Taureaux volants à Manhattan
NEW YORK, 21 janvier 2015 – Cela fait presque quinze ans que je travaille à l’AFP et je peux dire que j’ai couvert à peu près tous les sujets, mais là c’est mon premier rodéo. J’y vais dans l’idée de faire un sujet magazine léger et sympa, mais dès le premier taureau, je deviens accro.
Les organisateurs du Professional Bull Riders Monster Energy Buck-Off (le « Rodéo monstre des chevaucheurs de taureaux professionnels ») affirment qu’il s’agit du meilleur spectacle de ce genre dans le monde. Les concurrents viennent des Etats-Unis, du Canada, du Brésil… Je sens que je vais bien m’amuser.
J’arrive le vendredi, la veille de la compétition, pour assister à la pesée des animaux. Il est prévu qu’une des bêtes se fasse peser dans un enclos aménagé en plein cœur de New York. L’occasion rêvée de prendre des photos d’un taureau avec la jungle de béton en arrière-plan.
Le jour suivant, je vais dans les coulisses du Madison Square Garden Arena pour assister à la préparation des concurrents. C’est un rituel. Beaucoup d’entre eux font leur prière avant le spectacle. Question équipements de protection, c’est plutôt léger : des bottes, des gants, des cordes et un chapeau de cowboy ou un casque. Pas de selle bien sûr, ça serait trop facile.
Jusqu’à ce moment-là, je continue à être persuadé qu’il s’agit d’un simple sujet magazine, pas de la couverture d’une compétition sportive. Et puis je vois les gars en action.
Quand je vois le premier taureau surgir dans l’arène, je manque de peu de m’exclamer : « oh mais c’est un taureau volant ! » Je n’avais pas l’intention d’assister à la totalité du spectacle, mais dès les premières minutes, je suis complètement captivé par ce que je vois. Je dois rester jusqu’à la fin.
En voyant ça de très près, je peux affirmer qu’il s’agit d’un des sports les plus exigeants et les plus dangereux qui existent. Nous parlons ici de gens qui chevauchent des taureaux furieux de plus de 900 kilos. C’est de la folie ! La bête énorme n’aime pas avoir un bonhomme sur le dos et cherche à s’en débarrasser par tous moyens. Elle rue, elle saute. Le courageux chevaucheur peut être catapulté dans les airs à tout moment, dans n’importe quelle direction.
Chaque rodéo dure très peu de temps. Pour se qualifier pour le tour suivant, un concurrent doit rester sur le dos de la bête pendant au moins huit secondes, mais un grand nombre d’entre eux est incapable de tenir aussi longtemps. Beaucoup tombent et se blessent, heureusement pas grièvement. Lorsqu’ils se retrouvent au tapis, la première chose qu’ils essayent de faire, c’est de ne pas se faire piétiner par le taureau. Une équipe au sol de trois ou quatre personnes s’efforce de l’y aider. Ceux qui parviennent à rester sur l’animal le temps réglementaire pour se qualifier sautent à terre prudemment eux-mêmes.
La plupart des taureaux sont dressés pour retourner d’eux-mêmes dans leur cage de contention une fois qu’ils ont envoyé leur cavalier dans les airs. Sinon un cow-boy à cheval équipé d’un lasso est là pour maîtriser les bêtes indisciplinées.
En deux heures, j’assiste à 35 chevauchées. Les concurrents sont considérés comme les meilleurs du monde dans leur spécialité. La plupart sont très jeunes, ils ont entre 22 et 28 ans. Quelques-uns, plus rares, ont la trentaine.
Au Bangladesh, où j’ai grandi, je lisais des histoires de cow-boys américains. Les types que j’ai sous les yeux semblent tout droit sortis de mes livres d’enfants, avec leurs bottes et leurs chapeaux. Ils collent parfaitement à tous les stéréotypes.
Quant aux taureaux, ils portent tous des noms amusants : Botox, Gonzo, Big Sleazy (Gros miteux), Kiss Psycho Circus… Il est clair que les bêtes sont bien traitées par leurs propriétaires, on sent qu’elles sont considérées comme aussi importantes que les gens qui les chevauchent.
Ici aux Etats-Unis, l’atmosphère devient vite électrique dès qu’il est question de sports. Mais voir ces petits gars à chapeau de cow-boy chanter l’hymne national est quelque chose d’incroyable. Les gens dans le public ont beau vivre dans une mégalopole comme New York, pendant un moment, ils sont plongés en plein Far West.
Jewel Samad est un photographe de l’AFP basé à New York. Il a précédemment travaillé pour l’agence au Bangladesh, au Pakistan, en Indonésie et sur la Côte Ouest des Etats-Unis.