Esplanade des Mosquées, Jérusalem, 24 avril 2017. (AFP / Mahmud Hams)

La terre promise, enfin!

Jérusalem -- Cela fait 25 ans que j’attendais de pouvoir aller à Jérusalem. Mon grand-père s’y rendait chaque vendredi. Pour y prier avant de rendre visite à des amis et de la famille dans les villes d’Israël et de Cisjordanie. Mais c’était à une autre époque, dans un autre monde. Avant la première intifada.

Je suis Palestinien et vis à Gaza. Pour me rendre en Israël et en Cisjordanie je dois obtenir une permission des autorités israéliennes, un laissez-passer qu’on appelle le “tasrih”. On ne le délivre pas comme ça. Il faut une bonne raison pour se rendre à certains endroits. On remplit une demande. On attend. On ne peut pas juste dire: “parce que j’aimerai aller prier à Jérusalem le vendredi comme mon grand-père avait l’habitude de le faire”. Après des années de violences et de conflits Israël exerce une sélection très stricte des bénéficiaires, surtout en venant de Gaza.

J’ai 37 ans. J’ai obtenu mon premier “tasrih” en décembre 2015, après 18 ans d’attente et des demandes à répétition. Le fait de travailler pour l’AFP a aidé. L’agence avait organisé en Cisjordanie une formation au travail en milieu hostile et Israël m’a autorisé à m’y rendre. J’ai eu un entretien de deux heures au point de passage d’Erez avant d’obtenir, trois mois plus tard, mon précieux sésame. Le jour dit, j’ai été retenu pendant cinq heures avant de pouvoir traverser. Il n’y a pas de VIP à Erez. Tout le monde est fouillé et questionné de la même façon.

Un prêtre palestinien de Gaza franchit le point de contrôle d'Erez pour entrer en Israël. 22 décembre 2011. (AFP / Mahmud Hams)


 

Au bout du compte la formation a été annulée à la dernière minute. J’ai donc bénéficié d’une semaine de temps libre. J’ai pu visiter Ramallah, Naplouse, Tulkarem et Bethléem, et comme c’était Noël, y prendre de jolies photos.

L’année suivante, l’AFP a demandé un nouveau laissez-passer pour que je puisse participer à une formation à Paris, mais on ne me l’a pas accordé.

Finalement cette année j’ai eu la permission de me rendre à Jérusalem une semaine, pour participer à une formation. Ayant quelques jours de libre j’en ai profité pour me promener. 

J’étais très excité. Ce serait ma première visite de Jérusalem en 25 ans. La dernière fois que je m’y étais trouvé, j’en avais 13.

Il faut comprendre que pour les musulmans Jérusalem est un lieu magique, mystique, à cause du dôme du Rocher et de sa mosquée al-Aqsa. Je me souviens encore, il y a quelques années lors d’un séjour en Cisjordanie, d’avoir aperçu sa coupole dorée depuis les  collines de Bethléem.  Cette fois j’étais bien décidé à en rapporter des photos, en souvenir pour ma famille. J’ai pu y prier.  

Des Palestiniennes en prière sous le Dôme du Rocher, dans la vieille ville de Jérusalem, en avril 2017. (AFP / Mahmud Hams)


 

La vieille ville était conforme à mes souvenirs, avec les étals chargés de produits, des tapis aux épices, et le flot ininterrompu de gens dans les ruelles étroites.  

La grande différence avec il y a 25 ans, c’est la sécurité. On a l’impression que les soldats sont partout, contrôlant les identités. J’ai été arrêté cinq fois en franchissant la porte de Damas pour la vieille ville, et été fouillé une fois.

Vivre à Gaza est un peu comme vivre en prison, et j’ai vraiment apprécié de quitter l’enclave pour cette raison. Mais j’aurai tellement voulu que ma famille soit du voyage, ma femme Shayma et mes enfants, Ibrahim, Youssef, Mohammad et Ali. C’est pour eux que j’ai pris toutes ces photos.  Pour leur permettre de voyager un peu, même si c’est de façon virtuelle.

Dans la vieille ville, Jérusalem, avril 2017. (AFP / Mahmud Hams)


 

Pendant mon séjour, j’ai pu échanger avec des Israéliens. En anglais, car je ne parle pas hébreu et ils ne pratiquent pas vraiment l’arabe. Je ne me suis pas vanté d’être de Gaza pour être traité avec respect et éviter des ennuis ou une détention.

J’ai évité aussi toutes les discussions politiques car elles auraient de toute façon finies en impasse. J’ai beaucoup parlé avec le chauffeur du bureau, Mano, un juif israélien qui se rend régulièrement en Cisjordanie et a des racines profondes en Terre sainte.  Sa famille a habité la vieille ville de Jérusalem sur six générations avant 1948.

La porte de Damas, qui mène au quartier musulman de la vieille ville, à Jérusalem, en avril 2017. (AFP / Mahmud Hams)


 

Nos sujets de conversation étaient ceux de n’importe quel travailleur et père de famille dans le monde. Le coût de la vie et celui d’une famille, le prix de la nourriture, du gaz, l’eau et l’électricité, la taille de nos habitations. Des choses de tous les jours. Il a été surpris d’apprendre que nous avions aussi peu d’électricité à Gaza, un problème qui dure depuis des années. En ce moment, c’est deux heures et demie par jour. Nous utilisons des batteries de voitures pour les lampes la nuit.       

Un garçon palestinien révise ses leçons avec l'aide de sa mère, à la lumière de la bougie à cause de coupures d'électricité dans leur camp de réfugiés de Khan Younès, dans le sud de l'enclave de Gaza, en avril 2017. (AFP / Mahmud Hams)

 

En regardant les tramways de Jérusalem, avec leurs rames glissant dans la ville, je me suis pris à rêver de la même chose pour Gaza. Il y avait un train de Jaffa au Caire. Il passait près de notre village de Yibna, que ma famille et les autres résidents ont abandonné pendant la guerre israélo-arabe de 1948, quand mon père avait 11 ans. Ils se sont retrouvés dans un camp de réfugiés à Gaza, qui s’est appelé Yibna, parce que tous ses habitants venaient de là. 

Je me souviens de m’y être rendu avec mon père et mon grand-père quand j’étais petit, quand nous pouvions encore voyager librement en Israël. J’ai le souvenir de grands champs et de petites maisons avec leurs jardins, plein de jardins. Mon grand-père m’a montré une fois là où se trouvait notre maison, et tout ce qu’il en restait. Un mur du jardin et le morceau d’une pièce.

La vieille génération des habitants de Gaza se souvient de cette ligne de chemin de fer.  Quand je pense qu’il ne reste rien des gares qui se trouvaient dans les villes de Gaza. Imaginez-vous, sauter dans le premier train venu et débarquer au Caire ? Sans checkpoints ni permis. Ce serait le rêve. 

Dans la vieille ville, Jérusalem, avril 2017. (AFP / Mahmud Hams)


 

Au bout du compte je suis plus heureux que triste. J’espère qu’il y aura une solution à ce conflit visiblement sans fin. Gaza a souffert de tant de conflits, encore et encore, cela suffit. Il doit bien y avoir une solution. Pourquoi les gens de toutes confessions ne pourraient-ils pas prier à Jérusalem, dans leurs mosquées, synagogues et églises. C’est leur droit. La religion ne devrait rien avoir affaire avec la politique.

J’espère que la prochaine fois je pourrai quitter Gaza avec ma femme et mes enfants pour leur montrer toutes ces villes qu’il y a à voir, Acre, Jérusalem, Tel Aviv. J’espère que mes fils pourront étudier en Cisjordanie, ou ailleurs dans le monde, ou en Israël. 

Ce blog a été écrit avec Janine Haidar et Yana Dlugy à Paris

Sur l'esplanade des Mosquées, Jérusalem, avril 2017. (AFP / Mahmud Hams)
Devant le Dôme du Rocher, avril 2017. (AFP / Mahmud Hams)

 

 

Mahmud Hams