Quatre saisons à Wuhan

En 2020 le photographe de l'AFP Hector Retamal, basé à Shanghaï, s'est rendu régulièrement à Wuhan, la ville du centre de la Chine où les premiers cas de Covid-19 ont été détectés. Voici le récit, notamment en images, de quatre saisons à Wuhan, où une certaine douceur de vivre semble de retour malgré le souvenir douloureux de la pandémie. Son travail a été remarqué par les éditeurs photo de The Guardian, qui viennent de le désigner "photographe d'agence de l'année". 

Wuhan (Chine) - Avant le grand cataclysme, j’avais déjà été à Wuhan, pour couvrir… un tournoi de basket-ball. La ville m’avait semblée gigantesque... et c’est vrai, onze millions de personnes y habitent, plus qu’à Mexico City, New York ou Paris. 

Photo aérienne prise le 16 avril 2020 (AFP / Hector Retamal)

Je me souviens d'un début de crise sanitaire en sourdine à la mi-janvier. Quand tout a commencé, j’étais à Shanghaï où ma mère, une cousine et son fiancé étaient venus me rendre visite depuis le Chili. J’étais un peu inquiet, mais je me demandais surtout s’ils auraient des difficultés à quitter la Chine pour rentrer chez nous. Puis, les masques ont fait leur apparition dans les rues de la ville. 

L'hiver

 

Wuhan, le 26 janvier 2020 (AFP / Hector Retamal)

Quelques jours plus tard, j’ai senti que l'apparition de ce nouveau virus provoquant des détresses respiratoires pouvait devenir une grande histoire. Alors que j’allais vers la gare pour rejoindre Wuhan, mon portable a sonné. Dans la nuit, les autorités avaient annoncé que la ville serait bouclée. Mes chefs craignaient que je ne puisse plus en sortir. Ils ont tenté de me dissuader de me rendre dans ce qui semblait être l'épicentre de la maladie. Je les ai rassurés, évoquant mon expérience passée de la couverture de l'épidémie de choléra en Haïti. Quand je suis arrivé à Wuhan, après quatre heures de train grande vitesse, personne ou presque ne descendait pour s’arrêter dans la ville…

 
Banlieue de Wuhan, dans la province chinoise de Hubei, 27 janvier 2020 (AFP / Hector Retamal)

Avec mes collègues Leo Ramirez et Sébastien Ricci, j’ai découvert une ville fantôme, où la peur avait gagné les habitants. Des policiers nous disaient de rentrer à l’hôtel: “C’est dangereux de rester dans la rue”. La crainte était palpable dans l’air. J'ai en tête cette image d'habitants, enfermés chez eux, qui nous regardaient depuis la fenêtre. J’ai dû croiser quatre ou cinq personnes dans ce quartier, en deux heures, rien du tout pour une mégalopole de cette taille.

Le choc est vraiment arrivé quand nous nous sommes rendus aux abords des hôpitaux. Les gens faisaient la queue dehors et à l'intérieur. Ils avaient amené leurs tabourets. Et plus étrange encore, ils venaient vers moi et tiraient sur mon bras pour que je rentre, pour voir. Ils voulaient me montrer ce qui se passait, une réaction complètement inhabituelle en Chine. J’avais des préventions à les suivre, non par peur du virus mais par crainte d’attirer l’attention des gardes de l'hôpital et qu'ils appellent la police. Je suis quand même rentré brièvement et j’ai pu voir à quel point la situation était compliquée; la saturation des hôpitaux était évidente.  

Hôpital de la Croix-Rouge à Wuhan. La salle d'attente. 24 janvier 2020 (AFP / Hector Retamal)
Hôpital de la Croix-Rouge à Wuhan, province de Hubei. 25 janvier 2020 (AFP / Hector Retamal)

 

Ensuite, il y a eu cette image emblématique.

 

Wuhan, 30 janvier 2020 (AFP / Hector Retamal)

Nous n'avons jamais su de quoi cet homme était mort, même si nous avons tenté d'obtenir des informations. Mais l'image du cadavre de ce vieil homme resté sur la chaussée et de l'agitation autour de lui incarnait la crise plus que tout autre.

Nous avons quitté Wuhan à bord d’un vol de rapatriement sanitaire français le 31 janvier à destination de Marseille, un récit que nous avons fait sur le blog. Il a fallu passer par une quarantaine, en France… avant de revenir en Asie, mi février. 

 

Le printemps 

(AFP / Hector Retamal)

Le 24 février, j’étais de retour à Shanghaï, où heureusement je n’ai pas dû effectuer de nouvelle quarantaine. J’ai quand même du attendre quelques jours  à l’hôtel, le temps de savoir si je devais à nouveau m'isoler. Lorsque je suis finalement rentré chez moi, des membres du “comité local de quartier” m’attendaient et m’ont posé des questions. Jour après jour nous devions nous soumettre à une prise de température pour accéder à l'immeuble.

Quand je suis retourné  pour la première fois à Wuhan fin mars, juste après la ré-ouverture de la ville, j'ai assisté aux adieux entre ceux qui étaient venus aider, notamment des soignants, et les habitants de la ville.

Une soignante de la province de Jilin (au centre), dit au revoir à ses collègues de Wuhan avant de décoller de l'aéroport de la ville, le 8 avril. (AFP / Hector Retamal)

Dans les rues,  la peur du virus était encore palpable. Certaines personnes restaient d'ailleurs chez elles.

(AFP / Hector Retamal)

Mais la vie reprenait peu à peu ses droits. Wuhan, est une ville immense où les gens sont aimables. C'est une ville carrefour, au coeur de la province de Hubei, qui elle-même relie l’est et l’ouest de la Chine, le nord et le sud. Irriguée par le grand fleuve Yangtsé, à mi-chemin entre Pékin et Canton, elle est relativement riche. 

 

(AFP / Hector Retamal)
12 mai 2020 (AFP / Hector Retamal)

On y trouve des dizaines de centres de recherche scientifique et d’ingénierie biologique, comme les laboratoires dont on a tant parlé autour du coronavirus, des industries minières; on y produit des voitures, de l’acier, du textile...  C’est aussi une zone importante de production agricole: coton, céréales, pisciculture… Le Hubei c’est le “pays du poisson et du riz”, qui s’est développé à l’ombre du grand barrage des Trois-Gorges. 

Et s’il y a un endroit où il faut se rendre, c’est les berges. La vie de la ville semble se structurer autour du fleuve. 

8 avril 2020 (AFP / Hector Retamal)

Wuhan, pour moi, c’est comme un mini-Shanghaï, elle est moderne, et au bord d’un fleuve… mais sans doute plus accueillante.

(AFP / Hector Retamal)

Il y a aussi de nombreux parcs, où les gens aiment se promener,  faire de l’exercice... danser.  Ses habitants font beaucoup de sport.

(AFP / Hector Retamal)
(AFP / Hector Retamal)

A Shanghaï en revanche certaines personnes craignent que les étrangers reviennent de pays où le virus est encore actif et nous évitent. Parfois, quand je vais prendre l’ascenseur, les gens ne veulent pas monter avec moi. A Wuhan, les gens me saluent et viennent spontanément me parler, me poser des questions. Dès le printemps je me suis lié d'amitié avec des personnes rencontées sur les rives du fleuve. C'est aussi là que j'ai photographié les danseurs. 

(AFP / Hector Retamal)
(AFP / Hector Retamal)

 

(AFP / Hector Retamal)

 L'été

(AFP / Hector Retamal)

J’aime être proche des gens, me faire accepter, gagner leur confiance. Qu’ils se sentent à l’aise, prennent le temps de parler. Comment entrer dans la vie des autres si je ne leur donne pas accès à la mienne ? Je l’ai appris en Haïti où la vie est si dure et les gens vivent avec rien. A Wuhan, je n’ai pas cherché à être invisible; je veux que les gens sachent ce que je fais et qu’ils comprennent pourquoi je suis là. Je ne cache pas mon appareil photo.

(AFP / Hector Retamal)

C’est là que tout commence. Je n’aime pas les photos volées et si on me demande d’effacer, je le fais.  Après un reportage, je me demande toujours ce que les gens sont devenus. Cette année à Wuhan m’a permis de revoir certaines personnes et de m’assurer qu’elles allaient bien.  J’ai apprécié de pouvoir voir l’évolution de la ville au fil des mois.

5 août 2020, au bord du lac de l'Est à Wuhan (AFP / Hector Retamal)
5 août 2020, lac de l'Est à Wuhan (AFP / Hector Retamal)

 

J’ai même été en discothèque ! Elle était pleine, tout comme un festival de musique. Les Chinois aiment la fête. Wuhan est d’ailleurs une ville jeune, avec beaucoup d’étudiants. 

(AFP / Hector Retamal)
Festival de musique de Wuhan le 4 août 2020 (AFP / Hector Retamal)

 

L' automne

(AFP / Hector Retamal)

 

(AFP / Hector Retamal)

J’ai cherché les traces de la pandémie… et n’ai rien vu.  j’ai vraiment eu la sensation que la ville avait presque retrouvé un cours normal. En revanche, la douleur de la perte était bien là. Plus de 4.000 habitants sont morts, concentrant l'essentiel du bilan officiel des décès liés au nouveau coronavirus en Chine. Nous y avons notamment rencontré Liu Pei'en, qui s'est converti au bouddhisme pour tenter de redonner un sens à sa vie après la disparition de son père. Ou Zhong Hanneng, qui a perdu son fils, et n'arrive plus à dormir. Elle veut poursuivre les autorités locales. 

A l'automne, les rues étaient bondées et les centres commerciaux débordés. Dès que le soleil sortait, les gens étaient dehors. 

(AFP / Hector Retamal)
(AFP / Hector Retamal)

La seule chose qui n’est pas revenue ce sont les étrangers…! Lors de mon dernier voyage, fin novembre, j'ai du en voir deux en une semaine, alors qu'avant ils étaient très nombreux...

La peur du virus, en revanche, est encore là. A l’hôtel on m’a demandé le certificat de test négatif et le code QR de santé. 

 

(AFP / Hector Retamal)
(AFP / Hector Retamal)

Le code QR est individuel et il est délivré par les autorités sanitaires: ce code contient des informations collectées via le téléphone, sur les lieux où l’on s’est rendu, si on a été proche d’une personne malade.  Et il détermine ainsi si l’on est en bonne santé.  On peut te le demander pour accéder à un centre commercial par exemple. 

Dans certains endroits, on continue aussi à contrôler la température directement, ou via une caméra thermique. La vie a repris, mais le contrôle strict mis en place avec la pandémie est toujours en vigueur...

 

(AFP / Hector Retamal)

Récit: Hector Retamal à Wuhan. Edition: Michaëla Cancela-Kieffer 
 

Hector Retamal