L'attaquant brésilien Neymar (à droite) à la lutte avec son adversaire suisse Xherdan Shaqiri pendant un match éliminatoire du groupe E pour le Mondial-2018, le 17 juin à Rostov-sur-le-Don. (AFP / Jewel Samad)

A la verticale du Mondial

Ekaterinbourg, Kaliningrad, Nijni-Novgorod, Samara, Saint-Pétersbourg, Sotchi (Russie) --  Ils sont deux, avec une vue unique au monde sur le Mondial de football. Les photographes Kirill Kudryavtsev et Jewel Samad ont un accès exclusif aux passerelles de certains stades de Russie. Un travail à la verticale du terrain qui fournit un angle original pour saisir l'action. Candidat sujet au vertige, s'abstenir. 

Vue du stade Samara Arena, pendant le match Brésil-Mexique, le 2 juillet 2018. (AFP / Kirill Kudryavtsev)

 

                                        Jewel Samad

         Photographe, responsable photo Asie du Sud basé à Bangkok

Tant que je suis le jeu à travers le viseur de mon appareil tout va bien. Je ne suis pas sujet au vertige pourtant, mais quand je regarde le terrain sous moi avec mes seuls yeux la tête me tourne.

Le gardien de but japonais Eiji Kawashima arrête un tir du défenseur belge Thomas Meunier (en maillot rouge) dans le stade de Rostov-sur-le-Don le 2 juillet 2018. (AFP / Jewel Samad)

Cela fait une drôle d’impression de suivre 20 types qui courent, à plus d’une dizaine d’étages en dessous de vous.

Certaines de ces images sont très fortes, parce qu’on n’a pas l’habitude de voir l’action sous cet angle. D'ordinaire les photographes suivent l'action depuis le terrain, à hauteur d'homme. 

But de l'attaquant français Kylian Mbappé contre le Pérou, à Ekaterinbourg, le 21 juin 2018. (AFP / Jewel Samad)

Pour arriver jusque-là il m’a fallu d’abord obtenir un certificat. A Bangkok, un formateur m’a appris stout ce que je pouvais et ne devais pas faire, comment s’habiller pour que rien ne tombe, et comment utiliser l’équipement de sécurité. Après je suis passé à la pratique avec un casque, un baudrier et des mousquetons sur une tour.    

Je peux accéder à la passerelle du stade environ deux heures avant le match. La sécurité m’ouvre l’accès, et à partir de là je suis tout seul.

Le gardien espagnol David De Gea encaisse un troisième but du Portugal le 15 juin 2018 au Fisht Stadium de Sotchi. (AFP / Jewel Samad)
Le gardien allemand Manuel Neuer encaisse un but de la Suède au Fisht Stadium de Sotchi le 23 juin 2018. (AFP / Jewel Samad)

 

Au mieux, j’ai juste un escalier à grimper. C’est plus délicat au stade d’Ekaterinbourg où l’accès à la passerelle se fait par une échelle. Avec un sac à dos pesant 20 kilos sur le dos et l’appareil photo autour du cou, j’ai gravi chaque échelon avec une pause.  

Une fois sur la passerelle, tout est plus simple. J’y suis bien sécurité. Certaines font tout le tour du toit et donc du terrain en dessous. D’autres sont plus compliquées, comme celle de Sotchi, qui est très haute. Mes photos sont envoyées en temps réel au desk d’édition.

Choc entre le milieu de terrain brésilien Casemiro (à gauche) et le défenseur suisse Fabian Schaer, au stade Rostov Arena le 17 juin 2018. (AFP / Jewel Samad)
L'attaquant brésilien Neymar après un tacle du milieu de terrain suisse Valon Behrami, au Rostov Arena le 17 juin 2018. (AFP / Jewel Samad)

 

 Pour tenir le coup, j’emporte avec moi des fruits secs et de l’eau, mais je dois faire attention à ne pas trop boire, parce qu’il n’y aucun endroit pour satisfaire un besoin naturel. Et il est hors de question de redescendre avant la fin du match.

En général je reste au-dessus d’une moitié de terrain avant de changer de côté à la mi-temps. Ou bien je passe tout le match en surplomb du banc de la meilleure équipe. 

Les joueurs belges fêtent leur deuxième but égalisateur contre le Japon, au stade Rostov Arena, le 2 juillet 2018. (AFP / Jewel Samad)
Le milieu de terrain Marouane Fellaini (à gauche) rejoint par son équipier Axel Witsel après son but d'égalisation contre le Japon. Rostov-sur-le-Don, 2 juillet 2018. (AFP / Jewel Samad)

 

La prise de vue est toute une affaire. Avec la distance je suis oblige d’utiliser une longue focale de 500mm. Ça fait six kilos autour du cou rien que pour l’objectif, qui pèsent lourd sur les cervicales à la fin du match.

Le photographe Jewel Samad sur la passerelle du stade d'Ekaterinbourg avant le début de la rencontre France-Pérou, le 21 juin 2018. (D.R.)

Pour éviter toute chute, j’ai deux sangles de sécurité qui relient l’objectif et le boîtier à la rambarde de la passerelle. Je porte des pantalons avec des poches zippées, pour être sûr que rien ne puisse tomber sur un spectateur ou un joueur en dessous.

On m’a affirmé que depuis cette hauteur, même une pièce de monnaie pourrait faire très mal à quelqu’un.   

L'attaquant argentin Lionel Messi (à gauche) à la lutte avec le milieu de terrain nigérian John Obi Mikel, au stade de Saint-Pétersbourg le 26 juin 2018. (AFP / Kirill Kudryavtsev)

 

                                   François-Xavier Marit

                    Référent photo à la rédaction en chef technique

Il y a eu d’abord un gros travail de préparation avec les organisateurs, et de nombreuses visites, sans savoir si au final nous obtiendrions les autorisations de travailler depuis les toits des stades.

          Vidéo du photographe Jewel Samad prise depuis la passerelle du stade d'Ekaterinbourg

On nous a aussi fait comprendre qu’en cas d’accord les procédures bureaucratiques seraient assez lourdes.

Je n’imaginais pas alors qu’il nous faudrait remplir plus de 300 demandes d’accès. Une pour chaque match, pour chaque stade et pour chaque photographe impliqué. Au final nous sommes la seule agence à avoir suivi ce parcours d’obstacles jusqu’au bout.   

L'attaquant portugais Ricardo Quaresma pendant le match Portugal-Espagne au Fisht Stadium de Sotchi, le 15 juin 2018. (AFP / Jewel Samad)
L'attaquant portugais Cristiano Ronaldo pendant le match Portugal-Uruguay, au Fisht Stadium de Sotchi, le 30 juin 2018. (AFP / Kirill Kudryavtsev)

 

Certains stades nous ont refusé l’accès, d’autres nous l’ont accordé, parfois au dernier moment, après un refus initial. Il a fallu aussi trouver un photographe habilité au travail en hauteur avec un harnais. Il existe même une norme pour ça, la NR35…

Arrêt du gardien japonais Eiji Kawashima pendant le match Japon-Belgique, à la Rostov Arena de Rostov-sur-le-Don le 2 juillet 2018. (AFP / Jewel Samad)

Pour assurer nos arrières nous avons déployé des boitiers-remote (déclenchés à distance) et des boitiers-robots (pilotés à distance). Ils nous seront très utiles au stade Loujniki à Moscou, où aura lieu la finale, et dont l’accès au toit nous a été refusé par la sécurité russe. Les deux boitiers-robots sont à l’aplomb de chaque but. Ils sont pilotés avec des joysticks depuis le centre de presse, à deux stations de métro du stade.

L'attaquant brésilien Neymar face à l'arbitre Cesar Ramos, pendant le match Brésil-Suisse à Rostov-sur-le-Don le 17 juin 2018. (AFP / Jewel Samad)

 

                                        Kirill Kudryavtsev

                                          Photographe basé à Moscou

L'attaquant argentin Lionel Messi fête son but contre le Nigéria, au stade de Saint-Pétersbourg le 26 juin 2018. (AFP / Kirill Kudryavtsev)

Je suis en route pour Sotchi, depuis Kaliningrad. Je suis impatient de découvrir le stade, parce que c’est le plus haut avec celui de Saint-Pétersbourg.

L'attaquant uruguayen Edinson Cavani fête son deuxième but contre le Portugal au Fisht Stadium de Sotchi le 30 juin 2018. (AFP / Kirill Kudryavtsev)

J’ai une certaine expérience de la hauteur grâce aux lancements spatiaux… J’y ai déjà couvert trois à quatre lancements de la fusée Soyouz depuis Baïkonour. Et pour cela il faut aller installer des appareils-photo à télécommande sur une tour près du pas de tir, avant le décollage, et les récupérer après.

L'attaquant portugais Cristiano Ronaldo (à droite) aux côtés de son alter ego uruguayen Edinson Cavani, au Fisht Stadium de Sotchi le 30 juin 2018. (AFP / Kirill Kudryavtsev)
Ronaldo aide son adversaire Cavani, blessé au mollet, à quitter le terrain, à Sotchi le 30 juin 2018. (AFP / Kirill Kudryavtsev)

 

J’avais l’entraînement, et maintenant j'ai l’équipement. C’est la première fois que je grimpe avec un casque. A première vue la mission fait un peu peur, mais honnêtement, c’est facile à faire en toute sécurité. Même dans le stade le plus impressionnant, à Saint-Pétersbourg, qui a une hauteur incroyable, avec une passerelle qui court sur le bord du toit.

Quand je me penche il faut que je fasse vraiment attention parce que je surplombe directement les spectateurs. Je n’ose même pas imaginer ce qui se passerait si je laissais tomber quelque chose.

Les joueurs brésiliens célèbrent leur victoire contre le Mexique qui les qualifie pour les quarts de finale. Samara Arena, le 2 juillet 2018. (AFP / Kirill Kudryavtsev)

Il y a une règle essentielle à respecter quand on travaille en hauteur, c’est de ne surtout pas se presser. Il faut exécuter chaque geste lentement et en restant concentré. C’est un peu comme l’escalade, toute précipitation est interdite.

Quand j’arrive sur la passerelle, j’ai les mains moites. Il faut que je m’adapte à cet environnement, au vide, au vent. Je m’assieds et je prends le temps de m’habituer à l'endroit avant de commencer à travailler.

L'attaquant croate Ante Rebic (à gauche) lutte pour le ballon dans les airs avec le défenseur argentin Marcos Acuna, au stade de Nijni-Novgorod, le 21 juin 2018. (AFP / Kirill Kudryavtsev)

Pour la suite de la compétition j’ai hâte de me trouver à Nijni-Novgorod. C’est l’un de mes favoris parce que la lumière qui y pénètre crée des ombres intéressantes sur le terrain. Malheureusement je n’y ai couvert que des matches en soirée. Je sais que je dois y être pour une rencontre prévue à 5 heures de l’après-midi.

Dans tous les cas, j’adore travailler depuis une telle hauteur. Cela fait un peu peur au début, mais la position procure des angles de prises de vue incroyables.

Le défenseur français Lucas Hernandez s'échauffe avant le match contre le Pérou, le 21 juin 2018, à Ekaterinbourg. (AFP / Jewel Samad)

Ce billet de blog a été écrit avec Pierre Célérier à Paris. 

Jewel Samad
Kirill Kudryavtsev