Des fidèles d'une branche de l'Eglise de la réunification, qui autorise le port d'armes pendant la messe, à Newfoundland, Pennsylvanie, le 28 février 2018. (AFP / Don Emmert)

Des prières et des armes

Newfoundland, Pennsylvanie (Etats-Unis) -- Quand nous nous sommes rendus sur place, je m’attendais à tomber sur le genre de croyants avec un regard d’illuminé et un flingue à la main, comme une secte qui n’attendrait que de me convertir. Mais en fait, ils ressemblaient à mes voisins. Du genre: “Comment ça va? Quelle belle journée! Oh, tiens regarde, ça c’est mon fusil d’assaut AR-15”.

Nous étions attendus dans une branche de l’Eglise de l’Unification du révérend Moon. Cette dernière a toujours été pacifiste, je crois, avec un message tournant autour de l’amour et l’unité. L’Eglise, qui vient de Corée du sud, s’est fait connaître avec des mariages de masse en arrivant aux Etats-Unis dans les années 80.

Mais la branche qui nous attendait a fait sécession. Elle est dirigée par le révérend Hyung Jin Moon, le fils du fondateur, et son épouse. Elle tient chaque semaine un office avec des fidèles en armes.

L’Eglise ne convie normalement pas les médias, sauf cette fois-ci. Je ne sais pas pourquoi. Je me suis dit que le moment était bizarrement choisi, quelques semaines seulement après une fusillade dans une école de Floride qui a fait 17 morts, et ravivé le débat sur les armes à feu aux Etats-Unis. 

Bien qu’à seulement deux heures de Manhattan, l’endroit est très rural et plutôt isolé. En en repartant, il nous a fallu 45 minutes de route avant de capter un signal mobile suffisant pour transmettre histoire et photos.

Je ne sais pas pourquoi l’Eglise de Moon s’est installée dans un coin aussi paumé. J’y ai bien rencontré des fidèles qui venaient du New-Jersey voisin, mais pour l’essentiel ils étaient du coin.

(AFP / Don Emmert)
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Et ils n’étaient pas tous d’origine coréenne, loin de là, avec beaucoup de personnes de type caucasien, des gens de la classe moyenne, très impliqués dans la cérémonie.

Arrivés tôt, nous avons été aussitôt accueillis par un représentant de l’Eglise, qui nous a demandé de rester dans un coin au fond et de ne pas troubler l’office.

Les ouailles passaient un contrôle de leurs armes sur des tables disposées à l’entrée, pour s’assurer qu’elles n’étaient pas chargées. Et pour s’assurer qu’elles le restaient, on passait un bracelet de plastique rouge à travers la culasse.

(AFP / Don Emmert)
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J’étais un peu inconfortable de me trouver là, car d’ordinaire les médias ont assez mauvaise presse dans les milieux de droite, et particulièrement avec l’administration actuelle à Washington. Je craignais être la cible d’une certaine agressivité mais en fait les gens se sont révélés très aimables, d’une façon sincère et naturelle.

 

(AFP / Don Emmert)

A un moment, alors que je me trouvais dans le vestibule, il y avait cet homme avec une fleur plantée dans le canon de son fusil d’assaut.

Je lui ai demandé s’il n’avait pas d’objection à ce que je le prenne en photo : « Non, allez-y », m’a-t’il répondu, avec le sourire.     

 Il y avait plus de 500 personnes assistant au service.

Bon nombre portaient une sorte de couronne, fabriquée par son propriétaire pour la plupart, à l’aide de fils de fer ou même de cartouches de guerre.

Je ne sais pas exactement combien portaient des armes, mais ils devaient être 50 ou 70.

Ils priaient, et ont sorti leurs armes pour une partie de la cérémonie, avant de les ranger dans leurs étuis.

Je ne sais pas trop ce qu’ils racontaient, j’étais concentré sur la prise de photos.

En plus le service se déroulait alternativement en anglais et en coréen, ce qui le rendait difficile à suivre.

Un des participants, qui avait l’apparence d’un vétéran de la guerre de Corée, a lu des prières en coréen pendant tout l’office.

Un participant m’a expliqué qu’il espérait ne jamais avoir à se servir de son arme contre un autre être humain, même en état de légitime défense. Mais qu’il avait une arme parce que c’était son droit d’en posséder une.

C’est un thème qui est revenu en boucle. Ils ne sont pas paranoïaques, mais leur position sur le sujet des armes à feu est : « C’est mon droit d’en avoir une, donc je l'exerce ». 

C'est une chose qui me dépasse, cette tentative de concilier l'idée d'une église, où l'on se rend pour honorer Dieu, avec un endroit où l'on défendrait son droit à porter une arme. 

(AFP / Don Emmert)

Ça se comprend pour la chasse, mais les fusils d’assaut AR-15 et AK-47 ne sont pas fait pour ça. Ils ont été conçus pour tuer des êtres humains. 

J’ai été élevé dans la religion baptiste. Pour moi, une église est l’endroit où l’on apprend l’amour du prochain, le soutien à l’autre, ainsi que des valeurs morales, comme la vérité et ce genre de choses. Les armes me semblent à l’opposé de cet enseignement.

(AFP / Don Emmert)
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Ce débat sur les armes divise profondément la société. Il ressurgit après chaque tuerie, après chaque fusillade. Et le plus triste c’est que ce genre d’évènement ne reste à la Une que jusqu’à ce qu’un autre le chasse. Avant d’y reprendre sa place au massacre suivant.

Ce billet a été écrit avec Tori Otten à Paris.

(AFP / Don Emmert)

 

 

Don Emmert