La ruée sur le Nobel

STOCKHOLM, 16 octobre 2012 - En signant son testament, Alfred Nobel s'imaginait-il la somme de travail qu'il allait donner aux journalistes? Pas sûr.

Aux bureaux de l'AFP à Stockholm et Oslo, les six prix Nobel sont plus qu'un marronnier: c'est la grande affaire de l'année. Cela commence fin septembre, quand il faut se pencher sur les noms des gagnants possibles. Et cela finit en apothéose dans la première moitié d'octobre par six jours consécutifs de stress, à livrer au monde, le plus rapidement possible, et sans erreur, le nom et les mérites des vainqueurs.

La plupart de ces noms nous arrivent à Stockholm dans une enveloppe. Un messager de l'Académie royale des sciences (sur la photo du haut: la femme au téléphone) amène un paquet de communiqués rédigés en anglais, une demi-heure ou une heure avant l'annonce officielle. Pas touche! Nous sommes priés d'attendre, comme le reste du monde, que le compte à rebours soit écoulé. Silence. Concentration.

En fait il y a deux cas: soit le messager, dans sa grande bonté, laisse le droit d'ouvrir l'enveloppe préalablement, sans que nous puissions aller plus loin; soit, plus intransigeant, il préfère que nous attendions le signal de l'Académie.

À ce signal, donné par téléphone, c'est la ruée. Il faut faire accoucher l'enveloppe vite et bien... vite surtout! Car chaque seconde compte! Le doigté est essentiel.

Quand le communiqué est à l'air libre, on se précipite sur les noms. Nom et nationalité(s) sont les premières infos que donne l'AFP.

La photo ci-dessus montre une partie de l'équipe de l'AFP à Stockholm, 56 secondes avant l'annonce officielle du prix Nobel d'économie 2012. Chacun a une tâche bien précise: la journaliste Camille Bas-Wohlert (à gauche, de dos) attend le feu vert de la déléguée du comité Nobel (au téléphone) pour ouvrir l' "enveloppe magique" contenant quatre communiqués en anglais. Au premier plan: sur l'écran du directeur du bureau François Campredon, l' "alerte" en français est déjà à moitié rédigée, ne reste qu'à ajouter le nom des lauréats. Le journaliste Sören Billing (debout dos à la fenêtre) et la directrice adjointe du bureau Pia Ohlin (à droite) se chargeront de l' "alerte" en anglais et de recueillir les réactions en suédois. La quatrième copie du communiqué ira à Hugues Honoré dont la mission est de rédiger, dans la demi-heure, un "papier général" résumant tout... Sur le mur, la télévision diffuse l'annonce en direct de l'Académie Nobel.

Puis vient le plus délicat: expliquer au grand public pourquoi ces biologistes qui ont consacré leur vie aux "récepteurs couplés aux protéines G" (RCPG) méritent le Nobel de chimie. En toute honnêteté, une minute auparavant, nous ne connaissions pas l'existence de ces récepteurs qui aident les cellules des mammifères à s'adapter à leur environnement. Pourtant, elles sont une partie essentielle de notre vie de tous les jours.

Pour comprendre, nous pouvons compter sur trois aides: les communiqués de l'Académie, qui vulgarisent la recherche récompensée, les collègues du service sciences à l'AFP Paris, qui sont là pour nous l'expliquer en termes simples, et internet. Il faut savoir garder la tête froide: n'écrire que ce que l'on comprend, et que ce dont est sûr.

Alors on apprend beaucoup! Et en accéléré. Le Nobel de physique est allé cette année à deux grands noms de la physique quantique. Combien de fois dans ma vie ai-je plaisanté: "je devrais y arriver, c'est pas de la physique quantique"? Pour mon plus grand malheur, je ne m'étais jamais sérieusement demandé ce qu'était la physique quantique. Maintenant, je le sais, grosso modo.

L'infographie, réalisée à Paris, est également vitale pour aider les clients de l'AFP à comprendre ces notions complexes. Ci-dessous celle réalisée pour expliquer les travaux des Nobel de physique 2012, le Français Serge Haroche et l'Américain David Wineland.

Le Nobel de la paix est un cas particulier: il est décerné à Oslo, conformément aux voeux d'Alfred Nobel. Notre correspondant en Norvège, Pierre-Henry Deshayes, en connaît les moindres subtilités, alors que pour moi, 2012 était un baptême du feu.

Vous pensez que le Nobel de littérature, parce que vous avez lu des livres, sera plus simple? J'ai trouvé qu'au contraire, il est plus compliqué. D'abord il ne nous arrive pas par messager. Il faut faire confiance à la télévision et internet. Et ce pour limiter les risques de fuite : en 2011 la cote du lauréat-surprise, le poète suédois Tomas Tranströmer, avait flambé sur les sites internet de paris dans les heures précédant l'annonce, alors que tout le monde donnait pour favori le poète syrien Adonis. La source de la fuite présumée n'a jamais été découverte.

Ensuite, et surtout, on entre ici dans le royaume de la subjectivité. Les faits vous prouvent rapidement que John Gurdon et Shinya Yamanaka, Nobel de médecine 2012 pour leurs recherches sur les cellules souches, ont apporté une contribution décisive à la science, et donc à l'humanité. Mais vous devez faire confiance au comité Nobel quant au romancier chinois Mo Yan. Peut-être la postérité fera-t-elle de lui un géant des lettres mondiales. Peut-être pas. Quand on regarde le palmarès, des écrivains consacrés par la légende comme Faulkner (1948), Hemingway (1954) ou Neruda (1971) côtoient des noms largement oubliés.

Hugues Honoré est correspondant de l'AFP à Stockholm.

Cérémonie de remise des prix Nobel 2011 à Stockholm (photo: AFP / Scanpix / Anders Wiklund)
Hugues Honoré