Face au mur
Du Pacifique au Golfe du Mexique -- Photographes, ils ont parcouru la frontière séparant le Mexique des Etats-Unis, chacun de leur côté, de l’océan Pacifique au golfe du Mexique. En se suivant, dix jours durant, tout au long de ses plus de 3.000 km.
Jim Watson, est américain et basé à Washington. Son collègue mexicain, Guillermo Arias, est basé à Tijuana. Yuri Cortez, du Salvador, est basé à Mexico, et les a rejoint sur le chemin.
Ils ont voulu voir de près cette barrière, parfois virtuelle, qui sépare leurs nations, et que le président américain Donald Trump veut renforcer avec un "mur".
A quoi ressemble-t-elle?
Jim - C’est une longue barrière, pleine de trous et d’interruptions. A certains endroits, la frontière est matérialisée par une rivière ou des montagnes, où un obstacle physique n’aurait pas de sens.
A Lukeville, Arizona, un grand mur borde la ville, et se transforme en simple barrière en dehors. A El Paso, c’est un grillage affreux, très intimidant, qui donne l’impression que le Mexique est en prison.
Guillermo – De San Diego, sur la côte du Pacifique, à Tijuana, c’est sans doute la partie de la frontière la plus surveillée, et la plus peuplée aussi. A certains endroits on trouve trois types de barrière. Plus loin, c'est le vide. Et puis ça recommence.
Yuri – Pour moi, la frontière est avant tout comme une ligne mortelle. Elle est dangereuse pour les migrants. Beaucoup meurent dans le désert. Ils se retrouvent sans eau, ou sont tués par des inconnus. La frontière peut-être aussi très belle, avec des paysages superbes et des couchers de soleil incroyables.
Comment est-elle gardée?
Jim - Du côté américain, je crois que la loi dit qu'on ne peut pas s'en approcher à moins de trois mètres. C’est comme une zone morte, vide de gens.
Au début, sur la plage, il y avait au moins une vingtaine de personnes du côté mexicain, aucune du mien.
J’ai souvent été interpellé par des garde-frontières pour savoir ce que je faisais là. Nous avons bien essayé d’obtenir une autorisation de Washington pour les accompagner, mais ça n'a pas marché.
Yuri - Ma mission était de prendre des photos du côté mexicain. Mais à certains endroits il valait mieux faire le chemin par les Etats-Unis, à cause de l’insécurité.
Côté mexicain, l’essentiel des zones longeant la frontière est sous le contrôle de groupes cherchant à faire passer de la drogue en Amérique.
Certaines villes sont plus dangereuses que d’autres, quand plusieurs groupes se disputent le territoire.
On voit qu’à certains endroits, la frontière est aussi très contrôlée du côté américain. Avec beaucoup de garde-frontière, de caméras, de véhicules ou de systèmes de sécurité.
A quoi sert-elle?
Jim - En tant qu'Américain, c’est un sujet un peu compliqué pour moi. D’un côté on comprend qu’une frontière sûre est une bonne chose pour la sécurité du pays. De l’autre côté, il est normal que tout le monde ait droit à une vie meilleure.
A un moment, à Imperial Sand Dunes, j’ai dû marcher jusqu’à la frontière pendant presque deux kilomètres, pour atteindre un chantier. Dans du sable tellement mou qu’on s’y s’enfonce de 20 cm à chaque pas.
J’ai fait mes photos, et en revenant, j’ai réalisé ce que pouvaient vivre ceux qui font ce chemin, pour trouver une vie meilleure de l’autre côté.
Je ne portais que deux appareils photos, mais eux portent des enfants.
De l’eau m’attendait dans la voiture, mais eux ne savent pas quand ils pourront se désaltérer.
Je me suis dit alors qu’il fallait être complètement fou, ou désespéré, pour entreprendre un tel périple.
Ça m’a ouvert les yeux. Même si c’est illégal de franchir la frontière comme ça, le faire dans de telles conditions veut dire qu’il y a une raison profonde derrière. Et cette raison, on ne peut pas la balayer d’un revers de la main.
Tout du long, beaucoup de gens m’ont affirmé qu’un mur est nécessaire, en ajoutant que ce n’est pas le vrai sujet, parce qu’il existe déjà, sous une forme ou une autre.
Selon eux, c’est l’accent mis par le président Trump sur la question de l’immigration qui a créé un problème. Les commerçants se plaignent d’une baisse de leur chiffre d’affaire, parce que les Mexicains qui habitent de ce côté de la frontière restent enfermés chez eux, de peur d’être arrêtés et déportés.
Personnellement, je ne crois pas que le mur soit très utile contre les migrants illégaux. La plupart entrent légalement, et restent à l’expiration de leurs visas.
J’imagine que pour les gardes-frontière le mur est surtout important pour ralentir le trafic de drogue. Il réduit le nombre de points de passage, et permet d’y concentrer des moyens pour le freiner. De leur point de vue, c’est une bonne chose.
Mais ils préfèrent une barrière à un mur, pour mieux surveiller en regardant à travers.
Guillermo - Il y a beaucoup d’endroits sans vraiment de mur, et ça ne servirait à rien d’en dresser un. Parce qu’il faut deux à trois jours pour atteindre un village, et c’est là que les migrants se font attraper.
En fait, pour moi qui habite près de la frontière, ce projet m’a conforté dans l’idée que le sujet du mur préoccupe avant tout les élites politiques du pays. Leur colère et indignation se mêle à un nationalisme un peu rance.
Les communautés qui vivent au bord de la frontière, elles, se sont habituées à cette séparation. Elles acceptent le principe que le gouvernement américain puisse construire un mur, tout comme la réalité qu’ « avec ou sans mur, les gens et la drogue continueront de passer, à travers, par en-dessous ou par-dessus ».
Le véritable problème des habitants, c’est le trafic de drogue. Les vrais « méchants » ne risquent pas de se faire attraper à traverser. Ils contrôlent le trafic d’êtres humains et de drogue depuis ce côté, en toute impunité.
La drogue passe par le mur, mais aussi par les postes-frontières.
Elle est portée à dos d’homme à travers le désert, et par d’ »honorables » citoyens Américains par la route.
Elle est consommée par les junkies indigents à la frontière, et aussi par une bonne part des communautés blanches et pauvres qui ont voté pour Trump.
On parle de la drogue qui passe dans un sens, mais pas des armes qui passent dans l’autre pour alimenter la violence chez nous. Ou de tous ces Mexicains qui n’ont aucune envie d’aller vivre, ou même travailler, aux Etats-Unis.
Une zone dangereuse, du côté mexicain
Guillermo - A Tijuana, où j’habite, j’imagine que les narcotrafiquants me connaissent maintenant. Mais ailleurs, je suis juste un inconnu avec un appareil photo. Quand je vais dans un nouvel endroit, ma méthode consiste à prévenir de ma présence en parlant à des habitants. Et à attendre ensuite quelques jours pour que le message passe. Là, nous devions aller vite. J’étais un peu inquiet. Mais ça s’est bien passé.
Un soir, je faisais des photos du mur dans une vallée. Un gros 4x4 bleu, avec les vitres teintées, s’est arrêté pas loin. J’ai entendu les pneus crisser. Je suis remonté en voiture, lentement. Le 4x4 m’a suivi. Quand je me suis arrêté pour faire une autre photo, il est parti, remplacé par une autre voiture. Elle m’a suivi jusqu’à l’hôtel, au ralenti. Le message était très clair. On te surveille.
Yuri - A chaque fois que nous arrivions à un endroit, nous parlions avec les locaux, pour se renseigner sur la situation. C’est très important pour la sécurité. J’ai rencontré un homme dans un parc. Il m’a dit que dans la journée c’est calme, mais très dangereux la nuit. Ça devient comme une ville fantôme.
Des expulsés, des habitants, des travailleurs, un garde-frontière, un marcheur, et une illégale: portraits.
Ce billet de blog a été écrit avec Pierre Célérier à Paris