Seize jours avec la rébellion syrienne
ALEP (Syrie), 9 octobre 2012 - Dans Alep, les combats entre les rebelles et l’armée syrienne ont surtout lieu entre le coucher et le lever du soleil. Le matin, les journalistes ont pris l’habitude de se rendre à l’hôpital pour compter les morts et les blessés de la nuit. Les médecins tiennent un registre des décès. On le voit ici, couvert de traces de doigts ensanglantés.
Comme il n’y a pas assez de place dans l’hôpital, les corps des personnes décédées sont parfois entreposés à même la rue, en face de l’établissement, en attendant que leurs proches viennent les chercher. Le jeune homme, sur la photo d’en haut, attend qu’on vienne l’aider à récupérer les trois cadavres qui gisent à même le trottoir.
Quand nous sommes arrivés à l’hôpital d’Alep le 21 septembre, nous sommes tombés sur ces deux enfants blessés par balles dans une rue par un sniper. Celui sur la photo du haut a survécu. Celui sur l’image du bas n’a pas eu cette chance : il est mort peu de temps plus tard, malgré les massages cardiaques prodigués avec acharnement par les médecins.
Dans cet hôpital, il faut faire attention de ne pas prendre en photo les médecins : beaucoup, pour venir travailler, doivent traverser les lignes de front et les postes de contrôle tenus par l’armée. Ils pourraient avoir des problèmes si on les voyait soigner les rebelles. Il s’agit de photographier toute l’atrocité de cette guerre, mais sans sombrer dans le voyeurisme, et essayer de maîtriser le sentiment d’horreur qui vous envahit lorsqu’on voit un enfant mourir sous ses yeux. L’équilibre n’est pas évident à trouver.
L’homme que l’on voit sur la photo ci-dessous vient de perdre son camarade, tué au combat. Il est consolé par un de ses proches.
J’ai passé, au total, seize jours dans le nord de la Syrie. C’était mon premier reportage en zone de guerre, même si j’ai aussi couvert les manifestations et les violences sur la place Tahrir, au Caire, en 2011. Etant Colombien, j’ai grandi au milieu d’un conflit armé, et la violence, je sais ce que c’est. Mais je ne n’avais encore jamais été exposé à ce point aux balles et aux obus. La Syrie, c’est un conflit extrêmement dur.
Mon premier sujet, juste après avoir traversé la frontière turque, c’est cette école de combattants de la brigade Amr Ibn al-Aas, à Azaz. Des gamins de quinze à dix-huit ans, dont beaucoup ne portent que des sandales, y apprennent le maniement des armes. Il est évident qu’ils sont complètement inexpérimentés. On a un peu l’impression qu’ils ont rejoint la rébellion parce qu’ils ont vu la guerre à la télévision et qu’ils veulent s’y frotter, sans vraiment savoir de quoi il s’agit.
A part les groupes salafistes, qui évitent la presse, les rebelles sont généralement amicaux avec les journalistes. Quand on arrive chez eux, ils nous offrent le thé. J’ai pris la photo ci-dessous à un poste de contrôle de la rébellion dans le quartier d’Amariya à Alep. Pendant que j’attendais, j’ai surpris ce combattant au visage camouflé qui me fixait d’un regard intense.
Le type que l’on voit de dos sur la photo ci-dessous, caméra au poing et pistolet à la ceinture, est une sorte d’agent de liaison entre les rebelles et les journalistes. Son compagnon, devant lui, est en train de balancer un cocktail molotov sur les soldats de l’armée régulière qui se trouvent à quelques mètres de lui, dans la rue sur la gauche.
Cette bataille avait lieu le 30 septembre dans la vieille ville. C’était dangereux, tout allait très vite, je transpirais sous mon casque et mon gilet pare-balles et ça tirait dans tous les coins. Les rues où se déroulent les combats sont très étroites, on n’a pas beaucoup de marge de manœuvre. Ce n’est pas évident de réussir à prendre des photos dans ces conditions. Dans l’image ci-dessous, j’ai quand même eu la chance de pouvoir me positionner correctement, mais prendre plus de cinq ou dix photos de suite de la même scène était pratiquement impossible.
Mes collègues et moi n’avons pu rester que quelques minutes sur les lieux, après quoi c’est devenu trop dangereux et il a fallu partir. Nous avons appris plus tard que l’armée régulière avait essayé d’encercler les rebelles avec qui nous étions, mais que ceux-ci avaient réussi à briser l’encerclement au bout de deux heures et demie de combats acharnés.
Parfois, il faut passer à découvert, traverser des rues dans la ligne de mire des snipers de l’armée. On court pendant que les rebelles nous couvrent en tirant vers les positions adverses. Dans ces moments-là, on sent son cœur qui explose dans sa poitrine.
Pour faire ce travail, il faut se fier à son instinct. On doit sans cesse se poser la question : est-ce que ça vaut la peine de rester ou pas ? Que peut valoir une image de plus ? Un prix prestigieux ? Ta vie ? L’erreur, c’est d’essayer d’aller chercher la gloire à tout prix. Alors, quand tu sais que tu as d’assez bonnes images, tu t’arrêtes, tu recules et tu t’en vas.
J’ai pris les images ci-dessous le 27 septembre dans une école du quartier d'Izaa. Les rebelles étaient sur le point de lancer une grande offensive sur le nord d’Alep. Pendant que nous étions là, l’armée régulière, dont les positions se trouvaient à cinquante mètres, a commencé à bombarder le bâtiment au mortier. Là encore, nous avons dû partir. Nous avons appris plus tard que la bataille avait fait vingt morts. C’était sans doute le moment le plus risqué du reportage.
Rebelles et soldats de l’armée régulière se font face à quelques mètres de distance. Les deux camps occupent des immeubles, creusent des meurtrières dans les murs par lesquelles ils tirent sur l’ennemi de l’autre côté de la rue. De temps en temps, un des deux camps part à l’assaut de l’immeuble d’en face. Des combats ont lieu au corps à corps. C’est comme ça que la ligne de front avance ou recule.
J’ai pris la photo ci-dessous à travers un des trous creusés par les rebelles dans un mur, dans un immeuble tenu par une dizaine d’opposants. Il s’agit du cadavre d’un rebelle complètement décomposé. Il était là depuis des semaines. Impossible de le récupérer sans se faire tirer dessus par les militaires en face.
Entre les combats, la vie continue. J’ai pris cette image à Azaz, dans le nord du pays. Cette ville est surnommée « le cimetière des chars » car les rebelles ont réussi à y détruire dix-sept blindés de l’armée régulière. Sur une place, devant une mosquée, une mère photographiait avec son téléphone portable son enfant qui grimpait sur les débris d’un tank, comme elle l’aurait fait s’il avait joué sur une balançoire dans un square.
Miguel Medina est un reporter photographe de l'AFP basé à Paris.