La basilique du Saint-Sépulcre au lever du soleil dans la Vieille ville à Jérusalem, le 28 juillet 2014. (AFP / Thomas Coex)

Quand l'église du Saint-Sépulcre a fermé

Jérusalem -- Un journaliste travaillant à Jérusalem sait qu’ici les conflits impliquant la religion sont toujours une histoire importante. On y ressent une telle tension. On la constate chaque jour que Dieu fait. Avec le sentiment qu’un incident majeur n’est jamais très loin.

La ville est unique, parce qu’elle est la seule à être sacrée pour les trois religions monothéistes, le judaïsme, le christianisme et l’islam.

Des chrétiens résidant dans la Vieille ville tiennent une manifestation devant la basilique du Saint-Sépulcre pour protester contre un projet de taxation des Eglises, à Jérusalem le 27 février 2018. (AFP / Thomas Coex)

Quand les autorités municipales ont annoncé récemment qu’elles allaient taxer les Eglises, leurs représentants ont tenu une conférence de presse pour annoncer leur décision de fermer la basilique du Saint-Sépulcre.

Ça a pris tout le monde de court. C’est le monument le plus sacré pour tous les chrétiens. Les chrétiens croient que c’est à cet endroit que le corps de Jésus a été inhumé, avant de ressusciter. Les responsables des Eglises sont considérés comme des gens prudents, et le fait que de surcroît ils aient réussi à se mettre d’accord sur quelque chose est surprenant.

L’église du Saint-Sépulcre n’a été fermée que trois fois depuis que les Israéliens se sont emparés de la Vieille ville de Jérusalem pendant la guerre de 1967.

La première en 1990 quand un groupe de colons juifs a tenté de s’établir près du monument. La deuxième en 1999 quand des musulmans avaient construit une mosquée près de l’église de l’Annonciation à Nazareth . Et la dernière en 2005, avec une fermeture de quelques heures à la suite d’un acte de vandalisme.

Cette fois, la fermeture a duré trois jours. Les responsables des Eglises l’ont décidé pour deux raisons : une question fiscale et celle du « statu quo ».

La municipalité a décidé de leur imposer les taxes sur ce qu’elle considère être leurs bâtiments à vocation commerciale, comme les hôtels ou salles de réunions, tout en annonçant que les lieux de culte et d’enseignement à proprement parler en resteraient exemptés. Les Eglises ont des revenus mais déclarent les utiliser pour soutenir l’existence des familles chrétiennes dans Jérusalem. C’est une sorte de système d’assistance sociale, très important du point de vue de l’Eglise, qui constate que la population chrétienne de Jérusalem diminue rapidement et qui craint qu’elle ne finisse par disparaître.

Le père franciscain Ayman Bathesh donne la communion à une habitante de Jérusalem dans sa maison de la Vieille ville, le 12 février 2018. L'ordre des Franciscains est établi en terre sainte depuis 800 ans. Ils sont gardiens du Saint-Sépulcre. (AFP / Thomas Coex)

Le coût de la vie est très élevé à Jérusalem, et les familles pauvres ne peuvent pas y louer un appartement sans l’aide de la communauté. C’est pour cela que les Eglises les aident.

Il y a aussi la question du « statu quo », qui remonte à l’époque de l’empire Ottoman. Ce régime exempte les propriétés religieuses d’impôts, et non seulement les églises, mais aussi les synagogues et les mosquées. Les autorités municipales, qui sont censées respecter ce système, risquaient d’en briser l’équilibre avec leur décision.

L’église du Saint-Sépulcre a une particularité remarquable. Six groupes s’y partagent l’espace: les Eglises Copte, Ethiopienne, Syriaque, Grecque orthodoxe et Arménienne, et l’ordre des Franciscains. Seuls ces trois derniers s’occupent du tombeau de Jésus. L’espace est strictement partagé, et accessible à son seul ayant-droit. Cette occupation est réglée par tout un ensemble de règles détaillées.

L'édicule abritant le tombeau du Christ, à l'intérieur de la basilique du Saint-Sépulcre, le 21 mars 2018. Chaque partie du bâtiment et de ses dépendances est sous la responsabilité exclusive d'un des six groupes religieux qui s'y partagent l'espace et les tâches. (AFP / Thomas Coex)

En 2008 des popes grecs orthodoxes et des prêtres arméniens en étaient venus aux mains dans la basilique pour un obscur conflit de droits et privilèges. La police israélienne avait dû intervenir pour séparer les deux camps, certains des prêtres ayant utilisé des cierges comme gourdins tandis que d’autres tentaient d’arracher les soutanes de leurs rivaux.  

Le remplacement d’une ampoule, par exemple, implique une réunion de tous les groupes pour décider qui paiera et qui effectuera la réparation. Le fait qu’ils se soient tous entendus pour fermer l’église était d’autant plus remarquable.

Ils ont simplement oublié d’en prévenir les fidèles, mais pas les journalistes. Ça a été un moment étonnant, même si tout ce que nous pouvions photographier était une porte close.

Nous étions désolés pour tous ces gens qui avaient fait un si long voyage pour voir la tombe de Jésus. Je me suis dit que les responsables des Eglises auraient pu au moins mettre une affichette sur la porte pour expliquer la situation. Devant le monument, les gens nous demandaient: “Vous êtes sûr que la porte sera rouverte?”.

Le père franciscain Sinisa Srebrerovic nettoie des ornements de la tombe de Jésus, selon la tradition. 2 mars 2018. Avec les Franciscains, seules les représentants des Eglises Grecque orthodoxe et Arménienne ont le droit de s'en occuper. (AFP / Thomas Coex)

En temps normal, des milliers de visiteurs arrivent chaque jour par bus. Mais comme nous étions dans le mois précédant Pâques l’affluence était d’autant plus grande. C’est le genre de personnes qui une fois sur place ne lisent pas la presse sur leur téléphone et n’écoutent pas la radio dans leur hôtel. Alors si en plus leur guide n’est pas au courant…

Personne n’a su comment se déroulaient les négociations entre les responsables des Eglises et les autorités municipales. Comme nous n’avions que des rumeurs, la seule solution a été de patienter près de l’église pendant trois jours, jusqu’à sa réouverture.

Procession de Franciscains pour le Carême, le 17 février 2018. (AFP / Thomas Coex)
Un prêtre de l'Eglise éthiopienne dans l 'église du Saint-Sépulcre le 9 février 2018. (AFP / Thomas Coex)

 

Le mardi, un groupe de chrétiens résidents de la Vieille ville a organisé une manifestation qui s’est achevée devant le Saint-Sépulcre. Avec tous ces gens qui protestaient en criant, les touristes et les fidèles ont vraiment cru que l’église allait rouvrir, en vain.

Mais le soir même le gouvernement israélien a annoncé la suspension du projet de taxation des Eglises. Je crois qu’ils ont réalisé qu’ils avaient un gros problème à cause du nombre de touristes que le monument attire.

Les responsables négocient toujours avec les autorité, parce qu’elles ont simplement suspendu leur projet, sans l’annuler. En tout cas le mercredi l’église a rouvert à 4h00 du matin, comme à l’habitude.

Cette ouverture est rigoureusement codifiée. La porte est actionnée par un musulman parce que le « statu quo » stipule que l’opération doit revenir à une partie neutre. Ce sont les deux mêmes familles qui en ont la charge depuis 200 ans.

La serrure de la porte est trop haute pour être atteinte sans l’aide d’une échelle. Elle est passée depuis l’intérieur par des prêtres aux responsables de la porte, deux vieux musulmans, à travers une trappe aménagée dans un vantail.

Wajih Nuseibeh, membre d'une des deux familles en charge de la porte du Saint-Sépulcre, ouvre le monument le 7 avril 2007. (AFP / Gali Tibbon)

Au moment de l’ouverture, il y avait environ 50 ou 60 personnes attendant d’entrer. Les prêtres arméniens avaient organisé pour l’occasion un service près du tombeau. Tout le monde est entré et s’est mis à genoux pour prier. 

Un vieil homme palestinien croise un groupe de juifs ultra orthodoxes, dans une rue de la Vieille ville, à Jérusalem, le 22 septembre 2016. (AFP / Thomas Coex)

Il n’y a jamais de solution facile satisfaisant tout le monde dans cette ville. Et cet endroit concentre presque tous les problèmes que l’on rencontre ailleurs dans le monde. Mais il est aussi le lieu de scènes fantastiques.

Des chrétiens orthodoxes participent à la cérémonie du Saint Feu dans l'église du Saint-Sépulcre, le 30 avril 2016, pendant les fêtes de Pâques. (AFP / Thomas Coex)

Comme à Pâques, quand les chrétiens orthodoxes organisent la cérémonie du Saint Feu.

C’est l’une des nombreuses célébrations à se tenir sur une vingtaine de jours.

Il y a la Pâques des catholiques pendant une semaine, puis celle des Grecs orthodoxes la suivante, et enfin celle des Coptes pour la troisième.

Les Ethiopiens quant à eux tiennent leur fête au sommet de l’église.

Mais la cérémonie du Saint Feu est la plus spectaculaire.

Elle ne démarre pas avant 14h30 mais il vaut mieux arriver vers 5h00 du matin si vous voulez la photographier ou simplement y assister. Parce que l’endroit devient si bondé qu’on ne peut plus bouger.

Chacun est censé faire le tour du tombeau huit fois, je crois.

Puis le patriarche orthodoxe entre dans la tombe et en ressort avec un cierge allumé avec le « Saint Feu », qu’il transmet à l’assistance.

Cela prend un certain temps parce que tout le monde attend avec une chandelle. 

A charge pour chacun, une fois la sienne allumée, de passer la flamme à son voisin.

Le sens de la cérémonie est de sortir de l’église avec cette lumière, qui symbolise la résurrection du Christ, pour la transmettre aux autres.

Des chrétiens orthodoxes se pressent pour allumer leur cierge pendant la cérémonie du Saint Feu,le 30 avril 2016. (AFP / Thomas Coex)

C’est un moment magique que j’aime photographier depuis le haut de l’église, avec le tombeau au milieu. On sent alors monter toute la ferveur, contenue depuis des heures, des fidèles qui se pressent en bas.

Et pendant ce temps, dans la Vieille ville, des musulmans vont à la mosquée et des juifs au mur des Lamentations. Tous doivent arriver à vivre et prier ici, et ce n’est pas chose facile

Un prêtre arménien dans la chapelle arménienne de Sainte Hélène, située dans l'église du Saint-Sépulcre, le 7 avril 2014. (AFP / Thomas Coex)

Il y a tellement de gens qui viennent dans cette ville juste pour y prier. Cela crée une grande pression religieuse. Au point que même quelqu’un qui ne croit pas peut la ressentir. On ne peut pas rester indifférent à cela quand on y travaille.

Ce blog a été écrit avec Tori Otten à Paris.

Vue partielle de la Vieille ville de Jérusalem, avec l'abbaye de la Dormition à gauche, le 22 février 2014. (AFP / Thomas Coex)


 

Thomas Coex