parti républicain pour la Maison Blanche, s'est depuis imposé comme l'homme à battre pour ses rivaux. Il est largement en tête dans les primaires, en tête dans les sondages et surtout omniprésent sur les chaînes de télévision dont il fait automatiquement grimper l'audience. Autant qu'un roi de l'immobilier, Trump est un homme de télévision, dont il connaît les codes sur le bout des doigts, grâce à son ancienne émission « The Apprentice ».
Conséquence: une petite armée de journalistes le suit partout et le couvre en permanence, quasiment en temps réel.
Mais ces dernières semaines, les choses se sont nettement compliquées et tendues, surtout depuis les échauffourées entre ses partisans et opposants à Chicago.
Les insultes ne sont pas nouvelles. « Tu es une salope ! » avait lancé un homme à des journalistes lors d'un meeting en février, a rapporté Katy Tur, une journaliste qui travaille pour la chaîne de télévision nationale NBC.
Je n'ai encore jamais fait directement l'objet d'invectives de la part de la foule, bien que plusieurs personnes, dans divers meetings ou réunions, aient lancé des insultes aux reporters qui faisaient leur travail. Mais cette semaine, je suis le témoin de pas mal d'hostilité de la part de supporteurs de Trump, qui accusent la presse de ne pas le traiter équitablement ou de passer son temps à rapporter les plans échafaudés par « l'establishment » républicain - un terme chargé de mépris - pour tenter de stopper leur champion.
Jeux de mots grossiers
Mais, dans leur grande majorité les gens qui participent aux meetings politiques de Donald Trump sont contents de répondre à mes questions, même si on sent bien qu'ils n'aiment guère les médias traditionnels qui pour eux négligent leurs intérêts depuis bien trop longtemps. « Bah, il les énerve un peu plus », reconnaît Royce Audia, une vieille dame de 70 ans qui attend le début d'un meeting à Youngstown, en parlant de l'effet de la rhétorique de Donald Trump sur ses partisans.
Bon nombre de gens dans la foule sont aussi plus qu'heureux de montrer leurs T-shirts, souvent frappés de jeux de mots plus ou moins réussis, plus ou moins grossiers, plus ou moins insultants pour Hillary Clinton ou le président Barack Obama. On me montre notamment un « Barack Obama, 100% blaireau ».
Hématomes
A un autre meeting à Cleveland, les journalistes se font aussi interpeller par des fans de Trump alors qu'ils filment des contre-manifestants. Plus tôt dans la salle, la tension est déjà montée d'un cran quand des photographes de presse ont pris des images de la confrontation. Ils se sont fait copieusement siffler par les pro-Trump.
Mais ce ne sont pas seulement les foules de supporteurs qui s'en prennent aux journalistes. Michelle Fields, une journaliste qui travaillait jusqu'à il y a quelques jours pour Breitbart, un site d'informations très proche des idées républicaines, affirme que le directeur de campagne de Donald Trump, Corey Lewandowski, l'a violemment saisie par le bras au point de provoquer des hématomes. Elle en a diffusé la photo sur Twitter devant les dénégations de M. Lewandowski, qui a assuré n'avoir jamais rencontré la journaliste.
I guess these just magically appeared on me @CLewandowski_ @realDonaldTrump. So weird. pic.twitter.com/oD8c4D7tw3
— Michelle Fields (@MichelleFields) 10 mars 2016
Bien sûr, Donald Trump lui-même adopte un ton virulent voire violent quand quelqu'un lui déplaît. Il s'en prend ainsi depuis des mois à la journaliste de Fox News, Megyn Kelly, mettant en doute ses qualités professionnelles, faisant des allusions à peine voilée à ses règles, ou affirmant carrément dans des tweets à répétition que c'est une « folle ». Des insultes devenues à ce point pressantes que Fox News - où Donald Trump a quasiment table ouverte avec les animateurs vedettes - se fend d'un communiqué cinglant dans lequel il reproche au milliardaire son « obsession maladive » pour la journaliste.
Malgré les menaces, malgré les insultes et l'hostilité, les journalistes continuent à affluer pour tenter de couvrir, et peut-être même comprendre, le phénomène politique le plus intéressant de la saison électorale 2016.
Michael Mathes est un journaliste de l’AFP basé à Washington. Suivez-le sur Twitter (@MichaelMathes).