Le déblocage du dépôt
DOUCHY-LES-MINES (France) – Une photo en soi ne raconte pas toujours toute l’histoire. Prenez mes images du déblocage par les forces de l’ordre du dépôt de carburant de Douchy-Haulchin, dans le Nord de la France, dont l’accès était verrouillé depuis le 19 mai par des opposants à la loi sur le travail. Elles suggèrent un affrontement violent, spectaculaire. La réalité est pourtant très différente.
Dans la soirée du mardi 24 mai, l’information commence à circuler parmi les journalistes et les manifestants: une intervention pour dégager l’accès au dépôt aura lieu le lendemain à l’aube. Le gouvernement français a promis de « libérer » les quelques entrepôts de carburant bloqués par les protestataires à travers le pays. Dans le Nord de la France, un cinquième des stations-service sont à sec, prises d’assaut par les automobilistes qui craignent une pénurie d’essence. Même dans la Belgique toute proche, les files d’attente pour faire le plein commencent à s’allonger.
Douchy est à une quinzaine de kilomètres de chez moi et je suis un des premiers à arriver sur place, vers quatre heures du matin. Environ 80 manifestants tiennent le barrage à l’entrée du dépôt. Ils se relaient jour et nuit depuis six jours. Leur plan, c’est d’entasser des pneus sur la route et d’y mettre le feu dès que l’intervention policière commencera, puis de s’en aller sans chercher la bagarre.
Peu après cinq heures du matin, l’opération démarre. Les policiers sont venus en nombre, en tenue anti-émeutes et épaulés par un canon à eau. Quelques jours plus tôt, des groupes « d’antifascistes » potentiellement violents venus de Lille s’étaient montrés à Douchy. Il n’y avait pas eu d’affrontement, mais les forces de l’ordre s’attendent à tout.
Mais il n’y a pas de casseurs ce matin. Juste une poignée de syndicalistes qui font ce qu’ils ont prévu de faire : un gigantesque brasier de pneus au milieu de la route.
Il fait très chaud près des flammes. Les CRS avancent lentement. Les manifestants reculent. Je n’ai aucune difficulté à passer d’un camp à l’autre pour prendre mes photos : je suis de la région, j’ai autant d’amis parmi les policiers que parmi les manifestants, et de toute façon personne ne se comporte de façon violente.
Puis le canon à eau entre en action et tout le monde se disperse en quelques secondes. Les pompiers éteignent l’incendie, les syndicalistes retournent à leurs voitures. Personne n’est blessé, personne ne se fait arrêter.
Ailleurs en France, de nombreuses manifestations contre la loi sur le travail ont dégénéré, il y a eu des blessés graves parmi les policiers et les manifestants, et de gros dégâts matériels. Mais à Douchy tout se résume finalement à une simple démonstration de force de part et d’autre. Même si mes photos, grâce aux flammes et à l’excellente lumière de l’aube, peuvent suggérer tout le contraire.
(Cet article a été écrit avec Roland de Courson à Paris).