Le cri du photographe face au tapis rouge

NEW YORK – On surnomme ça « les Oscars de la côte Est ». Le Met Gala, également connu sous les noms de « Costume Institute Gala » ou de « Met Ball », c’est un gros morceau. Un événement sur un tapis rouge au Metropolitan Museum of Arts de New York qui attire le gratin des arts, de la mode, de la musique, du cinéma et de la haute société. Mon boulot, dans tout ça, consiste non seulement à ramener des photos, mais aussi à me différencier de mes concurrents venus en nombre.

Pour couvrir cette cérémonie, il est nécessaire de s’endimancher. En ce qui me concerne, c’est « black tie » et foulard très classe provenant du marché aux puces de Lexington Avenue. Il faut se présenter trente minutes à l’avance et faire la queue, muni d’un numéro d’accréditation qui détermine votre emplacement. Cette année, j’ai de la chance : on m’a attribué le numéro 13.

Selena Gomez fait son entrée (AFP / Timothy A. Clary)

Pour cette édition, l’AFP a aussi obtenu une accréditation pour un éditeur photo, ce qui s’avère particulièrement utile. Je suis donc ici avec mon collègue Don Emmert, du bureau de New York. Cela me permet de me consacrer exclusivement à la prise de vue pendant qu’il édite et transmet les images. Les fois précédentes, je devais tout faire tout seul : d’abord prendre les photos puis, une fois l’événement terminé, les éditer et les envoyer. Je n’étais pas couché avant quatre heures du matin et les clients de l’AFP étaient servis avec beaucoup de retard. On ne peut plus se permettre ça à l’ère de Twitter et d’Instagram. Il faut aller le plus vite possible.

Les invités commencent à arriver à 18h30, et c’est là que le chaos démarre. Cette année, le thème est « Manus x Machina : la mode à l’âge de la technologie ». Traduction pour les profanes : « portez le plus de métal possible ».

Cindy Crawford (à droite) et Kendall Jenner. (AFP / Timothy A. Clary)

Je m’installe au second rang, près de l’entrée par laquelle surgissent un par un les invités, et je grimpe sur l’échelle que j’ai apportée avec moi. Être posté en hauteur me permet de voir arriver les superstars avec suffisamment d’avance pour réagir. L’espace est très limité, et on n’a pas le temps de changer d’objectif. Cela veut dire qu’il faut couvrir pratiquement toute la soirée avec un seul boîtier et un seul objectif.

Pour les photographes, c’est un pandémonium qui dure deux bonnes heures. Imaginez la scène : un flux ininterrompu de stars qui défilent sur un tapis rouge et qui s’arrêtent pour poser durant quelques secondes à trois endroits différents. Il faut absolument avoir la photo. Tout le monde hurle. Je passe toute la nuit à côté d’un bonhomme qui n’arrête pas de crier en plein dans mon oreille : « Hé ! Hé ! Regardez par ici ! » J’espère qu’à l’heure où cet article sera publié, j’aurai retrouvé mon ouïe.

La reine Rania de Jordanie (AFP / Timothy A. Clary)

Bien sûr, je hurle aussi. Surtout quand je m’aperçois que j’ai manqué quelqu’un ou que ma photo n’est pas réussie. Chaque photographe a son cri. Certains n’hésitent pas à hurler des choses salaces dans l’espoir d’obtenir une réaction. En ce qui me concerne, comme la plupart de mes collègues, je m’en tiens aux traditionnels : « Hé, revenez  par ici ! Faites demi-tour ! »

Il y a tellement de gens qui se succèdent sur le tapis rouge qu’il est parfois nécessaire de faire des choix. Il y a des stars que l’on ne peut pas se permettre de rater. Si Beyoncé apparaît, vous laissez tout tomber et vous la mitraillez.

Il y a aussi des célébrités qu’on ne reconnaît pas. Pour les hommes, en général, ça va. Ils portent un smoking et leur apparence ne change pas beaucoup par rapport à d’habitude. Mais pour les femmes, c’est plus délicat. Certaines s’habillent avec une telle sophistication qu’elles en deviennent méconnaissables. Ou bien alors je n’arrive absolument pas à les situer. Par exemple cette dame qui n’a pas du tout l’air d’être une star de cinéma mais dont l’apparition semble surexciter tous mes collègues.

Plus tard, je m’aperçois que c’était la reine Rania de Jordanie...

Il y a aussi Charlotte Casiraghi. Elle se présente en compagnie d’un type qui ressemble au chanteur des Black Crowes. Sur le moment, j’ai du mal à réaliser que c’est la fille de la princesse de Caroline de Monaco. Dans ce genre de cas, il n’y a qu’une chose à faire : shooter tout le monde, réfléchir après.

La princesse Charlotte Casiraghi, le créateur de mode italien Alessandro Michele (au centre) et Jared Leto (AFP / Timothy A. Clary)

Cette année, je suis tombé sur un très bon spot, juste devant l’endroit où les invités entament leur marche sur le tapis. Plus loin, il y a un virage et ça devient plus compliqué, il y a beaucoup plus de monde de ce côté-là. Ces bonnes conditions me permettent de prendre ce que je considère comme ma meilleure photo de la soirée : l’actrice Claire Danes dans sa robe blanche de style « Cendrillon » conçue par Zac Posen, qui s’avérera aussi être « la » robe de la soirée.

Au Met, il y a toujours une tenue qui se détache du lot. L’an dernier, c’était Rihanna et sa robe qui, à mes yeux, ressemblait à une omelette.

Rihanna au Met Ball 2015 (AFP / Timothy A. Clary)

Cette fois, c’est Claire Danes qui illumine littéralement la soirée. J’aime beaucoup l’image que j’ai réussi à prendre : simple et propre, avec le créateur Zac Posen à l’arrière-plan.

Claire Danes et Zac Posen (AFP / Timothy A. Clary)

Pendant le gala, la concurrence est féroce. Une agence a envoyé six photographes cette année. Pour me différencier, je dois faire preuve d’originalité. Par exemple, je fais beaucoup de plans serrés : des mains, des pieds, des postérieurs, des poitrines.

La photo de Kim et Kanye allait de soi. Le derrière de Kim Kardashian, c’est son emblème, sa marque déposée, et cette année elle porte une robe qui met son séant encore plus en évidence que d’habitude. Ne pas prendre cette photo aurait été un crime.

Kim Kardashian et Kanye West (AFP / Timothy A. Clary)

Idem pour Nicki Minaj. Cette année, impossible de rater sa poitrine. Elle ne fait rien pour passer inaperçue, alors pourquoi devrais-je l’ignorer ?

Nicki Minaj au Met Ball 2016 (AFP / Timothy A. Clary)

Mais avant de commencer à me traiter de tous les noms sachez que quelques jours plus tôt, à la cérémonie Time 100 des personnalités les plus influentes au World of Jazz, j’ai pris une super photo de Nicki sans que sa poitrine y soit pour quoi que ce soit. Tout dépend de la tenue, de l'atmosphère du moment.

J’adore aussi cette photo de chaussures. Je ne sais même pas qui est la femme qui les porte. Elle est là chaque année, dans une tenue à chaque fois plus osée que la précédente. Cette fois, ce sont surtout ses chaussures qui se détachent du lot.

(AFP / Timothy A. Clary)

Je crois que le fait d’être un photojournaliste polyvalent, qui travaille sur tous les types de sujets, m’est d’une aide précieuse pour couvrir ce type d’événement. Prenez la photo d’Amy Schumer l’an dernier, quand elle s’est retrouvée les quatre fers en l’air pendant la cérémonie Time 100 juste sous les yeux de Kim et Kanye. Des tas de photographes ont immortalisé cet instant (une cascade préméditée, aux dires de l’intéressée). Mais la meilleure image, c’était la mienne.

Les photographes de type paparazzi se comportent de façon très mécanique, ils prennent tous des photos de la même façon, avec le même flash, le même objectif. Moi je shootais de façon beaucoup plus souple. Quand Amy Schumer est tombée, beaucoup de gens ont raté la scène, mais moi je l’ai vue du premier coup.

La chute immortalisée (AFP / Timothy A. Clary)

Quand, tard dans la soirée, le Met Ball est fini, nous avons envoyé plus de trois cents photos. A l’aube, alors que les magazines, les journaux, les sites web, les blogs de mode et le fan club de Kendall Jenner ont déjà publié les images de la soirée, je rentre à la maison pour soigner mes pauvres oreilles.

(Cet article a été écrit avec Yana Dlugy à Paris et traduit de l’anglais par Roland de Courson).

Rita Ora (AFP / Timothy A. Clary)

 

Timothy A. Clary