Un combattant du mouvement chiite libanais Hezbollah patrouille dans les collines du Qalamoun, près de la frontière syrienne, le 20 mai (AFP / Joseph Eid)

Visite guidée avec le Hezbollah

A LA FRONTIERE LIBANO-SYRIENNE, 28 mai 2015 – Le combattant du Hezbollah fait la grimace. Devant lui, agenouillés dans les positions les plus inconfortables, les photographes tentent l’impossible : prendre des images obéissant aux restrictions draconiennes qui leur sont imposées, mais ayant quand même un minimum de valeur informative. Comme ils n’ont pas le droit de photographier le visage du guerrier ils lui demandent, au moins, de bouger sa kalachnikov pour qu’elle apparaisse dans le champ.

« J’aime pas prendre la pose », grommelle l’homme.

La scène se déroule dans la région montagneuse du Qalamoun, à cheval sur la frontière poreuse entre la Syrie et le Liban. Nous sommes les invités du Hezbollah qui, chose rarissime, a organisé un voyage de presse. En général, le puissant groupe chiite libanais n’est pas très coopératif avec les médias. « No comment » est la phrase préférée de ses porte-parole.

(AFP / Joseph Eid)

Mais depuis quelques semaines, il a entamé une rare offensive de charme. En emmenant plusieurs groupes de journalistes locaux et étrangers au Qalamoun, le mouvement cherche de toute évidence à mettre en exergue son rôle d’allié crucial du président syrien Bachar Al-Assad. Pour nous, c’est l’occasion ou jamais d’approcher au plus près ce groupe armé classé dans la liste des « organisations terroristes » par Washington et l’Union européenne, mais qui affirme combattre les jihadistes au même titre que la coalition menée par les Etats-Unis en Syrie et en Irak.

Quatre policiers libanais exécutés

Le Hezbollah justifie son engagement aux côtés du régime syrien par la nécessité de protéger le Liban contre le groupe Etat islamique et le Front Al-Nosra, la branche syrienne d'Al-Qaïda. En août 2014, ces islamistes radicaux s'étaient brièvement emparés d'Aarsal, une ville proche de la frontière, et avaient pris en otage des dizaines de policiers et soldats libanais dont quatre ont été exécutés et 25 autres sont toujours prisonniers. Le 16 mai, le Hezbollah a annoncé avoir repris près du tiers du Qalamoun aux insurgés, mais la bataille n’est pas terminée. Les détracteurs du groupe chiite, eux, l’accusent d’aider le pouvoir syrien à survivre face à la rébellion.

Une position du Hezbollah libanais dans le Qalamoun (AFP / Joseph Eid)

Le Hezbollah a la réputation de tout organiser avec une méticulosité extrême, et le voyage auquel nous prenons part n’y déroge pas. Tout commence par un briefing en bonne et due forme. A l’aide d’un pointeur laser vert, un commandant décrit le terrain montagneux du Qalamoun et souligne la nécessité de prendre le contrôle des hauteurs pour protéger la zone. Puis un convoi de 4x4 nous mène vers la ville de Baalbek, célèbre pour ses magnifiques ruines romaines, et de là jusque dans le no man’s land frontalier.

No man's land sans poste frontière

Les dernières maisons de Baalbek disparaissent derrière nous. Le convoi avance en cahotant à travers un terrain rocheux, sur un semblant de route tracée au bulldozer dans la vallée. Aucun signe de vie, hormis quelques oiseaux et un ou deux lézards. Aucun signe n’indique non plus si nous sommes encore au Liban ou déjà en Syrie. Pas de poste-frontière. Pas de présence militaire.

Nous recevons des instructions strictes sur ce que nous sommes autorisés à filmer, à photographier, à enregistrer : pas d’images de visages, pas d’enregistrements de voix, pas de photos de véhicules militaires ou de ce qui permettrait d’une façon ou d’une autre d’identifier l’endroit où nous nous trouvons.

(AFP / Joseph Eid)

Cela s’avère frustrant pour les photographes et les reporters vidéo. Ils donnent l’impression étrange d’être en safari, alternant les longues plages d’inaction et les moments de suractivité quand nos chaperons leur indiquent les rares combattants sur lesquels ils sont autorisés à braquer leurs appareils et caméras.

Et nous n’avons pas le droit de poser des questions sur les opérations à venir. Ni sur des sujets considérés comme « politiques » par les responsables du Hezbollah qui nous accompagnent, et notamment sur l’absence, frappante, des armées libanaise ou syrienne dans cette contrée.

Discours préparés à l'avance et pas de questions

Le « tour » à bord des 4x4 camouflés aux couleurs du désert est ponctué d’arrêts sur des positions tenues par le Hezbollah, ou dans des bunkers repris aux jihadistes et aux rebelles. Des traces de bataille jonchent le sol : étuis de munitions d'artillerie lourde et de roquettes, caisses de munitions ouvertes. Au loin, on entend des explosions. Des déminages, selon nos accompagnateurs.

A chaque arrêt, un officier à lunettes de soleil est là pour réciter des explications préparées à l’avance. Quand une question vient interrompre son discours, il s’arrête de parler avec une irritation à peine contenue puis, sans fournir la réponse, il reprend son flux de paroles là où il en était.

Une position reprise au front Al-Nosra par le Hezbollah (AFP / Joseph Eid)

Les combattants que nous croisons sont peu bavards. La plupart préfèrent nous observer de loin, en fumant tranquillement une cigarette. Sur leurs uniformes, certains portent des images de figures religieuses chiites et du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah.

« Ne songez même pas à me prendre en photo ! »

A un moment, un guerrier ôte son chapeau mou et ses lourdes bottes, étale sa veste par terre et se prépare à prier. « Ne songez même pas à me prendre en photo !» avertit-il. Quand un membre de notre groupe de journalistes s’éloigne de quelques mètres vers les broussailles pour satisfaire un besoin pressant sans avoir prévenu notre chaperon, un tir de sommation en l’air le fait revenir précipitamment en terrain découvert.

Mais d’autres sont moins farouches, parlent prudemment avec les journalistes des combats auxquels ils ont pris part au Qalamoun. « Une des batailles les plus dures que nous ayons jamais livrées. C'est même plus dur qu'une guerre urbaine », affirme l’un. « Actuellement le champ de bataille le plus difficile du Moyen-Orient », renchérit un autre.

Des combattants du Hezbollah tirent sur des positions rebelles syriennes dans le Qalamoun, en mai 2015 (AFP / Hezbollah Press Office)

Certains se laissent même aller à quelques blagues. Au milieu du parcours, nous nous arrêtons pour déjeuner. « N’allez pas raconter qu’on ne vous a pas nourris ! » lance gaiement un combattant en faisant circuler les boîtes de thon et les feuilles de vigne farcies.

Après le repas, nous reprenons la route. Nous explorons un bunker devant lequel un missile antichar est exposé de façon à ce qu’aucun visiteur ne puisse le rater. A l’intérieur, des vêtements, des médicaments et des objets en tout genre sont éparpillés dans le plus grand désordre. Un sac de sable est orné de l’écusson, flambant neuf, d’un groupe rebelle.

De retour à Baalbek, à la fin de l’expédition, un attaché de presse du Hezbollah s’avance vers nous. C’est un homme amical. Plus tôt, alors que nous bavardions, il évoquait la récente opération de chirurgie au laser qui l’a guéri de sa myopie. « La meilleure décision de ma vie ! » se félicitait-il il en se mettant des gouttes dans les yeux. Maintenant il vient nous dire au-revoir. Et il a une requête à formuler.

« Allez, on se prend un selfie vite-fait ! » lance-t-il. Et de se pencher à l’intérieur de notre voiture pour, avec son iPhone, voler une photo de nous en sa compagnie.

Sara Hussein est une journaliste de l’AFP basée à Beyrouth.

Un véhicule abandonnée par le front Al-Nosra (AFP / Joseph Eid)
Sara Hussein