Une violence pas si symbolique
Notre-Dame-des-Landes, Loire-Atlantique -- Je ne comprends pas ce qui s’est passé. Je pensais qu’avec l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, puis les discussions qui ont suivi pour régler le sort des occupants, on déboucherait sur autre chose.
Mais les forces de l’ordre ont été utilisées avec beaucoup de violence pour l'opération d'expulsion des occupants de la ZAD considérés comme illégaux. J’ai du mal à comprendre pourquoi. C’était peut-être à la base une action symbolique, mais elle a été douloureuse, y compris pour moi, physiquement.
Nous sommes arrivés avec quelques collègues, dont Anne-Sophie Lasserre et Aurélia Moussly de l'AFP, très tôt le lundi matin, vers 3h30, aux abords de la D281, la fameuse "route des chicanes". Nous nous doutions que l’accès à la zone serait difficile, avec les expulsions commençant dès 6h00. Le déploiement de gendarmes mobiles était suffisamment important pour nous convaincre de tenter un passage par les bois.
Ça a été assez épique. De nuit, avec juste quelques lampes de poche, dans un sous-bois dense et broussailleux, avec des ruisseaux à franchir, en se guidant au GPS, à une petite dizaine. Après une bonne heure, nous avons débouché sur la route des chicanes, et face aux gendarmes mobiles… Sous le feu des projecteurs, aveuglés comme des lapins, avec une litanie d’injonctions : « Ne bougez-plus ! Dernières sommations ! », et ainsi de suite.
Après quelques palabres et coups de fil à des officiers chargés de la communication, nous n’avons pas eu d’autre choix que de repartir sous bonne escorte par la route, et nous retrouver au point de départ vers 5h00 avant que le jour ne se lève.
Nous sommes repartis, à cinq ou six seulement, à travers champ, avant de trouver un passage, jusqu’à la Chèvrerie, un des lieux de vie de la ZAD, puis Les Fosses noires et finalement la cabane des 100 noms.
La rencontre avec les Zadistes a été relativement simple. Bien sûr, quand on se retrouve en première ligne, au milieu des plus virulents, il y en a toujours un qui finit par te dire : « Tu dégages ! ». Certains ont peur que nos photos servent ensuite à la police pour les identifier.
Ils n’aiment pas non plus en général que l’on photographie les blessés.
Mais il n’y a pas d’agressivité particulière envers les journalistes, il suffit de rester discret et de ne pas s’éterniser.
On tombe même sur des scènes amusantes. Avec des Zadistes qui parlent beaucoup aux forces de l’ordre : « Hé les gars, vous bougez pas, je vais pisser et je reviens ». Sur les barricades, fusent les répliques à la Audiard. En face en revanche ça doit être dur pour le moral. C’est plutôt humiliant, de se faire insulter, cracher dessus, couvrir de boue, sans bouger ni répondre, dans un premier temps.
Du côté des Zadistes, il y a aussi beaucoup de colère. Parce qu’on détruit leur chez eux, pas seulement ce qu’on appelle à tort des « cabanes ». Mais de vraies maisons faites en paille, ou en bois. Il y a beaucoup d’incompréhension sur ce qui est en train de se passer
Je suis ressorti le soir même. J’avais bien transmis quelques photos depuis le terrain, mais c’était plus rapide avec l’ordinateur portable dans ma voiture. Et puis je suis rentré à la maison, à Nantes, où j’habite depuis deux ans et demi.
Ça m’a fait un peu bizarre ce changement d’ambiance, j’avais mes beaux-parents à dîner ce soir-là. Et le lendemain matin, je suis reparti au travail, avec casque et masque à gaz…
Mardi, je suis rentré dans la ZAD par le chemin emprunté la veille. Nous nous sommes retrouvés aux mêmes endroits, mais la journée a été nettement plus violente, avec de gros affrontements aux Fosses noires.
Là on n’était plus dans la Guerre des boutons, comme certains avaient imaginé la chose. Il y avait une atmosphère de grande brutalité, de grande violence.
Et puis mercredi est arrivé, avec un mélange de tout ce que les Zadistes peuvent compter comme individus. Deux groupes en gros. Celui des vieux militants écologistes, avec beaucoup de retraités, des pacifistes, qui ont organisé une sorte de pique-nique. Et puis les durs de durs, beaucoup plus jeunes, entraînés, préparés à l’affrontement, armés et équipés pour la baston, avec l’envie d’en découdre.
En début d’après-midi, c’est devenu hyper-violent. Je ne pouvais pas faire beaucoup d’images. J’étais dans un champ où plein de petits groupes harcelaient les gendarmes mobiles. Je m’étais mis un peu à l’écart avec quelques journalistes, bien identifiables. J’ai senti un coup sur la jambe, et 45 secondes d’un larsen assourdissant dans les oreilles. J'étais complètement désorienté.
Je crois que c’était une grenade assourdissante, parce que si c’avait été une grenade de désencerclement, j’y laissais mon pied. Là j’ai juste reçu une volée de petits éclats de métal, logés sous la peau. Ce n’était pas grave mais sur le moment j’étais complètement désorienté.
Deux secouristes de la ZAD, les « médics » comme elles s’appellent, m’ont rapidement tiré de là. Après quelques soins et avoir repris mes esprits, j’y suis retourné deux heures après.
Dans le même champ, des anciens sont allés à la rencontre des forces de l’ordre au son d’une batucada. Mais après quelques avertissements, une pluie de projectiles lacrymogènes, grenades assourdissantes et de désencerclement nous est tombée dessus.
Tout le monde est reparti en courant, en se bousculant pour franchir les rares passages des bosquets bordant les fossés.
Ça partait dans tous les sens.
Et puis nous nous sommes rendus compte que les forces de l’ordre avançaient sur plusieurs fronts. Nous nous trouvions dans un autre champ, calme en apparence, quand nous avons entendu de nouvelles salves.
Un collègue Libération s’est pris des éclats de grenade au niveau de l’oreille et du cou. Comme il saignait beaucoup, nous avons obtenu des gendarmes mobiles de le laisser franchir leur barrage. Mais ils nous ont refusé le passage, même avec nos cartes de presse.
Après encore deux ou trois heures, nous avons trouvé une échappatoire, avec une heure et demie de marche à travers la forêt, puis une heure sur la route. J’étais chez moi à 23h00.
Ce billet a été écrit avec Pierre Célérier à Paris.