Photo prise en janvier 2002 de l'immeuble des Merles à Outreau, dans le nord de la France, lieu du calvaire des quatre enfants violés par leurs parents et un couple de voisins dans les années 1990 (AFP / Philippe Huguen)

Trois semaines avec les fantômes d'Outreau

RENNES (France), 9 juin 2015 – Outreau, à mes yeux, ne sera plus jamais une petite ville populaire des environs de Boulogne-sur-mer, dans le Pas-de-Calais. Dans mon esprit, c’est une maison hantée. Une expression, associée à des mots tels que fantômes, malédiction, cauchemar, que j'ai entendue à de nombreuses reprises pendant les trois semaines qu’a duré le troisième et dernier procès de cet épouvantable fiasco judiciaire.

La maison Outreau est hantée par des victimes, énormément des victimes. Beaucoup d’enfants parmi elles. Des adultes aussi. Toutes se parlent au fil de ce procès qui n’est pas celui de Daniel Legrand, le principal accusé dont l’acquittement ne fait dès le départ quasiment aucun doute, mais celui de l’affaire d’Outreau elle-même. Un mélange d’horreur, de tensions et de moments de rare humanité.

Daniel Legrand quitte la cour d'assises des mineurs après son acquittement, le 5 juin 2015 (AFP / Damien Meyer)

Ce sont ces moments qui me restent. Bien plus que le déroulement du procès en soi dont l'issue, appuyée sur l'instruction originelle de l'affaire sans qu'aucun élément nouveau ne s'y soit ajouté, ne faisait pas beaucoup de suspense. Un « Outreau 3 » qui, normalement, n’aurait jamais dû avoir lieu. Erreur de plus de l'instruction, l'intégralité des accusations aurait dû dès le départ être jugée devant une cour d'assises des mineurs en 2004 et 2005, parce que Daniel Legrand avait moins de dix-huit ans lorsqu’il avait supposément commis une partie des faits qui lui étaient reprochés.

Treize accusés sur dix-sept acquittés

Premières victimes, originelles si l'on peut dire: Chérif, Dimitri et Jonathan Delay, tous trois parties civiles devant la cour d’assises de Rennes, ainsi que leur petit frère qui n'est pas venu à l’audience. Les quatre enfants violés par leurs parents et un couple de voisins dans les années 1990 alors qu'ils avaient moins de dix ans, et dont le calvaire est à l'origine de l'affaire. En 2001, les fils Delay et leur mère avaient mis en cause des dizaines de personnes, et le juge Fabrice Burgaud qui instruisait l'affaire y avait vu, en pleine affaire Dutroux (du nom du pédophile meurtrier belge), un réseau pédophile international. Mais après une instruction erratique et deux premiers procès en 2004 puis 2005, treize accusés sur dix-sept, dont certains avaient passé jusqu’à trois ans en détention provisoire, avaient été innocentés.

Jonathan Delay, une des victimes de l'affaire d'Outreau, dans le palais de justice de Rennes le 4 juin (AFP / Damien Meyer)

« J'ai été victime de l'affaire d'Outreau en 2000 ». Ce sont les premiers mots de Jonathan Delay, 21 ans, à la barre. Un résumé étonnant. Pas victime de ses parents, mais de l'affaire...

Tout au long des trois semaines, élégant, digne, courtois, il va dire ce qu'il a à dire à la barre. Il déclare que Daniel Legrand était parmi ses agresseurs mais ajoute qu'il ne voit que « son visage », sans détails, sans date.

Droit dans ses bottes face aux ténors du barreau

Il est déterminé et se défend face à la pire des accusations à ses yeux, celle du mensonge, que pourtant aucun de ses contradicteurs ne prononcera.

– Pourquoi n'avez-vous pas désigné Daniel Legrand pendant l'instruction?

– Quelqu'un qui se permet de venir chez toi ne va pas dire: bonjour, je m'appelle Christophe et je viens sodomiser ton fils ! assène-t-il au président dès le premier jour, signifiant par là qu’il ne connaissait pas le nom de tous ses tortionnaires.

Et face aux ténors du barreau qui lui faisaient peur il y a dix ans, le jeune homme est droit dans ses bottes quand il s’agit d’affirmer que les quatre personnes condamnées en 2004 pour les viols ne sont pas ses seuls agresseurs:

– Vous êtes victimes de vos parents, on ne l'a pas assez dit, (et d'un couple de voisins). Et pour vous il en manque? lui demande Me Frank Berton, l’un des six avocats de Daniel Legrand.

– Bien sûr.

Et au dernier jour, celui de l'acquittement, Jonathan seul est présent pour accueillir le verdict qui forcément le déçoit, l'encaisser, et faire preuve d'une élégance que n’ont pas certains avocats de ses frères, ou certains militants anti-pédophiles radicaux qui sifflent, invectivent Daniel Legrand et ses défenseurs.

Daniel Legrand écoute ses avocats pendant le dernier jour de son procès, le 5 juin (AFP / Damien Meyer)

« Je me promenais avec un poids depuis 10 ans et je l'ai déposé à la barre », dit-il. Et seul, il s'avance face à la meute des journalistes qui viennent d'interroger Daniel Legrand sur le parvis du Parlement de Bretagne où se tient le procès, ceux-là aussi qui lui faisaient peur quand il était enfant. « Je repars la tête haute, la justice a tranché, c'est comme ça ». « Même si la justice n'a pas été favorable pour moi, je souhaite (à Daniel Legrand) de réussir et j'espère qu'il souhaite que je réussisse et que je m'en sorte un jour, autant que moi je le lui souhaite ».

Immense courage

Au cours des débats, il fait preuve aussi d'un immense courage, touchant, face à ses parents quand ils sont appelés à la barre. Surtout face à sa mère, Myriam Badaoui, qui vient une fois de plus de se donner en spectacle en s'excusant mille fois d'avoir menti en accusant Daniel Legrand, mais qui oublie pratiquement de s'excuser de ce qu'elle a fait à ses enfants.

Myriam Badaoui (au centre) et Thierry Delay écoutent un expert médical sous les yeux de Dimitri Delay pendant le premier procès d'Outreau devant la cour d'assises du Pas-de-Calais à Saint-Omer, le 17 mai 2004 (AFP / Laurence de Vellou)

– J'aimerais que vous m'accordiez le droit que cette personne me regarde, demande Jonathan au président, qui enjoint alors au jeune homme de venir se placer face à sa mère, au pied de la tribune de la cour. Myriam Badaoui, le visage encadré d'un fichu serré, n'a adressé jusque-là aucun regard à la salle ou à son enfant assis sur le banc des parties civiles, derrière elle. Maintenant, elle ne peut plus faire autrement que de regarder son fils, debout en contrebas des juges.

Comble de l'indécence

Emu à l'extrême, Jonathan puise dans toutes ses forces, en silence, pendant quelques longs instants, encouragé par le président qui, presque paternel, le conseille même sur la façon de s'adresser à sa mère.

– Est ce que tu pourras avoir le courage de dire qu'il n'y avait que quatre (agresseurs)? Tu oses le dire devant moi?

– Oui.

Myriam Badaoui et son mari Thierry Delay lors du premier procès d'Outreau à Saint-Omer, le 8 juin 2004 (AFP / Philippe Huguen)

Au comble de l’indécence, cette femme qui a été condamnée à quinze ans de réclusion pour le viol de ses enfants va même déclarer :

– J'ai 46 ans, cette affaire date de quinze ans, sans compter les années où j'avais beaucoup souffert, j'ai toujours fait le maximum que je pouvais pour vous.

– C'est faux, répond juste son fils avant d'aller se rasseoir.

« Vis bordel ! On n'a qu'une vie »

« Jonathan, je comprends ce que tu as vécu avec tes parents... La vie pour toi a été dure, je me mets à ta place », lui dira l'un des acquittés, David Brunet, dans un échange particulièrement émouvant. « Quand je vois cette affaire qui repasse à la télé, j'ai de la haine contre eux, tes parents... Vis ta vie, profite, grandis, deviens un homme: vis bordel! Vis, on n'a qu'une vie... »

Après Jonathan, il y a aussi les mots terribles de Chérif, l'aîné aujourd'hui âgé de 25 ans, doublement victime de l'abandon par sa mère puis des viols:

« Tout d'abord, je suis né d'une mère qui n’a pas voulu m'accepter, qui n'a pas voulu accepter ses responsabilités et qui s'est remariée avec un homme que je ne pourrais pas citer aujourd'hui... Je voulais un père, je n'en ai pas eu », explique-t-il en puisant dans les rares forces que lui laissent son traitement psychiatrique. « Je rêvais de dessin animés, de jeux, et j'ai eu des cassettes pornographiques », dit-il à propos du Noël de ses cinq ans, début de son calvaire.

« Si je suis debout? Non ».

Inquiet du risque de reproduire ce qu'il a subi

Il est venu témoigner encadré par deux policiers, exceptionnellement extrait de l’établissement psychiatrique où il est interné après avoir commis des violences sur sa compagne. Il le dit lui-même : il est inquiet du risque de reproduire ce qu'il a subi.

Lui aussi accuse Daniel Legrand, mais il pense qu'il était également une victime.

Les juges de la cour d'assises des mineurs de Rennes, le 19 mai (AFP / Damien Meyer)

Chérif aussi fait preuve de courage face au visage en gros plan de son père adoptif Thierry Delay, condamné à vingt ans de prison, qui témoigne en vidéoconférence:

– Est-ce que tu me reconnais?

– Tu es Chérif.

– C'est la première fois que tu me dis Chérif (il l'avait rebaptisé Kevin en l'adoptant, NDLR). Je fais un mètre quatre-vingt-deux, soixante-et-onze kilos, et aujourd'hui je n’ai plus peur de toi.

Inflexible, muré

Mais quand il pense qu'il s'est trompé, Chérif le dit aussi. Et s'excuse. Comme auprès de cette femme placée en garde à vue pendant l'instruction sur dénonciation des trois garçons, mais qui n’a finalement pas été poursuivie. « Je suis désolé, je vous demande pardon, j'ai grandi, je sais le bien et le mal, et je ne connais pas cette dame ». « Ça me touche beaucoup », dira cette dernière.

Son frère Dimitri Delay, 23 ans, assis à quelques centimètres de lui, se lève en revanche pour maintenir « toutes ses accusations » contre la même femme. Inflexible. Muré.

Il ne fléchira pas plus face au président ou face à l'avocat général:

– J'ai ma vérité, je sais ce que j'ai vécu. Vous, vous avez la vôtre, mais je ne pense pas que vous étiez là. Je ne reviendrai pas sur mes accusations et oui, j'ai vécu ce que j'ai vécu, je le sais.

« Mais quelle mère ! » crie presque l'avocat général

Dimitri n'est pas là pour entendre le verdict. Entouré tout au long du procès, comme par des gardes du corps, par les militants d'un groupuscule baptisé « Wanted Pedo ».

« Myriam Badaoui, elle dit en pleurant: c'est mes enfants qui ont menti et moi j'ai dit comme eux... Pour se disculper et passer pour une victime, elle va accuser devant la France entière ses enfants (de mentir), mais quelle mère! » crie presque l'avocat général Stéphane Cantero en requérant l'acquittement de Daniel Legrand, tout en soulignant le calvaire puis le courage qu'il a fallu aux enfants pour dénoncer les faits dont ils étaient victimes et y mettre fin.

L'avocat général Stéphane Cantero (AFP / Damien Meyer)

Il y a les enfants de ceux qu'on a appelé « les acquittés »: treize des dix-sept accusés, qui, s'ils ont raconté le calvaire de leur détention provisoire lors de l'acquittement en 2005, décrivent surtout cette fois, en venant témoigner pour Daniel Legrand, les dégâts énormes causés à leurs enfants, qui leur ont été retirés et placés lorsqu'ils ont été mis en cause et dont certains ne leur sont pas revenus avant leurs 18 ans.

« Innocents chanceux » pas si chanceux

Il y a aussi les enfants, les familles, de ceux qu'on a appelé les « innocents chanceux », placés en garde à vue pendant l'instruction mais qui n’iront finalement pas sur le banc des accusés. Contre eux, les accusations étaient aussi détaillées et monstrueuses que contre les autres, mais un alibi vraiment incontournable les a mis hors de cause. Mais les dégâts sont là aussi: divorces, enfants traumatisés par les accusations portées contre leurs parents, d'autant que dans beaucoup de cas ils ont eux-mêmes été interrogés, examinés par des médecins légistes.

« C'est terrible, terrible, toute ma famille a été brisée par ce cauchemar », dit Roselyne Godard, une des acquittées. « Je vis depuis avec ce fantôme d'Outreau, pas un jour où je ne pense pas à Outreau, pas un jour où je ne pense pas à mes deux ans d'incarcération, pas un jour où je ne pense pas au mal que l'on m'a fait, à ma famille, à mes enfants », ajoute un autre acquitté, Alain Marécaux. « Je tremble d'être devant vous, c'est une horreur, on vit avec Outreau depuis toujours, je vivrai jusqu'à ma mort avec Outreau.. », dira son ex-femme. « Je pense que ces enfants, c'est une horreur ce qu'ils ont vécu mais nous, on n'y est pour rien ».

Et puis, bien sûr, parmi les victimes, il y a Daniel Legrand, qui avait 20 ans lors de son arrestation. Il se rêvait footballeur professionnel, comme Chérif. Il a été fracassé. Son profil est assez semblable à celui des enfants Delay mais il a une chance, énorme, qu'ils n'ont jamais eue: une famille.

Daniel Legrand père et fils au dernier jour du premier procès d'Outreau à Saint-Omer, le 1er juillet 2004 (AFP / Denis Charlet)

Son père a lui aussi été accusé, puis acquitté, avant de décéder en 2012. Il n'est plus là pour soutenir son fils comme lors des deux premiers procès en 2004 et 2005. Mais Daniel Legrand n'est pas seul pour autant: juste après son nouvel acquittement à Rennes, sa mère et ses deux sœurs, présentes depuis le début du procès, sont venues le rejoindre dans le box des accusés, se serrer à ses côtés comme pour l'aider à réaliser qu'il va, cette fois, en sortir définitivement.

Un milieu ouvrier modeste, un fort accent du Nord, et une dignité immense.

« N'importe quoi »

Homonyme de son père, Daniel Legrand, tout au long du procès, semble souffrir pour deux, se défendre pour deux, et se réjouir, finalement, de l'acquittement pour deux, en se souvenant de sa vie d'avant l'affaire.

« Je dormais avec mon père dans la voiture et le matin on allait chacun à l'usine... Le lendemain, on lui met des menottes devant tout le monde au boulot... Il a été humilié, détruit... N'importe quoi... »

Daniel Legrand et sa mère, le 19 mai (AFP / Damien Meyer)

Daniel a la voix un peu déformée par le lourd traitement médicamenteux qu'il suit, mais ces mots-là – « n'importe quoi » – me frappent. « Comment sera la vie après, dans une semaine? Je n’arrive pas à me projeter dans l'avenir tellement je suis détruit », dit-il.

« Ce n'est pas fini pour nous, ça continue et jusqu'à ce qu'on ferme les yeux, on devra toujours s'occuper de Daniel parce qu'il ne peut pas se gérer tout seul, c'est un gamin complètement détruit », vient dire sa sœur Peggy au premier jour. Très digne, impressionnante. Une autre victime…

Flot de haine dans les couloirs du palais

Pendant trois semaines, la salle d'audience du Parlement de Bretagne résonne de toutes ces douleurs. Avec l'espoir que, peut-être, ce nouveau procès aidera à les cicatriser.

Contrairement à certains de mes collègues, je n’ai pas assisté aux deux premiers procès et je porte sur cette affaire un regard neuf. Et ce qui me frappe aussi, c’est le flot de haine qui se déverse non dans la salle d’audiences, où les débats restent plutôt dignes dans l’ensemble, mais dans les couloirs du tribunal et sur les réseaux sociaux.

Le président de l'association "Wanted Pedo", Maxime Montaut, dans le palais de justice de Rennes le 19 mai (AFP / Damien Meyer)

Au troisième jour, l'association « Wanted Pedo », dont plusieurs membres portent leur tee-shirt et collent des autocollants dans le palais de justice, est rappelée à l’ordre en pleine audience. Les avocats de la défense demandent au président de faire cesser le jeu de regards menaçants qu'ils leur adressent ainsi qu'à Daniel Legrand. Et alors que le président leur demande d'arrêter et interdit d'audience l'un d'eux, ce dernier lance : « C'est un pédophile! C'est normal! ». Peggy Legrand, dans la salle, ne peut s'empêcher de lui répondre: « C'est à cause de gens comme toi que mon frère s'est retrouvé en prison! »

Climat nauséabond

« L'atmosphère de ce procès est extrêmement préoccupante », soulignera le président. « Une effervescence et un climat extrêmement nauséabonds et très désagréables ».

Des chroniqueurs judiciaires connus, comme Florence Aubenas ou Stéphane Durand-Souffland, sont régulièrement conspués sur les réseaux sociaux. Certains témoins n'hésitent pas à leur dire « leur haine » à la sortie des audiences. Les live-tweet des journalistes de France Inter Charlotte Piret ou de France Télévision Catherine Fournier, sont « live trollés ». Chaque élément du procès est disséqué, détourné.

Franck Lavier, un des acquittés d'Outreau, arrive au palais de justice de Rennes le 1er juin 2015 (AFP / Damien Meyer)

Les journalistes sont pris à partie lors des suspensions d'audience. Les photographes harcelés pour qu'ils ne prennent pas de photos. Les rédacteurs apostrophés alors qu'ils prennent un café par des « vous n'avez pas honte d'écrire des mensonges? ». Je me suis fait insulter de diverses manières dans mon travail depuis vingt ans, mais jamais encore on ne m'avait traitée de protectrice de pédophiles. Il faut un début à tout.

Montage photo d'un avocat avec Landru

A la fin d'une journée d'audience particulièrement tendue, Me Julien Delarue, avocat de la défense, attend même son père Me Hubert Delarue dans les escaliers du Palais, là où se rassemblent les militants radicaux, de peur qu'il ne se fasse agresser s'il passe seul.

On est vraiment triste quand on prend conscience qu'une des personnes qui a « aidé » Chérif quand il était au plus mal soit aussi l'une des militantes anti-pédophiles les plus virulentes sur les réseaux sociaux, qui va jusqu'à citer Goebbels dans ses tweets, qui diffuse des montages photos collant côte à côte le visage de l'avocat Eric Dupont-Moretti avec celui de Landru, que l'on retrouve aussi sur le curieux site pedopolis.com

Elle est venue témoigner, raconter que chez elle, Chérif faisait des cauchemars où il voyait l'avocat lillois le dévorer... Elle affirme, à la barre, être restée neutre avec lui mais, pour appuyer ses dires, raconte l'avoir découragé de faire du mal à l'un des acquittés en lui disant: « Ne gâche pas ta vie à essayer de tuer cette ordure ».

« Vous vous placez vous même dans une situation d'inceste ! »

Ulcéré, l'avocat général Stéphane Cantero la place face à ses contradictions: « Vous avez dit que vous aviez un sentiment d'amour maternel pour Chérif à tel point que vous aviez envisagé de l'adopter. Par la suite cela a évolué en sentiment amoureux à tel point que vous avez quitté votre mari... C'est n'importe quoi! Vous vous dites militante de la protection des enfants victimes innocentes et vous racontez une histoire où vous vous placez vous même dans une situation d'inceste ! »

Difficile de ne pas dire qu'un ange passe alors dans la salle d'audience.

(AFP / Damien Meyer)

Et les combats d'experts... Inquiétant quand on sait le poids qu'ils peuvent avoir dans ce type de procès. Il y a ceux qui gravitent dans cette sphère anti-pédophile radicale, parmi lesquels une ancienne experte psychologue du procès de Saint-Omer, blessée par le discrédit qui lui fut alors porté par la défense. « Si on vous entend, à partir du moment où un enfant se retrouve dans votre cabinet, il dit toujours une vérité? » lui demandera l'avocat général. « Finalement, il suffit d'une expertise psy et on a la vérité de fait? ».

« C'est un avis. Je donne un avis », se retranche la femme.

Le risque des « souvenirs reconstruits »

A l'inverse, d'autres experts viennent expliquer le risque des « souvenirs reconstruits », en particulier chez des enfants traumatisés. L'un d'eux explique que dans le cadre d'une expérience, des chercheurs ont « commencé à faire croire à des enfants qu'un médecin les avait agressés sexuellement et ils ont arrêté: ça marchait trop bien. »

Et puis les ultimes dérapages d'un avocat des parties civiles. « Si les acquittés ont pu avoir des souffrances, elles sont toutes relatives et indemnisées par rapport à la souffrance des victimes », dit sans sa plaidoirie Me Léon-Lef Forster, avocat de Chérif et Dimitri. Référence à l'un des arguments redondants de l'entourage radical qui encadre certains des enfants Delay, sur la différence d'indemnisation entre les victimes et les acquittés.

Jonathan Delay répond aux questions des médias, le 26 mai (AFP / Damien Meyer)

Et puis au dernier jour, les cris, les insultes, qui jaillissent au milieu des applaudissements, lorsque Daniel Legrand, acquitté pour la deuxième fois, sort avec ses avocats. « Violeur! » lui crie-t-on entre autres.

Aussi digne que son client Jonathan, Me Patrice Reviron, qui a en permanence marqué de la distance entre lui et les extrémistes, condamne: « Je regrette que des gens aient invectivé les avocats de la défense: ils ne respectent pas une décision de justice. Cette décision rendue aujourd'hui permet de clore l'affaire d'Outreau, c'est une évidence ».

« On ne sort pas indemne de ce dossier », avait dit Me Sylvain Cormier, l'autre avocat de Jonathan, dans sa plaidoirie.

Je confirme.

Alexandra Turcat est la chef de la rédaction du bureau de l'AFP à Rennes.

Daniel Legrand arrive au palais de justice, le 2 juin (AFP / Damien Meyer)