Rencontre inattendue sur le front
FATSA (Syrie) – Je me trouve dans le village de Fatsa, dans le nord de la Syrie. Ce mercredi 25 mai, l’endroit vient tout juste d’être repris au groupe Etat islamique par les Forces démocratiques syriennes, les FDS. Celles-ci sont formées principalement de combattants kurdes, mais elles comptent aussi dans leurs rangs des arabes sunnites et des chrétiens. La chaleur est accablante. Tous les habitants ont fui. Après une dure bataille, les combattants des FDS que j’accompagne depuis plusieurs heures se reposent à l’ombre d’une maison.
Et puis nous les voyons arriver.
Ils sont une vingtaine, juchés sur des pickups armés de mitrailleuses et de lance-grenades. La plupart n’ont vraiment pas le physique de la région. Ils parlent entre eux en anglais.
Le fait que des « conseillers militaires » américains soient présents dans le nord de la Syrie pour aider les FDS n’est pas un secret. Les Etats-Unis l’admettent officiellement, même si le rôle exact de ces «conseillers» n’est pas très clair. Et voilà que nous avons l’occasion rarissime de voir ces soldats en chair et en os ici, tout près du front.
Je suis venu avec le reporter vidéo Jihad Darwish, et nous sommes ravis. Nous avons parcouru plus de 600 kilomètres en voiture pour arriver jusqu'ici. Comme tout le monde, nous savons depuis longtemps que des soldats des forces spéciales américaines se promènent dans les parages. Mais les voir pour de vrai et pour la première fois, c’est quand même impressionnant.
Fatsa est situé à une cinquantaine de kilomètres au nord de Raqqa, la capitale de facto du « califat » autoproclamé en Syrie et en Irak par l’Etat islamique (EI). Depuis quelques jours, les FDS ont lancé une importante offensive pour chasser les jihadistes de cette partie de la province de Raqqa. Nous sommes à moins de deux kilomètres des territoires contrôlés par l’EI. C’est un endroit dangereux, truffé de mines et d’engins explosifs improvisés. La plupart des maisons sont piégées, il n’est pas question d’y entrer.
Dans le ciel, au-dessus de nos têtes, nous voyons passer des avions de la coalition militaire internationale, ce qui contribue à nous rassurer légèrement. De toute façon je suis habitué aux zones de combats. Peu importe le risque, c’est mon métier.
Au début, je n’ose pas trop photographier les soldats américains. Comment pourraient-ils le prendre ? Donc je commence par les shooter à bonne distance. Petit à petit, je m’enhardis, je m’approche. Je m’efforce d’agir calmement et de sourire, histoire de les mettre en confiance.
Certains arborent le drapeau américain sur leur treillis. Plusieurs autres portent à l’épaule un écusson des Unités de protection du peuple (YPG) kurdes, ou de leur brigade féminine, les Unités de protection des femmes (YPJ). Pourquoi ? Impossible de le savoir. Ce n’est pas moi qui vais aller le leur demander…
Un combattant des FDS nous confirme qu’il s’agit des « forces d’opérations spéciales américaines », et qu’elles sont là pour leur apporter un soutien en formation et en entraînement. Et plus tard, un responsable du Pentagone expliquera que les commandos américains arborent couramment sur leurs uniformes les emblèmes des unités qu’ils entraînent. Voilà sûrement l’explication…
Notre présence ne semble pas vraiment déranger ces mystérieux soldats, dont certains ont les yeux dissimulés derrière d’épaisses lunettes de soleil, même si certains préfèrent regarder dans une autre direction quand nous pointons nos objectifs vers eux. Ils refusent de nous parler, mais personne ne nous empêche de prendre des photos et de filmer. Tous restent très calmes.
Au bout d’un moment, les Américains et les FDS se dirigent vers une école dans les environs du village, où se situe vraisemblablement leur camp d’entraînement. Nous les suivons. Sur le chemin, nous passons devant d’autres soldats américains qui sont en train de transporter des missiles anti-char en haut d’une bâtisse. « Sur le toit de cette maison, les militaires américains utilisent des missiles TOW pour tirer sur les voitures piégées auxquelles l'EI a recours pour attaquer les FDS », nous explique un commandant rebelle, Hawkar Kobané.
Un des militaires américains, qui a l’air d’être le chef du groupe, se dirige vers nous et nous crie en anglais d’arrêter de photographier et de filmer. Nous continuons notre route, mais arrivés près de l’école, des combattants rebelles nous bloquent pour de bon. Pas question de continuer, ordre du commandement des FDS. De toutes façons, la nuit tombe. Alors nous rebroussons chemin.
(Cet article a été écrit avec Roland de Courson à Paris et Rita Daou à Nicosie).