Un pasteur Dinka pose au milieu de son troupeau, dans un campement de transhumance à Mingkaman, près du Nil Blanc, dans l'Etat des Lacs au Soudan du sud, le 4 mars 2018. (AFP / Stefanie Glinski)

Vaches cultes

Mingkaman, Etat des Lacs (Soudan du Sud) -- L’économie de leur pays s’effondre, leur monnaie ne vaut plus grand-chose et aucun des accords de paix signés précédemment n’a tenu.

Malgré cela les Soudanais du sud conservent un attachement viscéral à leur culture, et plus particulièrement aux troupeaux de vache, qui y jouent un rôle central. C’est ce que j’ai essayé de traduire avec mes images. 

Les pasteurs Dinkas avaient fui le sud Soudan en 1991 à cause de la guerre entre forces gouvernementales et rebelles du sud. Ils sont retournés sur leurs terres en 2005. Ici à Mingkaman. (AFP / Stefanie Glinski)

Je me suis installée au Soudan du sud il y a neuf mois. Je m’y étais rendu quelques fois avant pour des reportages sur des sujets humanitaires. L’endroit est si fascinant que cela m’a décidée à m’y installer.

Dans un campement de Dinkas à Mingkaman, près du Nil Blanc, où les villageois font paître leur bétail pendant la saison sèche, de décembre à mai. Ici, le 4 mars 2018. (AFP / Stefanie Glinski)

C’est un pays compliqué dans lequel travailler comme journaliste. L’octroi d’un visa est long, mais c’est le processus d’accréditation, délivrée par un organe gouvernemental, qui s’avère un parcours du combattant. Il faut passer un entretien poussé, au cours duquel vous devez justifier dans quel but vous avez publié ceci ou cela. Ils n’aiment surtout pas trouver le moindre indice ou preuve que ce que vous avez écrit ou photographié puisse alimenter des divisions ethniques.

Un jeune pasteur Dinka. Mingkaman, 4 mars 2018. (AFP / Stefanie Glinski)

Le pays est une mosaïque de peuples, à l’équilibre fragile. Je garde toujours à l’esprit que je pourrai être expulsée du jour au lendemain. J’ai actuellement plusieurs mois d’accréditation devant moi, mais ça reste très stressant.

Le matin, autour du foyer. Mingkaman. 4 mars 2018. (AFP / Stefanie Glinski)

Ce n’est pas tout d’être installée, encore faut-il pouvoir travailler. Le plus gros problème est la sécurité. Il y a aussi les conditions climatiques, selon la saison et l’endroit où vous vous rendez, avec des inondations et des pluies torrentielles. Les bus et taxis fonctionnent en dehors de la capitale, mais ils ne sont pas sûrs. Il y a de gros risques de vols et d’embuscades, par de vrais bandits de grand chemin ou simplement des gens armés qui ont faim. Il peut aussi y avoir des combats.

De jeunes pasteurs lors d'une prière matinale, à Mingkaman. Les Dinkas sont animistes ou chrétiens. (AFP / Stefanie Glinski)

En revanche les relations avec la population sont très faciles. Il y a des barrières culturelles, mais pas d‘animosité envers les journalistes. Il n’y a pas non plus de difficulté pour prendre les gens en photos, au contraire. Le fait d’être une femme est un avantage pour couvrir des sujets quasi impossibles pour un reporter masculin, comme la condition féminine ou les violences faites aux femmes.

Un jeune garçon avec sa lance. Mingkaman, 3 mars 2018. (AFP / Stefanie Glinski)

La vache est un des éléments centraux de la culture du Soudan du sud. Elle est omniprésente dans les mariages et les cérémonies. On s’en sert pour payer la dot ou pour du troc. Elles sont un symbole de statut et de richesse que la population prise plus que toute autre chose. La monnaie se dévalue, mais pas une vache.

La plupart des populations du Soudan du sud possèdent du bétail. Les Dinkas avant tout, qui constituent le premier groupe ethnique, mais aussi les Nuhers, le deuxième plus important, et la plupart des autres peuples.

Un jeune pasteur enduit la peau d'une vache avec de la cendre pour la protéger des insectes. 4 mars 2018. (AFP / Stefanie Glinski)

Pour mon reportage je voulais suivre la transhumance annuelle du bétail, mené sur des terres de pâturage non loin du Nil Blanc. Des habitants de chaque village s’y retrouvent avec leurs troupeaux dans de grands campements collectifs, pendant toute la durée de la saison sèche, qui s’étire autour des mois de l’hiver septentrional.

Den, 14 ans, à Mingkaman, le 3 mars 2018. (AFP / Stefanie Glinski)

L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, qui travaille beaucoup avec les agriculteurs du Soudan du sud, a accepté de m’emmener sur une de ses missions. Nous avons d’abord voyagé en hélicoptère depuis Juba, la capitale, avant de poursuivre en voiture, puis de franchir une rivière boueuse à pied, en nageant à moitié. Je tenais tout mon équipement sur la tête, d’une main, avec la peur au ventre d’un faux pas qui ruinerait ma mission. Ça a été un moment intéressant.

Au petit matin, dans le campement à Mingkaman, le 4 mars 2018. Les pasteurs sont souvent armés, pour se défendre contre les raids de voleurs de bétail. (AFP / Stefanie Glinski)

J’ai passé trois jours sur place, passant la nuit dans une petite ville toute proche du campement. La première nuit j’ai entendu de longues rafales de fusils automatiques. Après coup j’ai appris que des bandits, pourchassés par la police, avaient essayé de voler des choses au marché. Les raids de voleurs sont un fléau pour les campements de bétail, avec parfois des morts. C’est une des raisons certains gardiens de troupeaux portent toujours une arme.  

Den, 14 ans, garde le troupeau, cuisine et aide son frère. Elle ne va pas à l'école. 3 mars 2018. (AFP / Stefanie Glinski)
Jeune garçon Dinka. 3 mars 2018. (AFP / Stefanie Glinski)

 

Je suis arrivée au campement très tôt chaque matin pour bénéficier de la meilleure lumière. C’était une combinaison de brume, de fumée des restes de foyers et des premiers rayons du soleil levant. La plupart des gens dorment à même le sol dans des couvertures, entourés par leurs bêtes et les feux de camp. Alimentés avec de la bouse de vache séchée, ces derniers servent aussi à tenir à distance les mouches et moustiques. Une minorité de villageois dorment dans des huttes de paille dressées dans le campement.

Jeune garçon avec les restes d'un foyer. 4 mars 2018. Les pasteurs s'enduisent le visage de cendre pour se protéger des moustiques. (AFP / Stefanie Glinski)

En tant qu’étrangère il m’a été difficile de passer inaperçue. Tout le monde m’a hélé pour que je lui tire le portrait. Mais j’ai cherché aussi à me concentrer sur les aspects de la vie quotidienne des éleveurs.

Un jeune garçon boit le lait d'une vache à même le pis. Mingkaman, 3 mars 2018. (AFP / Stefanie Glinski)

Même en vivant ici, j’ai découvert dans le campement des us et coutumes que je ne soupçonnais pas. Les gens se couvrent la tête, ainsi que leurs animaux, avec de la cendre pour se protéger des moustiques.

Pour se laver le visage on utilise de l’urine de vache, ainsi que pour se nettoyer les yeux en cas d’infection oculaire. L’urine sert aussi de teinture naturelle pour les cheveux, qui virent à l’orange. La plupart des gens se rincent les cheveux plusieurs fois par jour avec de l’urine de vache, en espérant obtenir la teinte parfaite.

Un jeune pasteur, fier de la teinte parfaite de sa chevelure, obtenue avec l'aide d'urine de vache. Le 3 mars 2018. (AFP / Stefanie Glinski)
Un enfant verse de l'urine de vache sur la tête d'un jeune homme, pour teinter sa chevelure. Mingkaman, 3 mars 2018. (AFP / Stefanie Glinski)

 

En visitant ce campement, je voulais montrer une autre facette du Soudan du sud. Le pays est en guerre. Beaucoup de gens y sont victimes de la misère et ont été témoins de meurtres et de destructions. Pourtant on y trouve aussi des choses très belles à montrer en images, des choses qui sont au cœur de l’identité de sa population. Des choses qui rendent si belle ces scènes de campement et font oublier l’image chaotique attachée au pays.

Ce billet a été écrit avec Pierre Célérier à Paris.

Petit matin, Mingkaman, 4 mars 2018 (AFP / Stefanie Glinski)

 

Stefanie Glinski