(AFP / Diego Lima)

La "belle histoire" de Noelia

Cordoba – Les unes de la presse déroulent leur cortège de mauvaises nouvelles, les images les plus terribles se répandent sur les réseaux sociaux, et pourtant il arrive qu’une « belle » histoire prenne le dessus chez les lecteurs.

Cette histoire c’est celle de Noelia Garella, première institutrice trisomique du pays, et sans doute l’une des rares dans le monde. Qui aurait-pu imaginer qu’elle rencontre un tel succès sur les réseaux sociaux ?

Au point que Noelia, 31 ans, a reçue, via Facebook, notre dépêche en thaïlandais, traduite par une journaliste de ce pays qui souhaitait la rencontrer.

En Argentine, nous passons notre temps à parler de manifestations, de corruption et de sauvages assassinats de femmes. Un quotidien auquel tout le monde semble s’habituer.

Mais là beaucoup de lecteurs nous ont remercié “pour ce genre de nouvelles qui, oui, valent la peine”, comme l’a écrit un internaute de la chaîne de télévision américaine de langue espagnole Univision.

C’est en nous rendant jusqu'à Cordoba pour couvrir l’histoire du père Brochero – devenu en octobre le premier Saint argentin – que nous avons trouvé des histoires sans violence ni effusion de sang, mais quand même susceptibles d’intéresser les lecteurs.

Celle de Noelia avait attiré notre attention en lisant la presse. Ensuite elle a été partagée des millions de fois et aimée par des dizaines de milliers d’internautes. 

Noelia dans la cour du jardin d'enfants Jeromito, le 29 septembre 2016. (AFP / Diego Lima)

“Vous êtes sûrs qu’il s’agit d’une maîtresse diplômée ? » « Mais elle a le droit de rester seule avec les enfants ? » « Qu’est-ce qu’elle peut leur enseigner ? » Les questions fusaient dans la bouche de nos amis alors que nous préparions notre reportage.

La directrice de la crèche Jeromito, Alejandra Senestrari, nous a raconté sa rencontre avec Noelia, qui intervenait dans les établissements de petite enfance dans le cadre d’un atelier sur l’hygiène bucco-dentaire. « Je me suis rendue compte qu’elle avait un bon contact avec les enfants et qu’elle prenait des initiatives pour se rapprocher d’eux».

Noelia a bénéficié du soutien de sa famille et de quelques aménagements pour devenir maîtresse. Elle n’a pas passé de concours. Elle est toujours accompagnée d’une collègue s’assurant du suivi du programme pédagogique.

De nombreux parents d’enfants trisomiques, qui nous ont adressé leurs félicitations pour avoir montré leur potentiel, nous ont aussi averti que tous ne peuvent pas aller aussi loin que Noelia.

Nous n’en sommes pas si sûrs : en réalisant ce reportage, nous avons trouvé de nombreux exemples dans le monde de personnes trisomiques qui ont cassé les clichés en réalisant des choses extraordinaires.

(AFP / Diego Lima)

« Ce chromosome supplémentaire m’a rendue différente, mais je suis comme toi ou toi, comme tout le monde, et en même temps nous sommes tous différents, quel est le problème ? » nous a lancé Noelia.

Si son exploit est extraordinaire, c’est aussi parce qu’elle l'a réalisé avec l’aide de toute une communauté : des maires, des directrices de crèches, des enseignants et des parents ont accepté de tenter l’expérience, au-delà des préjugés.

      

Le reportage s’est étalé sur plusieurs jours, avec la participation sur place du photographe Diego Lima.

Il a commencé par huit heures de voiture depuis Buenos Aires : suffisamment de temps pour nous rendre compte, en discutant, que l’histoire de Noelia nous ramenait à nos propres expériences personnelles.

(AFP / Diego Lima)

Il y a bientôt 10 ans, Ivan est devenu l’oncle de Maia, une petite fille trisomique dont la capacité à donner de l’amour le surprend chaque jour et lui fait se demander : « Ce sont nous, les vrais handicapés ? ».

Ivan le raconte lui-même : «Je me rappelle que mon frère m’a expliqué que ce sont des enfants spéciaux, plus sensibles, plus affectueux, qui ont besoin de plus d’attention et de plus d’amour. Donc, où est le problème ? ».

« Je crois qu’avoir un de ces êtres spéciaux dans ton entourage proche est une bénédiction, je ne ressens que de l’admiration pour eux, ils voient tout de manière plus simple, ils apprécient des choses que nous les +normaux+ ne savons plus apprécier ».

« Tous les jours j’essaie d’en savoir plus sur leur philosophie de la vie, qu’un sourire est plus puissant qu’un reproche. Qu’un câlin spontané est plus authentique qu’un échange de poignée de mains ».

(AFP / Diego Lima)

Depuis qu’Ivan a proposé ce sujet, cela m’a aussi fait réfléchir à ma propre expérience : j’ai suivi une scolarité en primaire au Venezuela dans une classe choisie pour accueillir un enfant trisomique né trois ans avant nous, Agustin San Blas.

J'ai en mémoire des centaines d’anecdotes avec lui, quand il nous faisait la lecture à haute voix, les jeux dans la cour (il n’aimait pas beaucoup perdre), sa passion pour les bonbons (on devait l’aider à se contrôler), ses lettres d’amour à la « plus belle et intelligente » de la classe...

Je me rappelle notre joie quand un livre publié dans les années 1980, « Agustin un enfant spécial », nous avait tous mentionnés.

 

 

Avec le reportage sur Noelia, je me suis surprise à reprendre contact avec certains camarades de cette école de San Antonio de Los Altos, où nous avions appris cette leçon de tolérance.

“Augustin a été le premier enfant (trisomique) intégré dans une école classique au Venezuela et il y a eu des parents qui me disaient que ce que nous faisions était absurde », me racontait  récemment sa mère, Gioconda San Blas.

Pourtant cet accueil « intuitif et tendre d’Augustin, en s'occupant de lui et en le respectant, ont représenté une grande étape dans son développement », a ajouté cette présidente de l’Académie des Sciences physiques, mathématiques et naturelles du Venezuela.

Sans le savoir, l’expérience de Noelia, je l’avais vécue avant, ailleurs.

(AFP / Diego Lima)

Le reportage, démarré sans grandes ambitions, a failli ne pas aboutir, alors que nous avions déjà parcouru 800 kilomètres.

« Il y a une grève des professeurs mercredi et après je ne sais pas si elle revient à la crèche du reste de la semaine », nous a dit sa mère, Mercedes Cabrera.

Quand nous avons finalement rencontré Noelia et sa famille, la réaction de la principale intéressée nous a touchés : « Oh, les pauvres, ils ont voyagé de tellement loin, moi je leur parle quand ils veulent ».

Elle nous a ouvert les portes de sa salle de classe, nous a emmenés au cours de danse où elle se déhanche sur des rythmes tropicaux, à la piscine où elle aime nager.

Ces témoignages valaient de l’or mais l’image la plus forte, et la plus indispensable – Noelia faisant cours – semblait impossible à obtenir.

(AFP / Diego Lima)

Ivan et moi étions inquiets. Noelia, elle, se montrait confiante, certaine que tout irait bien, comme tout au long de son parcours personnel. « Ecoute, +Ivancito+, demain je demande si vendredi on peut aller à Jeromito avec mes +jeromitos+ », disait-elle, en parlant de la crèche et du surnom affectueux qu’elle donne à ses élèves.

Elle avait raison. Tout s’est bien passé et le reportage a obtenu un succès dépassant toutes les espérances.

Au point que Noelia a été invitée pour l’inauguration de jeux paralympiques en Bolivie et pour l’enregistrement du Téléthon dans les studios d'Univision à Miami.

Sa vie a changé aussi : « Ah Paula, tu peux écrire que, depuis cet article, j’ai un petit ami. Je suis avec Mario ».

Depuis, j’ai appris qu’Agustin San Blas, mon ancien camarade de classe, travaille depuis 20 ans à la bibliothèque de l’Institut vénézuélien de recherches scientifiques.

Nous avons reçu une avalanche de messages nous demandant de raconter plus d’histoires comme celle de Noelia, « positives », « belles », des « leçons » d’humanité…

Quelle bouffée d’air frais quand la curiosité et la tolérance parviennent à vaincre les préjugés, surtout par les temps qui courent.