Pédaler vers une vie meilleure
SKOPJE, 11 juin 2015 – Nous avons beaucoup de problèmes en Macédoine. Le pays traverse une profonde crise politique. Il est également secoué par des violences récurrentes et des tensions entre la majorité slave et la forte minorité albanaise. En parallèle, une autre crise, humanitaire celle-là, se déroule tous les jours sur le principal axe routier sud-nord du pays, le long de la vallée du fleuve Vardar.
C'est là que circulent des milliers de déshérités venus principalement de Syrie, mais aussi d’Afghanistan et d’autres régions du monde où sévissent la guerre, la misère et l’insécurité. Ils marchent le long des routes et des voies ferrées qui mènent vers ce qu'ils imaginent être leur unique salut : l'Union européenne.
La plupart viennent de Grèce. En raison de la crise économique qui frappe ce pays pourtant membre de l’UE, de plus en plus de migrants qui y séjournaient décident de tenter leur chance ailleurs. L’écrasante majorité veut rejoindre l’Allemagne, où ils estiment qu’ils auront les meilleures chances de refaire leurs vies. Mais ils doivent avant cela traverser la Macédoine, puis la Serbie. Le nombre de migrants qui se présentent à la frontière serbo-hongroise, porte d’entrée de l’espace de libre-circulation européen, a plus que quadruplé entre 2012 et 2013, selon Frontex, l’agence qui gère les frontières extérieures de l’UE.
En Macédoine, les migrants illégaux ne peuvent utiliser les transports en commun. Les autorités interdisent aux compagnies de train ou d’autocar de leur vendre des billets. En revanche, elles tolèrent la marche à pied. Cela n’a aucune logique, mais cette situation découle surtout des lacunes et du caractère confus de la législation macédonienne sur les étrangers (une nouvelle loi à ce sujet devrait bientôt être adoptée).
Récemment, j’ai lu dans les journaux locaux que certains de ces migrants avaient trouvé un moyen original d’accélérer leur traversée de la Macédoine : le vélo. Cela a éveillé ma curiosité et je suis parti à leur rencontre.
A Demir Kapija, une ville à une dizaine de kilomètres de la frontière grecque, un tout nouveau business s’est mis en place on ne sait trop comment. Pour 150 à 200 euros, les migrants qui en ont les moyens peuvent y acheter des vélos. Le bouche à oreille aidant, ce moyen de locomotion est devenu de plus en plus populaire parmi les clandestins.
Les migrants savent, d’après les informations fournies par ceux qui sont passés par là avant eux, qu’après avoir franchi à pied la frontière entre la Grèce et la Macédoine ils pourront trouver des vélos sur lesquels poursuivre leur périple, en accrochant sur le porte-bagages le maigre sac à dos renfermant tout ce qu’ils possèdent. Nombre d'entre eux poussent les vélos sur lesquels sont installés leurs enfants.
La plupart de ces migrants sont faciles d’approche. Ils me laissent les prendre en photo, me sourient, bavardent. Ils me racontent les tristes raisons qui les ont poussés à quitter leurs pays.
Bien sûr, la plupart ne sont absolument pas conscients des tourments politiques et ethniques qui agitent le pays qu’ils traversent. Ils ont d’autres préoccupations en tête. La route est longue et dangereuse. En témoigne l’accident qui s’est produit fin avril sur une voie ferrée près de Veles, à une cinquantaine de kilomètres au sud de Skopje. Quatorze clandestins somaliens et afghans ont péri écrasés par un train international en provenance de Grèce. A cet endroit, la voie ferrée traverse un étroit canyon : d’un côté, il y a une paroi rocheuse. De l’autre, il y a un ravin. Les malheureux, qui se reposaient sur les rails, n’ont tout simplement pas eu assez de place pour fuir.
La police ferme les yeux sur ces migrants à pied ou à vélo, et concentre ses efforts de répression sur les réseaux de passeurs. La Macédoine se trouve sur la « route des Balkans » utilisée par toutes sortes de trafiquants d'êtres humains, mais aussi de drogue et d'armes.
Le phénomène des migrants cyclistes a atteint des proportions assez importantes. Des centaines d'entre eux remontent chaque jour la vallée du Vardar. Une fois arrivés à Kumanovo, dans le nord de la Macédoine, ils se débarrassent de leurs deux-roues et continuent à pied leur route vers la Serbie toute proche. Car un vélo est un fardeau inutile et encombrant lorsqu’il s’agit d’emprunter des sentiers pour passer la frontière en cachette.
Si l’on en croit la rumeur, les vélos abandonnés par les migrants à Kumanovo sont rassemblés puis transportés à nouveau à Demir Kapija, où ils sont revendus à d’autres clandestins arrivés de Grèce. Il ne faut pas sous-estimer l’esprit d’entreprise du Macédonien de base.
Robert Atanasovski est un photographe indépendant basé à Skopje qui collabore régulièrement avec l’AFP. Texte réalisé avec Jovan Matic, à Belgrade.