Dedans/dehors: journalistes vidéo aux temps du confinement

Paris - "On la désinfecte comment la caméra ?"... début mars, le nouveau coronavirus s’étend en France. Au sein de la rédaction de l'AFPTV à Paris où de nombreux journalistes se croisent encore, on se prépare au confinement à venir. "La carte de presse ça sera bon ou pas pour sortir en reportage ?", "Peut-on aller chez les gens pour faire des interviews?", les questions fusent alors que la crise sanitaire commence à frapper le pays et nous y répondons au fur et à mesure.

Le 16 mars au soir, le président de la République Emmanuel Macron prend la parole: "Retrouver ses amis dans le parc ou dans la rue, ce ne sera plus possible." Le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner ose lâcher enfin le mot confinement. "Le mot d'ordre, c'est restez chez vous".

Allocution télévisée d'Emmanuel Macron, le 16 mars 2020 (AFP / Ludovic Marin)

En coulisses ce soir-là à l'édition vidéo, les yeux rivés sur les écrans, nous sommes trois journalistes sur le pont. Il faut envoyer au plus vite ce que l'on appelle chez nous les "premières images", l'équivalent en vidéo des dépêches portant la mention “urgent”, de courts extraits vidéo contenant les déclarations importantes, attendues par toutes les rédactions françaises et internationales.

Le lendemain à midi, alors que les mesures commencent à entrer en vigueur, Paris change de visage. Les reporters vidéo documentent sur le terrain ces villes de France transfigurées, aux habitants calfeutrés. Ils sont "subjugués", si l'expression est permise en ces temps si sombres, par le spectacle offert.

Tour Eiffel, 11 mai 2020 (AFP / Philippe Lopez)
Vue de la Tour Eiffel depuis l'esplanade du Trocadéro, 24 avril 2020 (AFP / Ludovic Marin)

 

Viken Kantarci, Journaliste reporter d’images revenu de Mulhouse, parcourt Paris à vélo, un arrondissement après l’autre, une main sur le guidon et l'autre sur une petite caméra embarquée. Roulant sur les quais de Seine, près de Saint-Michel, il évoque l’impression “un peu bizarre mais plutôt agréable d'avoir la ville pour soi".

Manon Billing, elle, habituée à couvrir en “live” les rues vides de la capitale durant ce confinement, fait le parallèle avec les films "post-apocalyptiques". Je reste impressionné, au huitième jour de confinement, par la place de la République à Paris, haut lieu de rassemblement, vide, où d'habitude se succèdent les différents groupes de manifestants.

Tous les jours, les JRI (Journalistes reporters d'image) de l'Agence se relaient, du matin au soir, pour montrer au monde l'image d'une France endormie, mais où ici et là les initiatives fleurissent pour faire face au coronavirus.

 

Le télétravail est un défi pour la rédaction vidéo, qui nécessite des moyens techniques colossaux: des postes pour éditer les vidéos qui nous arrivent du terrain, dotés de stockage suffisant car la vidéo est lourde, le tout alors que les bandes passantes des particuliers sont saturées: tout le monde est sur internet pour travailler, jouer, télécharger....

“Auparavant, nous étions toujours au bureau,” explique Sylvie Guyot, adjointe au rédacteur en chef AFPTV France. Qu'à cela ne tienne, des postes sont déployés au domicile de journalistes chargés de l’édition qui reçoivent, traitent, corrigent et enrichissent la production de tous les reporters de terrain. "Aucun souci de connexion internet", se réjouit Najat Dalon, éditrice vidéo, qui travaille de chez elle, "bien équipée". D'autres n'ont pas eu cette chance, et souvent la connexion ou la technique a joué des tours aux journalistes confinés, ajoutant une belle dose de stress à leur quotidien. Le confinement aura "bouleversé" notre manière de travailler, assure Virginie Grognou, adjointe au rédacteur en chef AFPTV France.

Côté bureau, nous n’étions plus que  quatre ou cinq dans une agence désertée… mais notre production était tout de même d’une intensité rare, elle a même augmenté ! Pour preuve, les playlists incroyables de nos camarades de la cellule digitale, qui éditent quotidiennement les sujets pour nos chaînes Youtube

Et les images, alors d’où viennent-elles ? “Quand tu es JRI, le télétravail à 100% c'est impossible", explique Eden Woldearegay, JRI anglophone à Paris, restée pour sa part chez elle pour adapter en anglais les nombreux reportages réalisés.

Pour certains "irréductibles" hors de question de rester à la maison. Notre mission est de produire des vidéos et donc d’aller sur le terrain, de raconter en images ces villes désertées, de se rendre dans les hôpitaux, ou d’assister aux conférences de presse. Certains stockent désormais tout l’équipement chez eux -- caméras et ordinateurs -- pour monter les images sans avoir à passer par le bureau.

(AFPTV)

Tout reportage jugé "risqué" doit avoir un feu vert de la rédaction-en-chef. La consigne: écarter les tournages "non prioritaires". Il faut s'astreindre "au strict nécessaire". Face à la maladie de Covid-19, les journalistes de l'agence, possibles vecteurs du virus, doivent limiter les contacts.  Certaines rencontres restent mémorables… aussi pour les interviewés, qui comme nous échappent ainsi "un court instant au confinement", souligne ma collègue Cléa Péculier.

"LIVE au satellite !"

Pour les directs, pas le choix en revanche, il faut des spécialistes à l’agence pour envoyer le “signal” au satellite et transmettre nos contenus. On appelle ce flux qui redescend du satellite le “downlink”, envoyé aux clients du monde entier. La magie s’opère dans la “Master Control Room” (MCR, la salle des directs),  sorte de "tour de contrôle", qui réagit presque instantanément dès qu'un événement important se produit dans le monde.

La salle des directs de l'Agence France-Presse, le 31 janvier 2020 (AFP)

Dans cette petite pièce pleine d’écrans, de mosaïques d'images, il suffit d’un coup d’œil pour passer de Londres à Moscou, de Hong-Kong à Paris. C’est ici que les images des journalistes vidéo de l'AFP du monde entier convergent en direct. Conseils des ministres, événements sportifs...

Ici aussi l’équipe est cependant également plus réduite qu’en temps normal: seuls un opérateur et un journaliste sont présents physiquement pour "assurer l'opérationnel", détaille Henry Bouvier, responsable AFPTV Live… les deux autres travaillaient aussi… de chez elles ! Ces images en direct qui sont ensuite montées par le pôle édition de l'AFPTV, afin de fournir aux médias les premières images des événements.

Pendant le confinement, plus de 1.300 “live” ont été envoyés par l’AFPTV en France et dans le monde. Quelque 700 reportages ont été diffusés en français, plus de 600 en anglais et des centaines dans d’autres langues, dont l’espagnol.

 

Nous avons aussi accompagné le travail de notre équipe de fact-checking, monopolisée par la pandémie de fausse nouvelles en lien avec le nouveau coronavirus, en réalisant, pour la première fois, des “fact-checks” en vidéo, réalisés avec notre cellule innovation.

Parmi les tournages également incontournables: les fameux applaudissements de 20H00. Pour Myriam Adam, "la touche originale", c'était de filmer "quand il y a des spectacles, de la musique, de la danse" aux balcons, et de montrer ainsi toute la créativité dont les Français savent faire preuve depuis leurs fenêtres, pour rendre hommage aux soignants mobilisés dans cette crise… le tout “en direct”.

Balcons de Saint-Mandé, en banlieue parisienne, le 4 mai 2020 (AFP / Martin Bureau)

"Une période de liberté", avec "plein de chouettes rencontres", compensant la tristesse liée au macabre décompte des victimes du nouveau coronavirus, se remémore Fabien Novial, JRI au département éco de l'AFP. “Le manque de contact humain" s'est aussi bien fait sentir, avoue Esther Delord alors que David Cantiniaux, éprouve cette distance, “qui cassait le lien entre les journalistes et l'interviewé.”

Le déconfinement progressif a commencé... et maintenant, nous, journalistes vidéo de l'AFP attendons impatiemment le jour où, sur nos écrans de caméras, les visages réapparaîtront sans masques.

Nantes, le 1er mai 2020, spectacle musical de rue pour la Journée internationale des travailleurs (AFP / Loic Venance)

Récit et vidéo: Hassan Ayadi.  Montage vidéo: Pierre Rateau. Edition Blog: Michaëla Cancela-Kieffer 

Hassan Ayadi