(AFP / Gabriel Bouys)

Frankie va à Hollywood

LOS ANGELES (Etats-Unis) - « Il y a une erreur, +Moonlight+, c'est vous qui avez gagné le prix du meilleur film ».

« Ce n’est pas une blague, montez ici ».

« Ce n’est  pas une plaisanterie. +Moonlight+ : meilleur film ».

« Ce n’est pas une plaisanterie. Moonlight : meilleur film", annonce au micro le producteur de "La la Land", Jordan Horowitz, devant l'acteur Warren Beatty, le 26 février 2017. (AFP / Mark Ralston)


 

La controverse a provoqué de ma part une éruption de jurons, impubliables sur mon écran d’ordinateur, dans les secondes qui ont suivi ce pataquès. Nous étions en train de couvrir le plus grand évènement du show-business de l’année, les Oscars, quand nous avons assisté à l’impensable, une erreur dans la désignation du meilleur film, au bénéfice de « La la Land » plutôt que « Moonlight ».

(AFP / Gabriel Bouys)

Une fois l’erreur admise, nous avons bondi dans la salle de presse comme du popcorn dans une poêle. Qui pouvait être responsable d’une gaffe aussi monumentale? Quelles têtes allaient tomber? Est-ce que Poutine était impliqué? Trump allait-il envoyer les troupes à Hollywood ?

Ce dénouement surréaliste a conclu de façon magistrale ma première année au poste nouvellement créé de correspondant en charge de l’industrie du divertissement, basé à notre bureau de Los Angeles, sur Sunset Boulevard. 

Environ douze mois plus tôt, le premier jour du reste de ma vie a lui aussi commencé de façon inattendue.

Frais débarqué en bermuda et claquettes, pour m’accommoder du proverbial soleil californien, je me suis fait cueillir par une vague de froid inattendue, qui m’a laissé en état d’hypothermie dans les locaux sans chauffage du bureau des douanes près de l’aéroport.

Je m’y trouvais pour assurer la libération de Biggie et Tupac, grelottant misérablement derrière les barreaux d’une cage, et aussi nus qu’au jour de leur venue au monde. 

Papiers en ordre, j’ai hélé un taxi et laissé le siège arrière à mes deux compagnons, dont je dois préciser qu’il s’agit de chats domestiques d’Afrique de l’Ouest à poil court. Et non pas d’icônes du hip-hop, descendus dans une série de règlements de compte au plus fort de la rivalité des bandes de « gansta rap » des côtes Est et Ouest, dans les années 1990.

Quand j’ai pris le poste, ça n’a pas été sans un certain scepticisme. Des amis m’ont avoué leur surprise que je lâche les sujets sérieux. A l’inverse, un confrère du genre cynique, qui œuvre dans une feuille à scandales, m’a félicité d’avoir enfin choisi d’écrire des histoires que les lecteurs aient envie de lire…

Après quelques mois d’une acclimatation assez mouvementée, je me suis rendu compte qu’en fait j’avais le meilleur job dont un journaliste puisse rêver. Etre payé pour aller au cinéma!

Le plus vieux cinéma du monde, L'Eden, à La Ciotat, à sa réouverture en 2013. (AFP / Anne-christine Poujoulat)

 

Dans ce cas, en quoi consiste mon travail, me demanderez-vous.

On écrit sur les séries télévisées et les films qui pourraient intéresser des spectateurs, on interviewe ceux qui y jouent et les réalisent, et on s’invente au besoin un reportage à l’extérieur quand le bureau principal à Washington vous demande des nouvelles d’une des filles Kardashian.

Je mentirai en vous disant que c’est juste un peu plus compliqué que ça. Même si pour les Kardashian, j’étais vraiment en reportage, c’est juré.

On me demande souvent, comme l’a fait l’acteur Hugh Grant en personne, si ça fait bizarre de passer des conflits djihadistes et de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest à la vie des gens riches et célèbres.

Après les élections présidentielles au Mali, 29 juillet 2013. (AFP / Kenzo Tribouillard)
Hugh Grant, à Saint-Sébastien, septembre 2016. (AFP / Eli Gorostegi)

 

 

Mais le journalisme est un métier qui n’est pas cantonné aux crises, et la couverture de l’industrie du divertissement est similaire à celle de bien d’autres secteurs.

Une plainte pour plagiat de Led Zeppelin, ou la procédure de divorce de Johnny Depp, sont avant tout chose des affaires judiciaires. Un Question/Réponse avec l’équipe de « Game of Thrones » n’est pas très différent du suivi d’un conseil municipal. Et l’interview d’un réalisateur célèbre n’est ni plus facile, ni plus compliquée, que celle d’un politicien. 

Il y a plusieurs façons d’aborder une star. L’une des plus courantes, et des plus frustrantes, est le tapis rouge.

Le tapis rouge, au Festival de Cannes en mai 2016. (AFP / Antonin Thuillier)


 

Vous pouvez vous imaginer la scène, même sans y avoir jamais mis les pieds : des dizaines de photographes, reporters d’images et journalistes texte mendiant frénétiquement une pose ou une phrase, comme une bande de rats-taupes aveugles luttant pour accéder à une mamelle à l’heure du repas.

Couvrir un tapis rouge exige une bonne dose d’énergie et des coudes solides. On vous octroie un espace si chiche qu’il faudrait appartenir à une espèce en deux dimensions pour en respecter les limites.

Vous êtes obligés de vous pointer au moins une heure avant le début des hostilités. Si c’est une cérémonie de prix ou un dîner de gala, il faut en plus enfiler un smoking grace auquel la sueur à votre col dégouline jusqu’aux chaussures.

Pendant les 58 premières minutes, la majorité des gens passant sous vos yeux sont moins célèbres que vous. Le gamin qui avait un rôle de figurant, coupé au montage, ou le cousin par alliance du type qui tenait la cantine. Ce genre de personnes.

La rare étoile qui passe semple n’avoir aucune envie de parler, et s’emploie à mimer la surdité tout en s’évertuant à battre le record de vitesse de marche à pied.

Et puis, dans les deux dernières minutes, c’est la ruée de tous les acteurs de la liste-A, les plus « rentables ». On les cornaque sur le tapis rouge, comme un troupeau de gnous du Serengeti qu’on s’efforcerait de faire rentrer dans un wagon de métro. Dans ces conditions, essayez donc d’obtenir une déclaration qui tienne la route.

Il a dit quelque chose? George Clooney en compagnie de son épouse Amal Alamuddin, à la Berlinale, en février 2016. (AFP / John Macdougall)


 

Mieux vaut sacrifier au rite du « junket », la rencontre avec une star organisée par un studio pour promouvoir son film avant la sortie. Elle peut prendre différentes formes, mais quant à moi je suis invité à celles de la presse internationale, le plus souvent dans un hôtel luxueux de Beverly Hills.

Vous arrivez, toujours très en avance, et vous attendez, souvent très longtemps. Ca n’est pas vraiment une épreuve, à vrai dire. Pour les faire patienter, les journalistes se voient offrir des buffets gargantuesques, en comparaison desquels les orgies épicuriennes de Néron ont tout d’une vision purement comptable de la restauration.

A Beverly Hills, aubergine grillée, avec tomate séchée et houmous de pignons de pin sur une mini tomate et poivron doux avec feta, grenade, herbes et huile d'olive californienne, le tout sur un pain pita et artichaut grillés sur un taboulé multi-graines et tahini. (AFP / Joe Klamar)
Une création du chef pâtissier Thomas Henzi, pour la cérémonie des Golden Globe Awards, à Beverly Hills, en janvier 2014. (AFP / Joe Klamar)

 

 

Avec un peu de chance, on vous propose un tête-à-tête avec le héros de la superproduction de l’été.

Mais le plus fréquent est la participation à une interview, sous forme de table ronde, avec un scénariste ou producteur de deuxième catégorie, en compagnie de sept autres journalistes qui ont chacun un angle bien précis à creuser.

Une personne aussi adorable qu'on l'imagine. Tom Hanks. Janvier 2017. (AFP / Tommaso Boddi)

Les bons journalistes affrontent ce genre de situation en arrivant avec une ou deux questions susceptibles de provoquer une réponse controversée, d’actualité ou simplement informative chez un acteur qu’on espère franc du collier.

Mais souvent, même en levant la main, la question va à un blogueur qui aimerait savoir quel est le couturier préféré de la star, ce qu’elle a mangé dernièrement, ou bien encore si elle a un petit mot à passer à ses fans en Papouasie-Nouvelle Guinée.     

En revanche, le tête-à-tête avec une star peut être une expérience enrichissante. Même si contractuellement elle est censée promouvoir son film, rien ne l’oblige à être polie ou à faire preuve de charisme. De façon surprenante, c’est pourtant régulièrement le cas. 

Hugh Grant a été par exemple d’une franchise désarmante. Tout en admettant qu’il trouvait parfois particulièrement pénible l’exercice de  l’interview, il a été un exemple de délicatesse pendant tout l’entretien.

Russel Crowe s’est moqué de mon accent anglais, ce qui est un peu gonflé, quand on se souvient de l’indéniable accent irlandais qu’il a utilisé pour son dialecte des West-Midlands, au coeur de l’Angleterre, dans «Robin des bois ».

Elijah Wood, Jon Favreau, Bryce Dallas Howard et Zoe Saldana ont défendu leurs idées et Christoph Waltz s’est affiché combatif, mais aussi drôle et perspicace.

J’ai rencontré Tom Hanks quelques fois et il est aussi adorable et charismatique qu’on l’imagine.

Même quand il crève les yeux que la star a détesté le film dont elle assure la promotion, elle peut se révéler un plaisir à interviewer.

Samuel L. Jackson a préféré discuter avec passion du colonialisme européen et de la traite des esclaves, plutôt que de s’étendre sur ce qu’il pensait du terrible « Tarzan ».

Morgan Freeman, qui devait savoir à quel point « Ben Hur » était mauvais, a fourni des réponses convenues aux questions sur son personnage et a paru plus intéressé par un flirt poussé avec une jeune reporter portant un jean déchiré.

L'actrice Tea Leoni et Morgan Freeman, à la première de la série "Madame la Secrétaire d'Etat", 18 septembre 2014. (AFP / Nicholas Kamm)


 

Mais toutes les stars ne se prêtent pas au jeu.

Linda Blair, l’enfant démoniaque de « L’exorciste », n’avait pas très envie d’évoquer son rôle célèbre et a mis à profit chaque question pour assurer la promotion de son association pour la cause animale.

Kate Mara a répondue poliment à toutes les interrogations, tout en affichant un air d’ennui profond et en tripotant son téléphone pendant le quart-d’heure accordé, en compagnie de l’actrice Anya Taylor-Joy, pour la promotion du film d’horreur « Morgan ».

Il est rare que le tête-à-tête tourne mal, mais quand c’est le cas je pense avoir identifié quatre raisons possibles.

La première est quand vous, le journaliste, n’avez pas produit votre meilleur jeu. Vos questions étaient sans grand intérêt et vous n’avez pas réussi à établir un rapport avec votre interlocuteur. Il faut admettre son erreur, quand c’est le cas.

La deuxième raison est le temps, ou plus exactement son manque. Il y a peu de sujets que l’on puisse balayer en dix minutes, et parfois, surtout en fin de journée, vous disposez d’encore moins.  

Les stars les plus aimables considèrent parfois l’interview comme une conversation, et utilisent deux ou trois de vos précieuses minutes pour vous demander si vous avez soif, vous avouer qu’elles adorent votre accent, ou s’enquérir de votre parcours professionnel.

Ensuite, elles vont s’éterniser sur la question bateau servant à briser la glace, alors que vous n’avez jamais eu l’intention de l’utiliser. Au bout du compte, vous vous retrouvez avec dix questions finement ciselées dans votre carnet de notes, et trois minutes pour en obtenir les réponses. 

Le rapper et fondateur du groupe The Fugees, Pras Michel, lors d'une interview avec l'AFP à l'occasion de la présentation de son film "Sweet Mickey for President" au Festival du film de Los Angeles, en juin 2015. (AFP/ Frederic J. Brown)

 

C’est là qu’intervient la troisième, et la plus irritante, des raisons pour une mauvaise interview: l’excès de zèle de l’agent de publicité. C’est cette petite voix dans l’oreille qui essaie d’orienter la conversation dans un certain sens, et se plaint que vous changiez de sujet.

Citer des noms serait imprudent, mais je me souviens de l’interview d’une légende de la réalisation de films d’horreur. Appelons le Freddy. Ou Jason, appelons le Jason.

Donc, Jason se trouvait devant moi pour la promotion d’une chose n’intéressant a priori personne en dehors du sud de la Californie. Disons qu’il s’agissait d’une chaîne de restaurants mexicains basée à Los Angeles.

Mais Jason est une icône pour tous les fans de film d’horreur, et a un stock inépuisable d’anecdotes sur les films qu’il a tourné.

A chaque fois que la conversation déviait sur son catalogue de réalisation, la voix dans mon dos nous interrompait : « on peut revenir au sujet des burritos ? ».

L'acteur Jamie Foxx en 2014. (AFP / Valerie Macon)

Le dernier écueil d’une interview peut-être la star dont les propos sont impossibles à citer. Il n’est pas rare de rencontrer un acteur incapable de terminer une phrase, sans parler d’émettre une opinion argumentée.

Vous pensez avoir eu une discussion intéressante sur les principes de jeu de Stanislavski ou la Méthode de Lee Strasberg, mais une fois le contenu de votre enregistrement couché sur le papier, vous vous retrouvez avec un salmigondis de réflexions idiotes, un peu comme un lâcher de ballons à moitié dégonflés.

Au rayon des propos impubliables, on trouve aussi des stars, comme Mary la vulgaire, ou Pete le grossier, qui ne peuvent pas prononcer une seule phrase sans l’accompagner d’un juron à racine œdipienne.  

Mon interview du charmant Jamie Foxx s’est réduite à quelques phrases, parce qu’il ne pouvait s’empêcher d’agrémenter chacune de ses anecdotes d’une volée de « p....n ».

Au bout du compte, la conversation ressemblait plus à une scène de film de Tarantino qu’à une interview.

 

Frankie Taggart