Johannesburg sans le son

Marco Longari, chef de la photo en Afrique, vit depuis 2014 à Johannesburg. Lorsque le confinement a démarré, le 27 mars, il a décidé d'utiliser une chambre photographique grand format pour raconter la ville sous "lockdown", profitant du calme qui s'en était emparé et qui permettait la concentration, la lenteur et les gestes précis nécessaires à la photographie argentique. Mais il ne restait plus dans la grande ville africaine au commerce arrêté que deux films pour ce type d'appareil... en noir et blanc. Armé de sa chambre pliante, d'un drap, d'une cellule pour mesurer la lumière et d'un trépied,  il en a tiré un travail qui traduit l'esprit de la ville, vidée de ses sons... comme si elle avait perdu sa couleur.  Un récit-déambulation à lire et écouter. 

 

Johannesburg, six millions d'habitants est une capitale à l'anglosaxonne, étendue, avec son centre-ville historique, raconte Marco Longari avant de la comparer à sa ville d'avant,  Jérusalem, où il a vécu de 2007 à 2014, "un monde à part, concentré dans le conflit, la religion".  JoBurg, c'est "une vraie ville, avec des problèmes de ville: la pollution, le trafic... ". Il aime y vivre: "On y trouve des histoires et beaucoup d'interactions. Evidemment, il y a des contraintes réelles, il ne faut jamais baisser sa garde, être attentif, mais on ne peut pas réduire cette ville à l'insécurité. Il y a des endroits où tu peux tranquillement te promener et d'autres où tu ne peux pas ... mais ça c'est Paris, c'est Rome, c'est New York ou Londres... Elle est très vivante, elle a du caractère. On y trouve de vrais gens, qui travaillent, qui se battent".

Le confinement, poursuit-il, "c'était comme si on avait coupé le son".  "C'était comme si l'on était passé d'un film en couleur avec une bande sonore et des sons qui rendent la vie vivante... à un film muet en noir et blanc". 

 

Armé de sa chambre photographique, il a la sensation d'avoir "une immense scène" devant lui, dont il pouvait faire ce qu'il voulait "car la ville ne bougeait pas à ce moment là".  "Il faut vraiment bien réfléchir à où tu veux poser la caméra". "Tous ces gestes sont très différents du métier quotidien d'un journaliste photographe à l'Agence France-Presse". "J'ai dû tout faire beaucoup plus lentement, sans être pressé par la deadline. Me recréer des espaces, dans cette ville vide sans son... je me glissais sous le drap pour cadrer, vérifier que cadrage était propre, et après +faire click"+... et faire tous ces gestes qui appartiennent au métier de photographe du passé". 

Quartier de Hillbrow, Johannesburg, le 15 avril 2020 (AFP/ Marco Longari)

 

"J'ai cadré la photo vers le centre ville, avec la perspective de ce grand boulevard vide et les bâtiments au fond. J'étais à contresens. Les éventuelles voitures venaient vers moi. Je me suis mis la tête sous le drap pour pouvoir cadrer. Quand j'ai soulevé le drap, il y avait trente personnes aux fenêtres du bâtiment derrière moi. Ils observaient  en silence et semblaient ne même pas respirer, pour ne pas faire de bruit.  J'ai vécu beaucoup de scènes semblables dans la ville. Les gens bougeaient autour de moi délicatement, comme s'ils avaient compris l'esprit de ce que j'étais entrain de faire".

 

Johannesburg, le 15 avril 2020, Lilian Ngoyi street (AFP / Marco Longari)
Johannesburg, le 15 avril 2020, vue sur Rissik street à proximité de la gare Central station


 

7 Mai 2020, vue sur les gratte-ciels de Braamfontein et Hillbrow depuis le grand terminal de bus de Bree street à Johannesburg. (AFP/ Marco Longari)

"Cette image est prise depuis le deuxième étage d'un grand terminal de bus, normalement noir de monde. C'est l'un des grands carrefours pour les habitants. Au fond, on voit un quartier du centre ville assez moderne. Au moment où j'ai pris la photo c'était vide et silencieux... vraiment étrange".

 

Johannesburg, le 9 mai 2020, dans le district de Jeppestown (AFP/ Marco Longari)

 

 

District de Kensington, Johannesburg le 9 mai 2020 (AFP / Marco Longari)

 

District de Kensington, Johannesburg, le 9 mai 2020 (AFP/ Marco Longari)

 

 
Johannesburg, le 9 mai 2020. Don Buildings sur Commissioner street. (AFP/ Marco Longari)

Après... il a fallu développer. Il y a une seule personne qui développe du noir et blanc à Johannesburg,  Dennis da Silva, un spécialiste qui développe des artistes de réputation internationale.

Mais il ne voulait rien savoir de moi, il était confiné chez lui. Je l'ai appelé jour après jour jusqu'à ce qu'il cède", raconte Marco dans un rire. 

 

 
Johannesburg, le 15 avril 2020. "Belvista Flats", dans le "Central business district". (AFP/ Marco Longari)

Il a fini par ouvrir son labo pour lui. "Je lui donne la première partie de la série, où il y avait des erreurs. Il m'appelle et me dit, mais Marco qu'est-ce que tu as fait ? Je lui ai répondu, s'il te plait, je vais te donner une deuxième série, ca va aller.

Finalement, il était très content !". 

 

Johannesburg, le 10 mai 2020, station essence sur Davies Street à Doornfontein (AFP / Marco Longari)

 

"Nous sommes encore à mi-chemin de ce confinement, cela va être long... nous n'avons pas encore atteint le pic de l'épidémie. Et j'aborde ça avec un énorme sens de responsabilité. Nous avons l'énorme chance d'être témoins d'un événement de cette portée, de cette intensité. Chaque jour nous devons ramener des photos qui rajoutent une brique à cette histoire que nous racontons collectivement de cette période qui intéresse des millions, des milliards de personnes sur terre... Il faut que l'on apporte des images qui ont un sens, une identité une histoire qui parle aux gens. Il y a eu une étape où je me suis senti pris dans le tourbillon de l'Histoire avec tout ce qu'il y a à faire lorsque l'on travaille pour une agence de presse énorme comme l'AFP... mais j'ai tenté de trouver un moment pour m'arrêter, réfléchir, regarder, trouver un autre point de vue".  "Je coupe le son et t'envoie l'audio, OK?. Ciao!".

 

 

Johannesburg, le 10 mai 2020, les allées de Parkhurst sont jonchées de feuilles que les jardiniers ne peuvent plus ramasser (AFP / Marco Longari)

 

 

Récit: Marco Longari. Montage: Michaëla Cancela-Kieffer

 

Marco Longari